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1 octobre 2024
Contributeurs & contributrices : Alexandre Joly

Le vrai du faux sur les bioénergies et le climat

Lorsqu’on parle d’énergie et de climat, on est confronté à un florilège d’idées reçues qui suscitent souvent des réponses contradictoires. Avec cette FAQ centrée sur le sujet des bioénergies, Carbone 4 cherche à éclairer le débat pour démêler le vrai du faux en proposant une approche scientifique et chiffrée pour chaque idée reçue. 

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Les bioénergies ça n’émet pas de gaz à effet de serre ?

Les bioénergies (bois, biogaz, biocarburants liquides) sont très souvent considérées comme “bas carbone par défaut. Pourtant, la réalité est plus nuancée. 

Biométhane : mix moyen biométhane France. Bois : plaquette forestière sèche (25%humidité) France. Biocarburant : biodiesel à partir de Colza (majoritaire en France). Biométhane et bois : valeurs d’émissions binaires pour 1kWh : soit min, soit max, en fonction du caractère durable ou non. Pour les biocarburants, un continuum de valeurs est possible. Caractère « durable » de la biomasse = pas de déforestation, pas de forêt émettrice nette de carbone (maladie, prélèvement trop important, incendie) et / ou replantation efficace et effective systématique d’une quantité de biomasse au moins égale.
ADEME Base Empreinte. L’unité « kWh PCI » correspond au potentiel énergétique du combustible avant combustion (et donc avant application d’un rendement de conversion en chaleur, qui varie notamment en fonction de l’appareil de chauffage utilisé).

Dans le meilleurs des cas (couleur verte), les bioénergies sont toutes plus bas-carbone que leurs alternatives fossiles (en bleu).

Mais elles le sont par convention. En effet, on considère que cette matière organique a capté (et captera après replantation pour le prochain cycle) la même quantité de carbone[1] que celle émise par leur combustion. 

En réalité, le caractère bas-carbone dépend de la nature et de l’origine de la matière entrante (pratiques sylvicoles et agricoles), et peut rapidement être remis en question (couleur orange). 

  • Pour le bois, s’il est issu d’une forêt en mauvaise santé ne captant plus de carbone (ce qui est le cas dans certaines régions françaises[2]), le contenu carbone d’1 kWh peut se situer entre 200 et 450 gCO2e.
  • En Europe, dès 2013, la part de biocarburant a été limitée, car l’impact environnemental associé à la déforestation dans les pays d’Amérique du Sud et d’Asie avait été pointé du doigt. Le biodiesel pouvait alors être bien plus carboné que son équivalent fossile, à cause de la déforestation importée.

La concurrence des biocarburants avec la production alimentaire est extrêmement importante ?

En France, 4% des surfaces agricoles sont dédiées à la production de biocarburants. A cela s’ajoute l’équivalent d’environ 2 fois ces surfaces pour les importations, en provenance principalement d’Europe et d’Amérique. 

Pour ces surfaces, la concurrence est forte avec l’alimentation : environ 75% des cultures utilisées en France sont alimentaires comme la betterave.

En l’état, augmenter les volumes consommés intensifierait cette concurrence, dont le plus grand risque est la déforestation importée. Cette demande supplémentaire serait potentiellement satisfaite par des importations directement issues de la déforestation ou indirectement par le déplacement de la culture française désormais dédiée aux biocarburants vers des surfaces agricoles en lien avec la déforestation. Et s’il y a déforestation, les bénéfices de décarbonation des biocarburants disparaissent[3] voire deviennent négatifs. 

Toutefois, la réglementation européenne encadre ce risque. D’abord, elle limite les volumes de biocarburants incorporés en mélange dans l’essence et le diesel distribués. En 2015, l’Union européenne a plafonné à 7 % la part d'énergie des biocarburants conventionnels, fabriqués à partir de céréales et d'autres plantes riches en amidon, sucrières et oléagineuses produites sur des terres agricoles (blé, betterave, colza, etc.) dans les transports. Elle limite également l’importation de certains produits fortement liés au risque de déforestation avec notamment, dans la directive RED II, l’élimination progressive des biocarburants produits à partir d’huile de palme et d’huile de soja, d’ici au 31 décembre 2030. Certains des États membres ont déjà exclu l’huile de palme des matières premières éligibles à la production de biocarburants comme la France en 2020 et l’Allemagne en 2023. La France a également exclu l’huile de soja en 2022. 

Sources : Rapport spécial - Aide de l’UE en faveur des biocarburants durables dans les transports Une trajectoire imprécise, 2023 ; Panorama des biocarburants incorporés en France 2020.

Convertir les centrales électriques au charbon à la biomasse, c’est l’avenir ?

En France et dans le monde, des projets émergent pour donner une seconde vie aux centrales électriques au charbon, en les convertissant à la biomasse.

Les avantages sont nombreux : emprise au sol et sites industriels existants (“simple” adaptation à réaliser), raccordements réseaux existants, caractère bas carbone de la combustion de bois[4], conservation et conversion des emplois existants, etc.

Néanmoins, cette conversion présente une limite forte. A titre illustratif, produire 500 GWh annuels d'électricité avec une centrale charbon convertie au bois (l’équivalent d’un mois de production d’un réacteur nucléaire de 900 MW), divise par 6 les émissions de CO2 (si l’approvisionnement est durable[5]) mais multiplie par 2 le tonnage de combustibles car le bois est moins dense énergétiquement que le charbon.

*Centrale fictive considérée : technologie de centrale dite « à lit fluidisé ». Même convertie au bois, ~15% de charbon (part en énergie) restent nécessaires à son fonctionnement. « Rendement » moyen (énergie entrante / énergie électrique sortante) de 40%. 500 GWh d’électricité / an : représentatif pour les conversions ‘charbon -> biomasse’ envisagées en France. Combustible : charbon « efficace », avec PCI > 23 865 kj/kg, bois : plaquettes sèches moyennes. Surface de forêt en gestion : Inventaire IGN 2023 - prélèvement moyen France : 3,2m3/ha/an. Densité moyenne estimée du bois : 0,5t/m3. Usage énergie du volume de bois prélevé : 50% (d’après étude de filière France Bois Forêt / Carbone 4).

Les 354 000 tonnes de bois nécessaires chaque année pour cette production de 500 GWh représentent une surface forestière d’approvisionnement de 20 fois la taille de la forêt de Fontainebleau

Concernant la stabilité du réseau électrique dans un avenir où il y aurait plus d’électricité variable (solaire et éolien notamment), RTE (le gestionnaire du réseau de transport d’électricité) n’identifie pas ce type de conversion comme indispensable[6].

En considérant l’ensemble du système énergétique, les alternatives existantes et ce, dans un contexte de tension croissante sur la ressource en bois[7], la pertinence de ce type de conversion semble réellement devoir être interrogée au regard des volumes de bois consommés.

Chauffer nos bâtiments avec du bois, une bonne idée pour le climat ? 

En France, 46% des logements sont encore chauffés directement avec des énergies fossiles (36% au gaz et 10% au fioul ou au GPL, en 2021)[8].

Pour les remplacer, le chauffage au bois est souvent mis en avant car, s’il est issu de forêts gérées durablement, il réduit les émissions d’environ 90% par rapport aux énergies fossiles[9]. A noter que ce mode de chauffage concerne actuellement 11% des logements en France. 

Faut-il pour autant installer de nouveaux systèmes de chauffage au bois dans nos logements ? Le chauffage domestique nécessite des températures limitées, inférieures à 100°C qui peuvent être atteintes par des technologies sans combustion, alors que le bois est une ressource limitée et précieuse à plusieurs titres : 

  • Il stocke du carbone (puits forestiers naturels, construction bois)
  • Il permet d’atteindre des températures élevées nécessaires à certains secteurs (chaleur industrielle haute température)
  • Il sert de matière première (emballages papier/carton, meubles)
  • Il permettrait de produire un peu de biocarburants pour l’aérien ou le maritime qui ont encore peu de leviers de décarbonation matures

A cela s’ajoute l’enjeu sanitaire car la combustion du bois émet de nombreuses particules fines. Installer des systèmes plus performants à foyer fermé permet d’atténuer cet effet.

En conclusion, lors de l’installation de nouveaux appareils de chauffage, privilégier des technologies alternatives (pompe à chaleur, géothermie, solaire thermique, raccordement à un réseau de chaleur décarboné) permet de préserver nos forêts et ses ressources pour la transition écologique d’autres secteurs

1. Prise en compte de l’ensemble des émissions amont y compris celles associées aux équipements de chauffage. 2. Chaudière récente à condensation. 3. Particules fines dégagées lors de la combustion lorsque les appareils utilisés ne sont pas certifiés Flamme verte. 4. Papier, produits bois, énergie, bâtiment

Les bioénergies peuvent remplacer les énergies fossiles ?

Zoomons sur les biocarburants et le gaz renouvelable qui représentent une faible part du mix des transports et de gaz, respectivement 8% et 2% en 2022. Peuvent-ils malgré tout prendre une place importante dans les mix futurs en France ? A consommation équivalente, la réponse est non. La réduction des consommations, par la sobriété et l’efficacité énergétique, reste prioritaire.

Concernant les biocarburants, à horizon 2050 en France, même dans une configuration théorique maximale de leur production[10], la demande actuelle des transports ne pourrait être alimentée qu’à 20% par des biocarburants. Deux leviers seront nécessaires pour assurer un équilibre offre-demande : la réduction des consommations (ex : moins de distances parcourues, essor des mobilités actives, véhicules plus légers) et l'électrification massive.

Pour le gaz, le constat est identique. A horizon 2050 en France, l’offre théorique maximale de gaz renouvelables pourrait atteindre entre 30% et 40% de la consommation actuelle, ce qui implique une multiplication par 27 de la production actuelle. A nouveau, la réduction des consommations des usages associés au gaz (isolation des bâtiments ou optimisation des procédés industriels) et l’électrification des procédés sont deux conditions indispensables pour permettre d’assurer un équilibre offre-demande à horizon 2050.

1 - Ministère de la Transition Énergétique – Chiffres clés des transports – Édition 2024 2 - Offre maximale des différents scénarios de l’ADEME (S1, « Génération Frugale », et S4,  « Pari réparateur ») – ADEME – Transition(s) 2050 3 - Ministère de la Transition Énergétique – Chiffres clés de l’énergie – Édition 2023 Note : le gaz renouvelable inclut la méthanisation, la pyrogazéification EnR, le power-to-gas,

Il y aura du bois-énergie, des biocarburants et du biogaz pour tout le monde ?

Le bois-énergie, les biocarburants et le biogaz sont des ressources renouvelables disponibles en quantité limitée. Les travaux de la SNBC[11] mettent en évidence une tension dans l’approvisionnement pour faire face à une hausse de la demande dès 2030. Dans ce contexte, la biomasse ne sera pas disponible pour tous les usages, il est donc nécessaire de prioriser.

Il n’existe pas de hiérarchisation gravée dans le marbre et faisant consensus auprès de l’ensemble des acteurs de l’économie. En revanche, des tendances communes ressortent. 

La première est l’incontournable  besoin de réduire la consommation d’énergie et de matière par le biais de la sobriété et de l’efficacité énergétique. Une fois cette consommation réduite au bon niveau, un début de hiérarchie peut être envisagé. Les besoins alimentaires, puis de matière, doivent rester prioritaires par rapport aux usages énergétiques. Ces besoins sont à satisfaire tout en enrichissant sols agricoles et forêts en carbone.

Au sein du secteur énergétique, la production d’électricité et le secteur des transports ne sont pas prioritaires dans la majorité des cas où des alternatives existent. Pour la production de chaleur, il faut favoriser en priorité la récupération de chaleur fatale et les énergies renouvelables (géothermie, solaire thermique, pompes à chaleur), en les intégrant à des solutions de distribution collectives (réseaux de chaleur ou en pied d’immeuble) quand cela est pertinent.

Sources : Biomasse - enjeu stratégique de la transition écologique – ADEME |La planification écologique dans l’énergie – SGPE | Expertise Carbone 4 1 ZNI : Zone Non Interconnectée | 2 ECS : Eau Chaude Sanitaire

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