Risques physiques et Adaptation : décryptage des exigences règlementaires
Introduction
Les risques physiques liés au changement climatique, et plus généralement le sujet de l’adaptation au changement climatique, gagnent en visibilité dans le monde économique et financier. La distinction entre les risques physiques et les risques de transition est maintenant bien établie, et la lutte contre le changement climatique se fait sur deux volets : la baisse des émissions de gaz à effet de serre et la résilience aux impacts climatiques. La maturité des acteurs économiques sur ce second volet (la résilience climatique) accuse un retard significatif par rapport au premier volet (l’atténuation des émissions). Cependant, un regain d’intérêt est perceptible depuis quelques mois.
Cette tendance peut s’expliquer par la multiplication des impacts visibles du changement climatique sur les activités, mais pas uniquement. Les cadres de reporting réglementaires et volontaires, de plus en plus exigeants sur les risques physiques, contribuent fortement à l’intérêt que portent les organisations sur ce sujet. Ces cadres apparaissent donc comme essentiels pour embarquer les acteurs économiques dans une démarche de résilience et adaptation au changement climatique.
Plusieurs cadres réglementaires ou volontaires existent, mais leurs exigences sur les risques physiques sont-elles alignées ? Et sont-elles à la hauteur des enjeux de résilience et d’adaptation au changement climatique ?
Dans cet article, nous proposons une analyse comparative des critères de conformité sur les sujets de résilience et d’adaptation des quatre principaux cadres de reporting pour les organisations : la Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD)[1], le Carbon Disclosure Project (CDP)[2], la Taxonomie Européenne[3] et la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD)[4].
Description des cadres de reporting
Publié avant toute réglementation, le rapport de la TCFD publié en 2017 a été le premier référentiel pour les entreprises souhaitant communiquer sur leur prise en compte des risques physiques liés au changement climatique. Ce rapport a ensuite été précisé et complété par d’autres publications et le CDP a utilisé les travaux de la TCFD pour compléter sa liste de questions initiales qui portaient sur la transition avec des questions sur les risques physiques. En 2020, le règlement de la Taxonomie Européenne a défini pour la première fois de façon réglementaire comment l’adaptation au changement climatique doit être traitée par les entreprises européennes[5]. La CSRD est une directive européenne remplaçant la NFRD, qui entrera en vigueur progressivement à partir de janvier 2024. Cette directive concerne les entreprises européennes et vient s’appuyer sur la Taxonomie et la compléter pour rendre obligatoire la publication d’informations liées au changement climatique, et notamment à l’adaptation aux risques physiques. La CSRD s’appuie sur des normes dites normes « ESRS » (European Sustainability Reporting Standards), qui sont préparées par l’EFRAG (Groupe consultatif pour l’information financière en Europe.
Grands principes et bonnes pratiques d’une démarche d’adaptation au changement climatique
À Carbone 4, nous considérons qu’une démarche ambitieuse d’adaptation au changement climatique doit répondre aux critères suivants.
Diagnostic des risques
- L’analyse des risques couvre tous les processus dont dépend l’organisation[6], pour capturer toutes les sources de risques pour l’activité de l’entreprise (voir OCARA[7] pour la notion de périmètre d’analyse)
- L’évaluation des risques croise les trois composantes d'un risque climatique, à savoir une composante Aléa, une composante Vulnérabilité et une composante Exposition
- L’évaluation des risques tient compte des capacités d’adaptation existantes, afin d’obtenir le risque net (ou résiduel)
- L’analyse des risques est faite selon plusieurs scénarios climatiques, afin de tester la sensibilité du système étudié au niveau de réchauffement, de gérer l’inévitable et d’éviter l’ingérable (pour plus d’informations, lire nos recommandations d’utilisation des scénarios SSP (Shared Socio-economic Pathways)[8] pour une démarche d’adaptation au changement climatique).
- L’analyse des risques est faite pour plusieurs horizons temporels, afin de planifier les actions nécessaires à court terme et plus long terme, et en relation avec la durée de vie des objets étudiés.
- L’analyse des risques couvre tous les aléas pour lesquels au moins un processus critique dont dépend l’organisation est vulnérable. Ainsi, mener une analyse de vulnérabilité sur un grand nombre d’aléas dans un premier temps, comme nous le recommandons dans le guide OCARA, permet à l’organisation d’identifier quels aléas doivent faire l’objet d’une analyse approfondie et d’un suivi régulier.
- L’analyse des risques peut fournir des estimations quantitatives d'impacts économiques si les risques climatiques se matérialisent, afin de rendre tangible la sévérité des risques identifiés et les comparer au coût des actions de prévention à mettre en œuvre.
- L’analyse permet de révéler d’éventuelles opportunités climatiques.
Plan d'adaptation
- L’organisation met en place un plan d’adaptation, c’est-à-dire qu’elle identifie les capacités d’adaptation supplémentaires qu’elle peut mettre en place pour augmenter sa résilience climatique, et qu’elle a établi une planification de ces actions via une priorisation et un séquencement dans le temps.
Analyse comparative
Nous avons effectué un examen détaillé des principaux cadres de reporting des risques physiques. Cette évaluation nous a permis de mettre en évidence les différences principales entre ces cadres et de faciliter la compréhension des spécificités de chacun.
Nous identifions deux catégories de critères de conformité avec les cadres de reporting :
- La première catégorie concerne le périmètre de ce qui est à reporter par les organisations. Les critères sont les suivants :
- L'organisation doit conduire et rendre compte d’une analyse des risques physiques liés au changement climatique qui couvre tous les processus dont dépend l’organisation
- L’organisation doit établir et rendre compte d'un plan d'adaptation au changement climatique
- L’organisation doit fournir des estimations quantitatives d’impacts économiques si les risques climatiques venaient à se matérialiser
- L’organisation doit conduire et rendre compte d’une analyse des opportunités climatiques
- La seconde catégorie concerne les caractéristiques techniques de l’analyse de risques que l’organisation doit conduire. Les critères sont les suivants :
- L'analyse des risques physiques doit être menée selon une liste prédéfinie d'aléas
- L'analyse des risques doit croiser les trois composantes d'un risque, à savoir l'aléa, la vulnérabilité et l'exposition
- La prise en compte des capacités d'adaptation existantes est intégrée dans l'évaluation des risques afin d'obtenir le risque net
- L'analyse des risques doit être réalisée selon plusieurs scénarios de réchauffement
- L'analyse des risques doit être réalisée pour plusieurs horizons temporels
Le tableau suivant résume, pour chacun des cadres examinés, la présence ou non de chaque critère de conformité de la première catégorie. Certains cadres ne font pas mention de ces critères (nous l’indiquons par « non »), certains les mentionnent de manière très claire (« oui »), et d’autres le laissent penser mais ne sont pas explicites sur le sujet (« ambigü »).
Le tableau suivant résume, pour chacun des cadres examinés, la présence ou non de chaque critère de conformité de la seconde catégorie. La légende a la même signification que pour le tableau précédent.
En examinant les cadres de reporting, y compris les références citées dans les guides méthodologiques, on constate que la grande majorité des critères d'analyse sont présents.
Quelques différences se dégagent tout de même :
- La taxonomie européenne apparait comme le cadre le moins détaillé et exigeant, car elle ne demande pas de manière explicite d’analyser les risques pour tous les processus dont dépend l’organisation, ni de fournir d’estimations quantitatives d’impacts économiques. De plus, les caractéristiques techniques requises pour certains critères de l’analyse de risque sont ambiguës.
- Le CDP et la CSRD ne requièrent pas de reporter un risque net.
- Le CDP est le seul cadre à ne pas faire mention des trois composantes d’un risque climatique.
- La TCFD ressort finalement comme l’un des cadres de divulgation les plus exigeants en matière de risques physiques climatiques.
Conclusion
Les cadres de reporting ne sont pas évidents à appréhender sur les volets des risques physiques et de l’adaptation. Il est nécessaire d’avoir un certain niveau d’expertise préalable à la bonne compréhension des exigences de reporting et ce qu’elles impliquent en termes d’analyse.
Cela étant, après une analyse détaillée des textes, il ressort que les exigences des cadres de reporting sont globalement alignées et adaptées à la bonne appréhension des risques climatiques. Ce contexte règlementaire est donc favorable pour embarquer les acteurs économiques dans des démarches d’adaptation au changement climatique.
Il pourrait être opportun d’accompagner les acteurs dans la bonne compréhension de ces cadres, nous espérons que cette note de décryptage pourra les y aider !
Annexes
Les tableaux du benchmark réalisé sur les cadres d'analyse principaux des risques physiques sont présentés ci-dessous avec des informations supplémentaires et des détails qui n'ont pas été inclus dans le corps principal de l'article.
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