Plan de “sobriété” : efficacité et anti-gaspillage ne veulent pas dire sobriété
Winter is coming. Pour y faire face, le gouvernement a annoncé son plan de sobriété[1] le 6 octobre dernier. Dénommé « Chaque geste compte », l’objectif est de réduire de 10 % notre consommation énergétique d’ici 2 ans (soit environ 150 TWh à économiser par rapport à 2021). Certes, la France n’a jamais autant parlé d’énergie depuis le dernier choc pétrolier, mais rappelons que nous subissons, encore une fois, notre dépendance aux énergies fossiles, notamment au gaz russe ainsi qu’à un manque de planification de notre système énergétique (énergies bas-carbone, et réduction de la consommation).
Confusion du gouvernement sur le terme de sobriété
1. Sobriété ne veut pas dire efficacité
Pour faire face au défi climatique, trois leviers s’offrent à nous pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) :
L’efficacité et la sobriété contribuent, toutes les deux, à une réduction de la consommation d’énergie, objectif visé par le gouvernement.
Zoomons sur la sobriété car elle comporte plusieurs nuances. Elle vise la tempérance dans nos usages énergétiques démesurés : un changement de comportement, de pratique ou de mode de vie qui génère une baisse de consommation d’énergie. Elle peut être divisée en trois catégories[2] :
- l’anti gaspillage : identifier les économies d’énergie venant d’usages ne rendant en réalité aucun service (ex : l’extinction du chauffage, des lumières ou des appareils en cas d’absence)
- la sobriété individuelle : réduire la consommation à l’échelle individuelle (ex : limiter ses achats à l’essentiel, acheter d’occasion plutôt que neuf, mettre un pull chez soi en hiver)
- la sobriété collective : organiser notre société pour inciter à des changements d’usage (ex : subventionner l’agro-écologie plutôt que l’agriculture utilisatrice d’engrais de synthèse et de produits phytosanitaires émetteurs de GES et d’autres polluants, développer les infrastructures pour donner priorité à la marche et au vélo dans les villes, rendre obligatoire pour tout objet susceptible d’être vendu d’être facilement réparable)
Tous ces leviers sont complémentaires et nécessaires à l’atteinte de l’Accord de Paris. Certains sont plutôt consensuels comme la chasse au gaspillage ; d’autres nous conduisent à débattre car des transformations profondes de nos modes d’organisation sont requises. Certains reposent sur la technologie ou la technique ; d’autres vont nécessiter que l’Etat organise les règles du jeu collectif.
Structurer le défi qui nous attend de cette manière donne ainsi la capacité aux citoyens de s’approprier l’action de demain. Or, le gouvernement confond tous ces leviers dans ce qu’il a appelé son “plan de sobriété” :
Il paraît essentiel d’utiliser le bon vocabulaire pour fixer un cap clair, à court terme (cet hiver) et à long terme (crise climatique), afin d’aider les Françaises et les Français à se saisir de ce sujet de façon intelligible.
2. Dans sa confusion, le gouvernement parle surtout d’anti-gaspillage et d’efficacité
Quand on analyse en détail les mesures de “sobriété” proposées par le gouvernement, on remarque qu’environ 3/4 d’entre elles sont en fait des mesures d’anti-gaspillage et d’efficacité. Ce n’est pas forcément une surprise car ces leviers font appel à des ressorts psychologiques consensuels. Tout le monde est d’accord pour ne pas chauffer un bâtiment vide ou remplacer une vieille ampoule par une LED. Par ailleurs, le gouvernement s’est surtout adressé aux entreprises plutôt qu’aux ménages, bien moins nombreuses et donc plus faciles à mobiliser.
Ce plan est une première étape, mais ne va pas assez loin
1. D’autres mesures sont déjà bien documentées
En amont de la présentation du plan de sobriété, l’association négaWatt[3] a proposé une cinquantaine de mesures pour parvenir aux 10% de réduction de consommation énergétique notamment sur le secteur des bâtiments résidentiels et tertiaires, représentant 45% des consommations françaises, en cumulé sur 2 ans[4].
Les propositions ont été retenues, à la fois pour être réalistes et applicables rapidement, mais aussi pour envisager la sobriété, sous toutes ses nuances, comme un levier de long terme indispensable. Pour chaque proposition, les gains énergétiques ont été chiffrés, et les conditions de mise en œuvre, qu’elles soient humaines ou techniques, qualifiées.
Nous avons analysé le niveau d’ambition du plan de sobriété du gouvernement avec celui porté par négaWatt. Sur un même périmètre, comparable à celui de l’étude de négaWatt[5], nous avons identifié les mesures également présentes dans le plan de sobriété du gouvernement. Ces dernières couvraient parfois un périmètre plus restreint. Par exemple, le 110 km/h sur autoroute n’est proposé que pour les agents de l’Etat utilisant leur véhicule de service lors de trajets professionnels non urgents. Nous avons alors recalibré les économies d’énergie de négaWatt sur le périmètre couvert par la proposition du gouvernement. Enfin, aucune mesure significative, qui n’aurait pas été proposée par négaWatt, n’a été recensée, hormis le décalage de 15 jours du début et de la fin de la période de chauffe, quand cela est possible et quand la température extérieure le permet[6].
En procédant ainsi, l’impact des mesures du plan de sobriété n’atteindrait que l’équivalent de 60% des économies d’énergie des mesures proposées par négaWatt (soit 35 TWh / an au lieu de 60 TWh). On est loin du compte.
Plusieurs mesures significatives proposées par négaWatt manquent à l’appel, et représentent donc un manque à gagner important d’économies d’énergie.
Notons également que les mesures du plan de sobriété sont parfois vagues et souvent non chiffrées. Par exemple, le gouvernement reprend la mesure proposée par négaWatt qui consiste à poser des limiteurs de débit sur les robinets et douches des logements, mais il ne précise pas les modalités opératoires, quels types de logements ils visent, quel gain énergétique est espéré. Pour ces mesures, nous avons été conservateurs en considérant 100% des gains énergétiques quantifiés par négaWatt.
2. Un plan pas à la hauteur de l’enjeu
On peut saluer la généralisation des concepts d’efficacité et d’anti-gaspillage énergétique, la concertation avec les différents types d’acteurs, et le fort plan de communication.
Néanmoins, plusieurs faiblesses sont clairement identifiées.
Premièrement, le mode opératoire repose, en grande partie, sur le volontariat. Le gouvernement propose des éco-gestes mais ne transforme pas le cadre collectif pour structurellement les faciliter. Conclusion : pas de garantie de résultat, avec un dilemme du prisonnier permanent. (Sans règle du jeu collective, l’individu maximise généralement son intérêt au détriment de l’intérêt général. Par exemple, il va s’opposer à la taxation de son billet d’avion alors qu’il faut s’organiser pour que le trafic aérien diminue au global.)
Et pourtant, beaucoup d’acteurs sont en attente :
- 58% des Français et Françaises ont bien compris qu’il faudra changer nos modes de vie, et 64% d’entre eux sont prêts à accepter ces changements s’ils sont partagés de façon juste entre tous les membres de notre société[7].
- Les entreprises avec lesquelles nous travaillons l’expriment également. Pourquoi pas payer plus cher l’énergie et les émissions de GES, mais seulement si les concurrents sont logés à la même enseigne, et qu’il y a de la stabilité et de la visibilité à long terme.
L’épouvantail invoqué est souvent la privation de liberté individuelle (pouvoir prendre l’avion, rouler en voiture, se chauffer au gaz fossile) mais la guerre en Ukraine nous prive déjà d’une partie de cette liberté, et d’autant plus quand nous sommes dépendants de notre voiture ou de notre chaudière au gaz.
L’arsenal de l’Etat permet bien plus qu’un simple appel au volontariat. Et il le fait déjà. Il incite en subventionnant l’isolation. Il contraint en interdisant le renouvellement des chaudières au fioul.
Deuxièmement, certaines actions liées à l’efficacité et l’anti-gaspillage peuvent rapidement être mises en place pour atteindre 10 à 20 % de réduction de consommation d’énergie[8]. Rien d’illogique à commencer par le plus facile mais ne faudrait-il pas jouer sur tous les fronts pour espérer atteindre plus rapidement les -10% ? Et à plus long terme, il faudra atteindre environ -50% d’ici 2050[8]. Ne faudrait-il pas alors entamer les transformations profondes de nos sociétés qui nécessitent nécessairement plus de temps pour être effectives ? Cela aurait l’avantage de nous préparer aux futures crises à venir, et ainsi d’éviter de subir.
La première ministre a clamé "La sobriété énergétique, ce n'est pas produire moins”. Petite incompréhension a priori : la sobriété individuelle et collective conduit bien à produire moins de biens matériels. Aucun doute là-dessus, c’est la physique qui nous le dit[8]. Et ça ne signifie pas un retour à la bougie mais simplement être plus malin pour ne pas gâcher l’énergie et les matériaux. Dans une économie du partage et du réemploi, on a recours à plus de travail mais à moins de ressources naturelles et d’énergie. A titre d’illustration, Decathlon a récemment lancé une expérimentation visant à proposer un abonnement plutôt que des achats ponctuels d’objets. Avec cet abonnement, vous avez la possibilité d’emprunter une gamme de produits toute l’année, en vous engageant à en prendre soin et à les ramener. Fini la raquette de tennis qui reste dans la cave 20 ans. Decathlon la récupère quand elle n’est plus utilisée, la reconditionne et la remet au pot commun. Et c’est gagnant-gagnant pour tout le monde et la planète, avec un modèle rentable et plus de services de qualité.
Le terme qui revient beaucoup dans la campagne de communication du gouvernement est la “chasse aux gaspillages”. Mais en y regardant de plus près, est-ce que le vrai gaspillage énergétique ne serait-il pas d’avoir organisé nos vies de telle manière à devoir se déplacer avec une tonne de métal et acheter 2/3 de vêtements pour ne pas les porter[9] ? Cela fait beaucoup d’énergie. A titre d’illustration, c’est l’équivalent de la production énergétique annuelle d’une ferme de panneaux solaires de 230 m2 pour fabriquer une seule voiture, et de 120 m2 pour le carburant d’une voiture sur une année[10].
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