Gaz naturel liquéfié : après l'improvisation dans l'urgence, reprenons nos esprits
La guerre en Ukraine a chamboulé l'approvisionnement européen en gaz naturel. Le vieux continent est passé d’une dépendance russe à une dépendance américaine. En effet, la part du gaz américain dans le mix européen est passée d’environ 5% en 2021 à 20% début 2023[1], quand la part du gaz russe a chuté de 40% à 10% sur la même période.
L'objectif premier était bien évidemment d'assurer l'approvisionnement énergétique de notre pays mais à quel coût ?
Un gaz américain pas anodin pour le climat
Premièrement, il se compose essentiellement de gaz de schiste, dont l'exploitation est interdite en France depuis 2011. Sans même parler des pollutions locales générées par la fracturation hydraulique, extraire du gaz de schiste émet 2 à 3 fois plus de gaz à effet de serre que l'extraction du gaz conventionnel. La raison ? Plus d'énergie consommée (forage horizontal, fracturation hydraulique) et plus de fuites de méthane (l'initialisation du puits étant plus longue, il faut traiter plus de gaz pour stabiliser la production)[2].
Deuxièmement, il doit être liquéfié et transporté par bateau sur de longues distances pour arriver en Europe. Environ 10% d'énergie est perdue à l'étape de liquéfaction, et maintenir le méthane à l'état liquide sur des dizaines de milliers de km entraine des consommations d'énergies et surtout des rejets de méthane[3].
D’un autre côté, le réseau russe de gazoducs est souvent critiqué pour sa vétusté, et les fuites qu’il pourrait occasionner. Gardons néanmoins en tête que la majorité du gaz russe arrivait en France sous forme liquéfiée : 70% en 2020, 100% aujourd'hui.
Résultat des courses : le gaz américain émet 20% à 45% plus de gaz à effet de serre que le gaz russe au niveau des émissions amont. Rappelons que les émissions de combustion à l'aval sont de l'ordre de 190 gCO2e/kWh[4]. Quand bien même, à l'échelle du territoire français, l'impact est de 1 à 2 MtCO2e. Cela revient à effacer le bénéfice climatique de l'équivalent de 10 TWh de biométhane, alors qu’en 2022, seulement 7 TWh de biométhane étaient injectés sur le réseau français.
Beaucoup d'argent dépensé inutilement ?
Dans l'urgence, des projets de terminaux méthaniers ont fleuri partout en Europe, et notamment en Allemagne pour un coût estimé actuellement à 7 milliards d'euros[5]. Néanmoins, la majorité des terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) prévus pourraient en réalité ne pas être nécessaires du tout[6].
L'analyse du think tank IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis) est assez claire[7]. La demande européenne de GNL pourrait atteindre entre 150 et 190 milliards de m3 en 2030 alors que les capacités cumulées des terminaux de GNL pourraient s'élever à près de 400 milliards de m3.
Que vont devenir ces investissements en bonne partie portés par des deniers publics ? Un prétexte de plus pour retarder l'action climatique car il faudra bien rentabiliser ces infrastructures ?
Le faux sentiment d'avoir échappé au pire lors de l'hiver 2022-2023
En mars 2022, le prix du gaz naturel européen atteignait son record historique à 345 euros le MWh. Depuis, la tension s'est relâchée : l'hiver 2022-2023 s'est déroulé sans rupture d'approvisionnement énergétique et le prix du gaz est redescendu à 40-50€/MWh au premier semestre 2023. Rappelons néanmoins que le prix oscillait autour de 20€/MWh avant mai 2021[8]. C'est désormais le marché du GNL qui fixe le prix et non le marché du gaz russe par gazoduc.
Le pire serait-il derrière nous ?
A priori non car l’hiver dernier était très particulier. L'Europe a stocké du gaz russe pendant tout le premier semestre 2022 avant que le robinet ne soit coupé. Et par ailleurs, la Chine était confinée et a donc moins pesé sur la demande mondiale en GNL.
L'analyse[9] du Shift Project montre que sans une baisse drastique de nos consommations en gaz dès cette année, nous risquons très probablement d'expérimenter de nouveau l'hiver prochain des prix très élevés. En effet, d'ici 2025, la demande européenne n'est couverte contractuellement qu'à hauteur de 60%. Autrement dit, pour trouver le complément, il faudra improviser sur le marché de gros dont les quantités disponibles ne seront pas illimitées. En parallèle, la production de biométhane augmentera mais pas suffisamment pour combler ce trou.
Sortir du gaz fossile au plus vite
Anticipons avant de subir la crise climatique, les pertes économiques des actifs échoués ou encore notre dépendance énergétique.
Aujourd'hui, le gaz est consommé à 50% dans nos bâtiments, 25% dans l'industrie et 20% dans la production d'électricité et de chaleur[10]. Et les solutions ne manquent pas pour réduire nos consommations de gaz fossile :
- Remplacer très vite les chaudières gaz dans le bâtiment par des pompes à chaleur, de la géothermie, du solaire thermique, des réseaux de chaleur bas-carbone. Préservons notre gaz renouvelable pour les usages difficiles à décarboner : chaleur haute température, mobilité lourde, flexibilité électrique.
- Isoler massivement les bâtiments. Dans le résidentiel, on n'atteint pas encore les 100 000 rénovations performantes en 2022 alors qu'il nous en faudrait plus de 700 000 chaque année jusqu'en 2050[11].
- Déployer une sobriété structurelle pour consommer moins d'énergie directe à la maison et d'énergie indirecte dans les produits manufacturés par l'industrie. Un levier utile pour toutes les énergies et tous les secteurs.
Nous l'évoquions déjà en mars 2020. Consommer moins d’énergie est la meilleure arme pour se passer du gaz russe en un temps record[12]. Et bonne nouvelle, être économe en énergie, c'est une balance commerciale plus équilibrée, plus d'indépendance géopolitique, plus d'emplois locaux et une facture mieux maîtrisée. Alors, qu'est-ce qu'on attend ?
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