Le prix du Bitcoin a passé les 100 000$, une pièce de plus dans la machine à carbone ?
L’explosion récente du prix du Bitcoin, qui a récemment dépassé la barre symbolique des 100 000$/BTC, a suscité beaucoup d’attention et ravivé des critiques relatives à son empreinte environnementale, en raison de sa consommation énergétique croissante (à date, 121 TWh en 2023 selon le Cambridge Bitcoin Electricity consumption index (CBECI), soit 0,5% de la production d’électricité mondiale, ou 35% de la production d’électricité du Royaume-Uni). Plusieurs publications ont tenté de mesurer l’empreinte carbone de Bitcoin, souvent en quantifiant les émissions générées par transaction pour les comparer à celles d’une transaction classique (ex : Mora et al. (2017), De Vries et Al. (2022)) mais avec des options de méthode sujettes à la critique :
- le nombre de transactions inscrites sur Bitcoin ne correspond pas au nombre de paiements effectifs, certains d’entre eux pouvant aujourd’hui être regroupés et inscrits comme une unique transaction sur Bitcoin grâce à des dispositifs dits de couche 2 (le lightning network opère comme une seconde couche, surajoutée à Bitcoin sans affecter significativement ses émissions[1], et permettant de regrouper plusieurs paiements par paquets, pour l’inscrire comme une unique transaction sur Bitcoin) ; de même un paiement réalisé par le système classique peut générer plusieurs transactions du fait de l’existence d’intermédiaires ; or du point de vue de l’utilisateur final, c’est bien le nombre de paiements qui importe, et non le nombre de transactions ;
- l’empreinte carbone de Bitcoin ne dépend pas du nombre de paiements réalisés sur le réseau mais de la puissance de calcul mobilisée pour le sécuriser et préserver l’intégrité du registre de transactions (voir https://www.jbs.cam.ac.uk/wp-content/uploads/2020/08/2019-09-ccaf-2nd-global-cryptoasset-benchmarking.pdf, p. 83). Ce mode de fonctionnement rend caduque toute projection fondée sur l’intensité carbone actuelle par transaction : projeter cette intensité carbone dans le temps exige de poser des hypothèses sur l’évolution de la consommation énergétique et les moyens de production d’électricité mobilisés par Bitcoin d’une part, mais aussi sur le nombre de paiements qui transitent par son réseau d’autre part.
- cette métrique envisage Bitcoin principalement comme un instrument d’échange, occultant son statut d’objet d’investissement aujourd’hui : la durée de détention moyenne du Bitcoin était estimée en octobre 2023 à 3,8 ans par la plateforme de données IntotheBlock[2], au point même que soit forgée l’expression « hodling » (litt. « Hold On for Dear Life ») pour caractériser l’attitude consistant à conserver (hold) ses Bitcoins malgré les périodes de volatilité à la baisse.
L’autorisation d’ETF spot début 2024 aux Etats-Unis, désormais proposés par des acteurs institutionnels comme BlackRock ou VanEck[3], combinée à l’intention du président américain élu de constituer, pour son pays, une réserve stratégique de Bitcoins, accentuent cette évolution.
Carbone 4 a réalisé une étude afin d’apporter des pistes d’amélioration pour tenir compte de ces limites, en analysant la performance carbone de Bitcoin sous deux des caractéristiques ordinairement attribuées à une monnaie (ce que Bitcoin aspire à être) : 1) en tant qu’instrument d’échange (empreinte carbone par paiement une fois pris en compte la spécificité du fonctionnement de Bitcoin), et 2) en tant que réserve de valeur, ou à tout le moins en tant que support d’investissement.
Cette étude à paraître conduit à tirer plusieurs conclusions, synthétisées ici :
1. A moins de représenter une part significative des paiements et de baisser drastiquement l’intensité carbone associée à la sécurisation du réseau, l’empreinte carbone par paiement reste supérieure via Bitcoin par rapport à un paiement classique mais ce constat doit être nuancé par le coût carbone marginal d’une transaction quasi-nul.
2. Cette métrique doit être secondée par d’autres, Bitcoin étant moins appréhendé aujourd’hui comme instrument de paiement que comme réserve de valeur potentielle, ou à tout le moins comme objet d’investissement : notre étude examine à ce titre l’évaluation de l’empreinte carbone par $ investi.
3. A cet égard, l’empreinte carbone d’un investissement sur le Bitcoin est plus élevée par rapport à celle de l’or ou de l’immobilier et inférieure à celle du livret A aujourd’hui (et ce même si le niveau d’émissions globales de l’économie devait être divisé par 2 (voir l'article).
4. Compte-tenu de la capitalisation sur Bitcoin (environ 1 900 milliards de $ à la date du 10 décembre, correspondant au prix du Bitcoin multiplié par le nombre de jetons en circulation), qui a récemment dépassé celle de l’argent, de Tesla, et se trouve en passe d’atteindre celle de Google, et du fait de l’acquisition récente de Bitcoins par des acteurs institutionnels comme BlackRock ou VanEck, les effets de Bitcoin sur le climat résident en premier lieu dans ses effets économiques : acheter du Bitcoin, c’est aussi ne pas laisser l’argent sur son livret, ne pas acheter d’or, ne pas investir dans une activité qui finance le développement des énergies fossiles, ou qui à l’inverse contribue à la transition écologique. En pratique, compte-tenu de sa volatilité encore élevée (même si celle-ci tend à diminuer à mesure que sa capitalisation s’accroît[4]) et de sa performance financière, le Bitcoin est encore perçu comme un actif à risque, d’où la possibilité de drainer des flux d’investissements qui auraient aussi pu s’orienter vers d’autres actifs du même type (par exemple les entreprises du Nasdaq). Sa très forte performance peut également affecter le taux d’épargne : l’attractivité que représente le Bitcoin peut en effet conduire à réévaluer l’arbitrage entre consommation et épargne, et jouer un rôle au plan macroéconomique. Croire en sa prise de valeur tendancielle incite en effet à valoriser davantage les ressources et les biens disponibles demain par rapport à celles et ceux disponibles aujourd’hui (si je m’attends à voir la valeur de mon épargne s’apprécier fortement au cours du temps, je suis davantage enclin à reporter mes investissements et ma consommation). Bitcoin est en conséquence susceptible d’induire un surcroît d’épargne et de réorienter des flux financiers, ce qui pourrait entraîner deux effets opposés mais majeurs du point de vue du climat :
- en drainant une partie de l’argent qui s’orienterait vers la consommation ou le financement de l’économie réelle, il peut induire un ralentissement des flux physiques, et donc de ce point de vue, des émissions de GES (voir Lyn Alden, Broken Money, 2023)
- mais dans le même temps, il redirige une partie de l’épargne hors d’activités qui permettraient de financer la transition écologique (voir Alain Grandjean, Nicolas Dufrêne, Une Monnaie écologique, 2020)
Ces répercussions sont potentiellement plus larges que celles quantifiées par la seule empreinte carbone : d’où la nécessité d’informer cette discussion par d’autres travaux et recherches empiriques. Occulter cette discussion, c’est ainsi sans doute manquer le sujet le plus crucial du point de vue du climat. Bien que plus difficile car plus difficilement quantifiable, le terrain économique et monétaire doit donc s’imposer comme l’un des lieux incontournables pour jauger la performance de Bitcoin au plan environnemental (pas exclusivement du climat) et la mettre en regard d’autres dimensions (sociales, politiques).
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