Chaleur renouvelable : la grande oubliée de la stratégie énergétique française ?
Synthèse
1. La chaleur est le premier usage énergétique en France et représente 45% de l’énergie finale consommée
La décarbonation de la production de cette chaleur (aujourd’hui produite à 60 % par des énergies fossiles) est un enjeu majeur de la décarbonation du mix énergétique français.
2. La décarbonation de la production de chaleur passe par le triptyque : baisse des besoins, renouvelable, électrification
Pour décarboner cette chaleur, dont la répartition des besoins se décompose en 50 % résidentiel, 30 % industrie et 20 % tertiaire, trois solutions s'offrent à nous :
- Moins en consommer : via de la sobriété (baisse de la température dans les logements, diminution de la production en période de pointe hivernale pour les usines), ou de l’efficacité énergétique (rénovation thermique pour les particuliers ou optimisation de processus dans l’industrie) ;
- Produire de la chaleur à partir de sources renouvelables (hors électricité) : la biomasse est la première source de production de chaleur renouvelable (65 %), suivie de loin par la géothermie, le solaire thermique, les gaz renouvelables, les déchets et la chaleur de récupération - certaines de ces filières sont matures et rentables et leur potentiel parfois sous-exploité, c'est l'objet de cette publication ;
- Électrifier la production de chaleur : sous couvert d’avoir une production d’électricité bas-carbone abondante et bon marché, la production de chaleur peut s'électrifier dans certains cas ; par exemple avec des pompes à chaleur pour les particuliers, ou par un changement de machine pour les industriels (haut-fourneau à four à arc électrique par exemple).
3. 38% de chaleur renouvelable en 2030
C’est l’objectif affiché par la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE), qui détaille les ambitions par filière. À date, seul le déploiement des Pompes À Chaleur (PAC) aérothermiques semble se dérouler à la bonne vitesse. La part de renouvelable n’était qu’à 23% en 2020, un changement de régime rapide et ciblé s’impose.
4. Les filières de production de chaleur sans combustion sont pertinentes pour répondre à une part importante des besoins
Les besoins en chaleur sont variés en nature et en contrainte (température nécessaire, durée de stockage, etc.) et toutes les technologies ne sont pas pertinentes pour y répondre. La basse température couvre 75 % des besoins en chaleur, en grande partie les besoins du résidentiel, du tertiaire, et 30 % des besoins de l’industrie, et gagne à ne pas passer par une combustion (biomasse, gaz, déchets) pour être produite. La combustion entraine des températures bien plus élevées que celles nécessaires aux usages basse température et doit être privilégiée pour les usages qui le nécessitent.
5. Solaire thermique et géothermie disposent d’un potentiel significatif et d’acteurs nationaux
Parmi les filières sans combustion, deux d’entre elles ont une zone de pertinence technique et économique en particulier pour alimenter des réseaux de chaleur et les procédés industriels basse température : la géothermie et le solaire thermique (respectivement 5 % et 1 % de la chaleur renouvelable produite en 2020). Les acteurs de ces filières sont prêts à passer à la vitesse supérieure, portés par de nouveaux modèles pour agir “en base” dans de nouveaux réseaux de chaleur en construction, des procédés industriels ou encore fournir des solutions de stockage de chaleur intra voire inter-saisonnières. D'après l'ADEME, les coûts d'investissement élevés de ces technologies sont encore un frein à leur déploiement accéléré.
6. Les opérateurs de réseaux comme les industriels s’adaptent à ces nouvelles intégrations
L’adaptation des réseaux de chaleur existants à l’ajout de capacités renouvelables sans combustion nécessite un changement du modèle d’opération et un abaissement des températures d’usage. Les opérateurs de réseaux se forment à ces enjeux et parviennent de mieux en mieux à gérer ces intégrations, qui permettent de gagner en efficacité et en rendement. Les industriels mènent aussi des réflexions sur les températures de service et les boucles utilisées à l'échelle de chaque procédé pour que les sources de chaleur renouvelables sans combustion deviennent compatibles avec leurs besoins.
7. Le soutien financier à la filière reste faible
et passe principalement par des appels à projets et des aides à l’investissement (et non une obligation d’achat ou un complément de rémunération garanti), via le fonds chaleur de l’ADEME. Ce fonds chaleur a une dotation en 2022 de 370 millions d’euros (relevée à 520 millions au printemps dans le contexte de la crise ukrainienne). Cela paraît faible devant les 24 Mds d’euros dépensés dans le bouclier tarifaire français sur le pétrole, l’électricité et le gaz pour l’année 2022 qui ne soutiennent aucune transformation du système énergétique.
8. Une évolution du rôle attribué par défaut à chaque filière est nécessaire
Les filières de la géothermie et du solaire thermique pourraient gagner en vitesse de développement, si les bureaux d'étude, notamment, les incluaient systématiquement dans leurs propositions de dimensionnement. En effet le plus souvent, elles sont considérées comme un appoint par rapport à une filière avec combustion, pour baisser légèrement l’empreinte carbone de la production de chaleur. Dans les faits, elles ont parfois la capacité de constituer la base du réseau ou du procédé industriel, voire la totalité de la production nécessaire, pour un bilan coûts / besoin en matériaux / émissions de gaz à effet de serre intéressant.
9. L’électrification est un vecteur de décarbonation qui doit être priorisé selon les secteurs
La SNBC prévoit une augmentation d’environ 30 % de la consommation d’électricité entre 2019 et 2050. La décarbonation de certains secteurs comme les transports ou certains volets de l’industrie passe majoritairement par de l’électrification. La production d’électricité étant limitée, il est crucial de prioriser les usages pour lesquels elle a le plus d’impact, et qui ne peuvent être décarbonés autrement. En ce qui concerne la chaleur, on peut distinguer l’électrification directe (radiateurs électriques), de l’électrification indirecte (pompes à chaleur aérothermiques et géothermiques) qui présente un meilleur rendement. Il est également possible de produire directement de la chaleur décarbonée, ce qui permet à l’usager (industriel, collectivité, particulier) de s’affranchir de l’incertitude sur les prix et sur la disponibilité de l’électricité et modère la demande électrique.
10. Préserver (autant que possible) la biomasse
Le développement de ces filières de production de chaleur renouvelable sans combustion a un autre intérêt majeur : arbitrer une partie des conflits d’usage de la biomasse. Le bilan net de l’Utilisation des Terres, Changement d’Affectation des Terres et Forêt (UTCATF) en France en 2020 est un puits de 14 MtCO2e. Dans le Paquet Climat européen, la France s’est engagée à atteindre 34 MtCO2e net d’absorption par an dès 2030 pour ce secteur de l’UTCATF. La forêt constitue la principale contribution à l’absorption brute (30 MtCO2e en 2020, soit 75 % des absorptions), les terres cultivées et les zones artificialisées constitues les principaux émetteurs bruts. Or l'absorption de carbone par la forêt a diminué de presque 60 % en 12 ans (70 MtCO2e en 2008 à 30 MtCO2e en 2020). La forêt possède de plus un rôle essentiel dans la décarbonation de la construction, et de certains produits manufacturés. La filière bois-énergie, qui doit rester l'usage final le plus dégradé du bois, constituera toujours une part de production importante pour la chaleur renouvelable, mais gagnerait à ne pas être une solution par défaut, davantage un opportunisme local en fonction des sources d’approvisionnement disponibles et si d’autres filières ne peuvent pas offrir le même service.
Introduction
L’année 2022 nous a rendus témoins d’événements climatiques extrêmes sur tous les continents. La rentrée de septembre s’est tenue sur un fil entre tensions sur l’approvisionnement énergétique, autant en gaz qu’en électricité, et prix des marchés de l’énergie qui explosent. Forts de cette prise de conscience renouvelée que nos systèmes économiques et sociaux se basent avant tout sur l’énergie, citoyens, entreprises et administration publiques réaffirment leur volonté de “passer à l’action”. Les gouvernements français et européens attaquent de front des chantiers colossaux qui n’ont que trop tardé :
- Plus de sobriété ("faire moins pour consommer moins") ;
- Plus d’efficacité énergétique ("faire autant et consommer moins") ;
- Plus de bas-carbone ("produire en émettant moins de carbone l’énergie dont on a besoin").
Sobriété, efficacité et moins carboné sont, dans cet ordre, des leviers indispensables à activer rapidement et massivement pour lutter contre le changement climatique à la vitesse et à la hauteur nécessaire.
En France, le premier secteur consommateur d’énergie (30 % du total) et le plus émetteur de gaz à effet de serre (30 % du total) est le transport. Il constitue à ce titre le plus gros consommateur de la première énergie utilisée en France : le pétrole.
Si l’on considère les usages finaux de l’énergie, ce ne sont plus les transports mais les besoins en chaleur qui occupent la tête du podium (45 % de l’énergie finale).
C’est sur cette production de chaleur bas-carbone que nous allons nous pencher dans cette publication.
Produire de la chaleur, qui est la forme finale la plus dégradée de l’énergie, n’est pas en soit un défi technique. Ce qui l’est en revanche c’est de la produire au bon moment, à la bonne température, en quantité suffisante, la transporter efficacement, voire la stocker. Aujourd’hui, le fossile représente 60 % de la production de chaleur et c’est le gaz naturel qui permet en majorité de répondre à ces contraintes (40 % de la production de chaleur). Le caractère fortement émetteur de CO2 et la disponibilité limitée de cette source d'énergie poussent à chercher des substituts, et à se diriger vers la production de chaleur d’origine renouvelable, ou a minima bas-carbone.
Où en est la France sur le développement de la chaleur renouvelable ? Quelles sont les filières porteuses d’espoir ? Comment est-ce financé ? Est-on aligné avec la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) ?