Projections climatiques en France métropolitaine : quel jeu de données utiliser dans les analyses de risques climatiques ?
Introduction à la problématique
L’adaptation de nos sociétés aux impacts du changement climatique s’invite sur le devant de la scène. Canicule plus précoce, inondation plus intense… ces aléas climatiques entraînent des impacts sur nos territoires et activités socio-économiques. Pour identifier les actions d’adaptation à mettre en place dès aujourd’hui, encore faut-il connaître les risques auxquels il faudra s’adapter. C’est pour cela que toute démarche d’adaptation démarre par un diagnostic de risque. Ce diagnostic est forcément local car le climat va être modifier différemment en fonction des zones. Par exemple, le climat va s’assécher sur le pourtour méditerranéen mais devenir globalement plus pluvieux dans le nord de l’Europe. La donnée climatique fournit par les scientifiques nous est indispensable pour apprécier l’ampleur du changement. Cette donnée est donc clef pour dimensionner au mieux nos projets d’adaptation, ou même de construction. Par exemple lors de la conception d’une nouvelle usine, l’équipe projet devra évaluer l’évolution de la température moyenne sur l’emplacement de la nouvelle usine pour pouvoir intégrer au mieux les projections climatiques dans la conception de son système de refroidissement. Une augmentation de 2°C n’ayant pas la même incidence sur son projet qu’une augmentation de 4°C !
Aujourd’hui, plusieurs jeux de données climatiques de référence existent en France, disponibles sur le portail DRIAS. Nous avons voulu comparer les résultats de ces projections pour l’ensemble du territoire pour comprendre la variabilité des résultats en fonctions de jeux de données. Cette publication décrit les jeux de données climatiques de « référence » (DRIAS2020 et TRACC), livre une analyse comparative de ces jeux sur certains indicateurs climatiques communément utilisés sur la France, et propose une conclusion opérationnelle pour les études d’impacts climatiques.
Les jeux de données climatiques existant en France métropolitaine
Le portail DRIAS (pour « Donner accès aux scénarios climatiques Régionalisés français pour l'Impact et l'Adaptation de nos Sociétés et environnement ») est le portail de référence en France sur les projections climatiques. Ce portail permet d’avoir un accès facile[1] aux évolutions climatiques et constitue une ressource fondamentale pour identifier les risques climatiques qui apparaitront dans les prochaines décennies.
Ce portail DRIAS existe depuis 2010 et héberge les simulations climatiques issues de multiples projets de recherche. On y trouve le jeu de données DRIAS2020, le jeu de « projections climatiques de référence » pour la métropole[2]. Trente simulations régionalisées (maille <12km) couvrant trois scénarios RCP[3] et trois horizons futurs, issues du programme EuroCordex[4] sont disponibles. Ces simulations couvrent de nombreux indicateurs climatiques.
Ce jeu de données DRIAS2020 assez complet, était jusqu’à présent utilisé dans la plupart des études de scénarios climatiques en France, qui consistent à étudier les impacts du changement climatique pour s’y préparer. De nombreux outils ont été développés sur la base de ces données. Le choix des projections climatiques était alors dicté par l’horizon et le scénario.
En 2023, le Gouvernement a souhaité expliciter le niveau de réchauffement auquel la France devra se préparer : la TRACC était née. La TRACC[5] (pour Trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique) indique donc un niveau de réchauffement national pour plusieurs horizons (par exemple : +4°C en 2100). Au-delà du fait que ces niveaux de réchauffement sont probablement optimistes par rapport à la trajectoire qui sera suivie dans les prochaines décennie (voir à ce sujet, notre publication sur la TRACC[6]), se posait la question de la disponibilité des données correspondant à ces niveaux de réchauffement officiels. Fin 2023, le portail DRIAS a mis à disposition un nouveau jeu de données climatiques correspondant à la TRACC.
Étant donné l’attention croissante des acteurs économiques pour l’adaptation et donc pour ces jeux de données climatiques, nous avons souhaité comparer les deux jeux de données de référence disponibles pour la métropole : DRIAS2020 et TRACC. L’objectif de cette comparaison est de comprendre si le choix d’un jeu de données plutôt qu’un autre pourrait avoir un impact sur les risques physiques identifiés, et si les entreprises qui auraient déjà analysé leurs risques avec les données « DRIAS-2020 » devraient mettre à jour leur analyse avec ces nouvelles données.
Un premier jeu de piste : trouver les scénarios et horizons les plus proches de la TRACC
Les niveaux de réchauffement associés à la TRACC sont : +1.5°C en 2030, +2°C en 2050, et +3°C en 2100au niveau mondial par rapport à l’ère préindustrielle (c’est-à-dire la période 1850-1900).
Ces niveaux de réchauffements mondiaux de la TRACC correspondent à une trajectoire de réchauffement de +2°C en 2030, +2.7C° en 2050 et +4°C en 2100 en métropole par rapport à la période 1900-1930.
Si l’on compare à présent ces niveaux de réchauffement globaux aux niveaux de réchauffement proposés par le GIEC, il est possible d’identifier les scénarios du GIEC se rapprochant le plus de la TRACC. Selon le tableau suivant, la TRACC devrait être très proche du SSP2-4.5 à horizon 2050 et entre les scénarios SSP2-4.5 et SSP3-7.0 à la fin du siècle.
Analyse comparative des jeux de données climatiques sur la France
Nous supposons que les projections de la TRACC seront proches du scénario RCP4.5 à horizon 2050. Les projections pourraient également se rapprocher de celles du SSP3-7.0, mais ce scenario n’est pas disponible dans le jeu DRIAS2020. Nous avons donc inclus dans notre analyse le scénario RCP 8.5 plus pessimiste que le scénario SSP3-7.0 à horizon 2050. In fine trois jeux de données climatiques sont donc comparés : la TRACC 2.7, le RCP4.5 à 2050 et le RCP8.5 à 2050.
Pour réaliser cette comparaison, nous avons donc extrait l’ensemble des données disponibles sur la France Métropolitaine pour cinq indicateurs de température et précipitations. Les cartes et valeurs extraites dans la suite de l’article sont la médiane de l’ensemble de modèles.
L’augmentation de température moyenne projetée par la TRACC pour un réchauffement de 2.7°C est supérieure aux projections du scénarios RCP4.5 à l’horizon 2050 et légèrement inférieure aux projections du scénario RCP8.5 à l’horizon 2050. En moyenne, une différence de +27% est observée entre les projections du scénario RCP4.5 et la TRACC et -5% entre les projections du scénario RCP8.5 et la TRACC. Les projections de la TRACC sont supérieures aux projections du RCP4.5 pour tous les points, mais pas inférieures aux projections du RCP8.5 sur tous les points.
Pour le nombre de jours chauds, les projections de la TRACC sont également supérieures aux projections du scénario RCP4.5 à horizon 2050 et légèrement inférieures à celles du scénarios RCP8.5 à horizon 2050 dans l’ensemble. Quand on observe les différences entre le scénario RCP8.5 et le scénario de la TRACC point par point, on peut voir que les projections de la TRACC sont supérieures à celles du RCP8.5 sur 40% des points en France.
Pour l’écart du cumul de précipitations en été, le scénario RCP8.5 est le scénario projetant la plus forte baisse de précipitations. La TRACC projette une baisse inférieure à celle du RCP8.5 et assez proche de celle du scénario RCP4.5, sauf dans le sud-ouest où l’évolution se rapproche de celle du scénario RCP8.5. Pour environ 3% des points, l’évolution est contraire entre le RCP4.5 et la TRACC, et pour environ 2% des points l’évolution est contraire entre le RCP8.5 et la TRACC.
Le cumul de précipitations hivernales augmente sur la majorité de la France dans les trois scénarios, et la TRACC projette l’augmentation la plus importante. L’augmentation est en moyenne 63% supérieure dans la TRACC que dans le RCP4.5 et 18% supérieure dans la TRACC que dans le RCP8.5. Il est intéressant de noter que pour 21% des points, l’augmentation prévue par la TRACC est inférieure à celle prévue par le RCP8.5.
Dans les trois scénarios les précipitations intenses augmentent. La TRACC projette une augmentation plus importante que le RCP4.5 et comparable au RCP8.5. En moyenne l’augmentation prévue par la TRACC est 29% supérieure à celle du RCP4.5 et 5% supérieure à celle du RCP8.5.
Synthèse des résultats et conclusions
En synthèse, pour les températures, en 2050, les projections de la TRACC sont largement supérieures à celles du scénario RCP4.5, et légèrement inférieures à celles du RCP8.5.
Pour les précipitations, la comparaison est moins aisée puisque les projections peuvent être de sens contraire. Le scénario RCP8.5 projette le plus d’assèchement en été, et le scénario TRACC est semblable au scénario RCP4.5. Pour le cumul de précipitations hivernales, la TRACC a les projections les plus importantes. Les projections des scénarios RCP8.5 et de la TRACC pour les précipitations extrêmes sont semblables.
En conclusion, une étude qui a été faite pour le scénario RCP 8.5 à l’horizon 2050 permet bien de couvrir les évolutions projetées par la TRACC pour un réchauffement de 2.7°C, sauf pour le cumul de précipitations hivernales, où la TRACC pourrait projeter une évolution encore plus défavorable que celle projetée par les scénarios RCP8.5. Au contraire, une étude réalisée avec le scénario RCP 4.5 serait elle plutôt minorante par rapport aux projections de la TRACC.