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28 octobre 2024
Auteurs et autrices : Sami Labat Tahri
Contributeurs & contributrices : Hughes-Marie Aulanier, Apolline Riet

La filière spatiale française face aux limites planétaires et à l’épuisement des ressources

Les bouleversements environnementaux (dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, pénuries de ressources, …) ont désormais des conséquences sur l’ensemble des secteurs économiques. Afin de s’y préparer, et de pouvoir disposer d’un secteur spatial résilient face aux conséquences de ces bouleversements Carbone 4 a mené une étude en partenariat avec le CNES afin d’identifier les différents risques environnementaux (limites planétaires et épuisement des ressources) auxquels la filière spatiale française est et sera immanquablement exposée.

Périmètre de l’étude

L’étude porte sur les activités spatiales françaises de toutes natures, associées aux phases de développement, de lancement, d’exploitation, de maintien en conditions opérationnelles et de retrait de service, suivant deux horizons temporels : 2030 et 2050. En revanche, elle ne prend pas en compte les applications situées en aval (distribution et utilisation des données, terminaux utilisateurs, etc.).

Les activités spatiales françaises, ici considérées, intègrent :

  • Les activités liées aux segments sol : base de lancement, centre de contrôle, stations d’émission et de réception, simulateur numérique, centre de mission, etc.
  • Les activités liées aux segments spatiaux : lanceur, satellite, charge utile, station spatiale, etc.

L’étude se limite à la sphère « Terre » (incluant la haute atmosphère), et ne traite pas des risques orbitaux (congestion de l’espace, confiscation des orbites, pollutions lumineuses et de radiofréquences, etc.) ni de potentielles activités minières extra-atmosphériques. Elle s’intéresse à la totalité de l’écosystème œuvrant pour la filière spatiale : état, agences, industriels et communauté académique.

 

Résultats de l’étude

Cette étude prospective des risques environnementaux a permis d’identifier 44 risques pour la filière spatiale française, dont le détail est disponible en annexe du rapport. Grâce à l’appui de plusieurs experts du secteur, cette liste, qui est par essence non-exhaustive, a permis d’élaborer plusieurs conjectures résumées ci-dessous sur la sensibilité de la filière spatiale aux risques environnementaux.

Les principaux risques mis en avant par l’étude concernent les impacts sur la haute atmosphère, actuellement méconnus mais de nature à affecter la couche d’ozone et le climat, et qui pourraient déboucher sur des règlementations. À l’heure actuelle, les conséquences des émissions en hautes atmosphères produites lors du lancement et de la rentrée atmosphérique d’objets artificiels constituent en effet une zone d’ombre académique.

De leur côté, les risques d’approvisionnement entourant les matières premières critiques pour l’industrie spatiale (par exemple cuivre, nickel ou cobalt) ont un potentiel d’impact faible lorsque la présence géologique de ces matières est diversifiée à l’échelle du globeConcrètement, en cas de déséquilibre entre l’offre et la demande sur les marchés de matières premières, une augmentation du prix de la matière aurait un impact limité sur l’industrie du spatial. En effet, l’industrie spatiale dans son ensemble se caractérise par des activités de recherche & développement importantes et par un volume de production plus faible en comparaison avec d’autres filières industrielles traditionnelles (industrie automobile, industrie lourde, industrie aéronautique) qui ont des volumes de production plus importants.

En revanche, et même si l’approvisionnement de la plupart des matières premières ne constitue pas un risque au premier ordre pour les activités de la filière, il est nécessaire de rappeler ici que cela ne dédouane pas la filière spatiale française d’une prise de responsabilité au sujet des pollutions environnementales et des enjeux de droits humains en lien avec l’extraction minière des métaux qu’elle utilise.

Enfin, cette étude a permis de mettre en lumière deux autres types de risques qui présentent une criticité élevée : ceux concernant des produits spécifiques à l’industrie spatiale (p.ex. produits à faible dégazage) dont la production est vulnérable en ce qu’elle fait intervenir de très nombreuses substances dans sa formule, et ceux concernant les produits dont les chaînes d’exploitation et de production sont complexes et potentiellement vulnérables face aux tensions géopolitiques (titane métal, semi-conducteurs, terres rares).

Ces trois éléments (titane métal, semi-conducteurs, terres rares) font l’objet d’une analyse plus approfondie, spécifique aux risques géopolitiques.

 

Conclusion pour la filière

L’analyse des risques environnementaux pour la filière spatiale française conduite au cours de cette étude a permis de déterminer deux sujets majeurs : (i) l’évolution de la réglementation afférente à la dégradation de la situation climatique et de la couche d’ozone, et (ii) les risques d’approvisionnements, notamment du titane métal, des semi-conducteurs et des terres rares.

Le premier sujet devra nécessiter une étude approfondie des conséquences sur la couche d’ozone et sur le climat des émissions en hautes atmosphères produites lors du lancement et de la rentrée atmosphérique. En parallèle, un plan de décarbonation ambitieux de la filière devra être mis en place afin de limiter les conséquences des activités du secteur spatial sur le climat. Un engagement proactif de la filière au niveau européen à l’occasion des discussions autour de la loi spatiale mérite également d’être étudié. Enfin, des études ciblées sur les impacts de ces activités sur la biodiversité, notamment à l’échelle locale, pourront être menées.

Le second sujet concernant les risques d’approvisionnement des matières premières critiques de la filière pourra faire l’objet d’un plan d’actions différencié selon la ressource.

  • Pour le titane métal, des voies de substitution du titane importé de Russie devront être étudiées au plus tôt, en participant activement à l’augmentation des volumes de production sur le sol national et en se rapprochant des filières de production d’autres pays, notamment au Japon. La participation au développement d’une filière de recyclage européenne devra également être envisagée.
  • Pour les semi-conducteurs, participer à la relocalisation d’une production européenne semble être la meilleure option, afin de réduire la vulnérabilité de la filière à d’éventuelles tensions entre la Chine et Taïwan. Pour être résiliente, cette filière européenne devra notamment veiller à élaborer une stratégie dédiée pour réduire son risque d’approvisionnement en néon et en palladium, qui sont deux éléments essentiels à la production de semi-conducteurs. Une stratégie d’adaptation visant à réduire le risque de stress hydrique dans les bassins de production devra également être développée.
  • Pour les terres « rares », la filière spatiale européenne dispose de plusieurs options pour réduire sa dépendance à la production chinoise. Tout d’abord, après un inventaire des besoins ciblés, elle pourra constituer un stock stratégique des éléments rares les plus critiques pour ses activités. Elle pourra également étudier les possibilités de partenariats avec les producteurs américains et australiens. Enfin, elle devra conduire des analyses continues de substitution et/ou de réduction de l’usage des terres rares dans ses appareils.

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