Les scénarios SSP
Décryptage et recommandations d’utilisation pour une démarche d’adaptation au changement climatique
Avec le 6ème rapport d’évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), une nouvelle génération de scénarios climatiques permet de mieux appréhender les futurs possibles en termes de dérive climatique. Les scénarios dits SSP (Shared Socio-economic Pathways) viennent remplacer les scénarios dits RCP (Representative Concentration Pathways).
Cette publication propose de répondre aux questions suivantes :
- Pourquoi utiliser des scénarios climatiques ?
- Comment sont construits ces nouveaux scénarios ?
- Quelles différences et recoupements avec les anciens RCP ?
- Quels scénarios utiliser pour une démarche d’adaptation au changement climatique ?
Pourquoi utiliser des scénarios climatiques ?
Les scénarios permettent de probabiliser les risques physiques potentiels liés au changement climatique
Les risques physiques associés au changement climatique résultent des impacts causés par les phénomènes météorologiques et climatiques dont la fréquence et l’intensité sont modifiées par le changement climatique. Ces phénomènes, dits aléas climatiques, peuvent être des événements extrêmes ou des évolutions progressives, et l’ampleur de leur évolution dépendra des émissions futures de gaz à effet de serre (GES).
Lorsqu’on souhaite évaluer les risques physiques sur un site ou une organisation, il est nécessaire de qualifier la probabilité d’occurrence et l’intensité (ou gravité) de ce risque à travers trois facteurs : un facteur « aléa climatique », un facteur « exposition », et un facteur de « vulnérabilité » à cet aléa.
Figure 1 : L'"aléa climatique" est une des trois composantes du risque physique (Carbone 4 à partir d’OCARA).
Un aléa climatique est un phénomène ou un évènement climatique susceptible d’engendrer des dommages. Dans le cas du changement climatique, il peut être ponctuel et brutal (aléa dit « extrême ») ou progressif (aléa dit « graduel »).
L’exposition constitue les éléments qui sont exposés aux aléas (populations, sites, équipements etc.). Elle dépend de la localisation de l’objet d’étude (infrastructures, entreprise, plantations, approvisionnement…) et de la prise offerte aux aléas et à leur évolution.
La vulnérabilité climatique exprime la propension d’un objet d’étude à être impacté par un aléa climatique.
Ainsi, une des composantes essentielles d’une analyse des risques physiques liés au changement climatique est d’analyser l’évolution des aléas climatiques. Le changement climatique va induire l’évolution de l’intensité des aléas, induisant une évolution de la gravité des impacts potentiels et/ou l’évolution de la fréquence d’occurrence des aléas, induisant une évolution de la probabilité d’occurrence des impacts potentiels. Et puisque l’évolution des aléas climatiques dépendra des émissions futures de GES, l’utilisation de scénarios est indispensable. Mais alors, quel(s) scénario(s) choisir pour identifier les risques les plus importants pour une organisation ou un territoire ?
De l’utilité des scénarios dans l’analyse des risques climatiques
Dans le cadre d’une démarche d’adaptation au changement climatique, l’utilisation de projections climatiques, issues de scénarios, est incontournable : elles servent à étudier l’évolution future des aléas climatiques dans les zones dont dépend l’entreprise (pour ses sites propres et pour les processus en amont ou en aval de sa chaîne de valeur), à identifier les aléas dont l’évolution sera défavorable et les processus les plus exposés à ces évolutions.
À noter qu’une projection climatique est une estimation de l’évolution future des conditions météorologiques moyennes ou extrêmes. Contrairement aux prévisions météorologiques, les projections climatiques n’ont pas pour objectif de prévoir les conditions météorologiques à une date donnée et pour un lieu donné, mais d’estimer les probabilités d’observer tel ou tel changement sur une période temporelle (généralement 20 ans), dans un scénario prospectif donné et pour une région donnée.
Ne pas prendre en compte ces tendances implique une sous-estimation probable des risques liés aux impacts du changement climatique pour de nombreux aléas climatiques[1].
Figure 2 : Dans son dernier rapport, le GIEC insiste sur le fait que les impacts sur nos sociétés ne seront pas les mêmes en fonction des niveaux de réchauffement global[2].
Dans la section suivante, nous proposons un décryptage des scénarios utilisés par le Groupe I du GIEC, afin d’y exposer les sous-jacents à connaitre pour leur utilisation dans une démarche d’adaptation au changement climatique.
Dans les nouveaux rapports du GIEC, les scénarios RCP font place aux scénarios SSP
Vous avez dit SSP ?
Les chercheurs utilisent des modèles climatiques, c’est-à-dire des représentations numériques de la planète et des interactions entre ses différents réservoirs qui modulent le climat (l'atmosphère, les océans et les surfaces continentales), pour convertir les émissions de gaz à effet de serre en concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre, et donc en réchauffement futur et paramètres climatiques associés : ce sont les projections climatiques.
Ainsi chaque modèle climatique doit être « forcé » avec des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre pour fournir des niveaux de réchauffement. Inversement, chaque scénario d’émissions de gaz à effet de serre peut donc être associé à des niveaux de réchauffement potentiel en fonction des résultats des simulations à des horizons donnés.
Figure 3 - Illustration des étapes de génération des projections climatiques[3].
Les scénarios SSP (Shared Socio-economic Pathways) sont des narratifs, traduits en ensembles d'hypothèses socio-économiques (Population, Éducation, Urbanisation, PIB).Ces narratifs décrivent des évolutions alternatives de la société future en l'absence de changement climatique ou de politique climatique. Cinq narratifs ont été construits par le GIEC, chacun étant numéroté de 1 à 5 :
- Les SSP1 et SSP5 envisagent des tendances relativement optimistes pour le développement humain, avec des investissements substantiels dans l'éducation et la santé, une croissance économique rapide et des institutions qui fonctionnent bien. Cependant, le SSP5 suppose une économie à forte intensité énergétique et basée sur les combustibles fossiles, alors que la SSP1 prévoit une évolution croissante vers des pratiques durables.
- Les SSP3 et SSP4 envisagent des tendances de développement plus pessimistes, avec peu d'investissements dans l'éducation ou la santé, une croissance démographique rapide et des inégalités croissantes. Dans le SSP3, les pays donnent la priorité à la sécurité régionale, tandis que dans le SSP4, les grandes inégalités au sein des pays et entre pays dominent, conduisant dans les deux cas à des sociétés qui sont hautement vulnérables au changement climatique.
- Le scénario SSP2 envisage une trajectoire intermédiaire dans laquelle les tendances se poursuivent sans déviations substantielles.
Figure 4 : Les 5 grandes trajectoires socio-économiques des SSP[4].
Les projections climatiques sont présentées sur la base de ces scénarios, selon le terme « SSPx-y » avec x le numéro du SSP et y le niveau de forçage radiatif approximatif en 2100.
SSPx-y est l'abréviation d'un scénario, où x est le numéro (1 à 5) du scénario socio-économique SSP qui a été utilisée pour développer la trajectoire d'émissions, et y indique la valeur approximative du forçage radiatif (en W/m2) atteint à la fin du siècle. Un « scénario SSPx-y » est ainsi une trajectoire d’émissions de GES et de réchauffement associé.
Par exemple, le SSP2-4.5 est une trajectoire d’émissions de GES, dont les hypothèses socio-économiques sont compatibles avec un scénario tendanciel (SSP2). Cette trajectoire d’émissions induit un forçage radiatif de 4.5W/m2 en 2100, soit un niveau de réchauffement d’environ 2,7°C par rapport à la période préindustrielle.
Les 5 scénarios principaux du GIEC
Ce 6ème rapport a choisi d’évaluer la réponse du climat à cinq scénarios socio-économiques qui couvrent l'éventail des développements futurs possibles des facteurs anthropiques du changement climatique trouvés dans la littérature. Les cinq scénarios retenus par le GIEC sont les suivants :
- Deux scénarios avec des émissions de GES élevées et très élevées SSP3-7.0 et SSP5-8.5
- Un scénario avec des émissions de GES intermédiaires : SSP2-4.5
- Deux scénarios avec des émissions de GES très faibles et faibles : SSP1-1.9 et SSP1-2.6
Aucune projection présentée dans le résumé pour décideur ne dérive du scénario SSP4, mais le CMIP6 fournit un set de données pour 9 scénarios dont 2 issus du SSP4 (SSP4-3.4 et SSP4-6.0).
Figure 5 - Trajectoires de réchauffement planétaire selon les cinq scénarios SSPx-y retenus dans le résumé pour décideur du GIEC[5].
Les niveaux de réchauffement correspondants sont les suivants :
Court terme : 2021-2040 | Moyen terme : 2041-2060 | Long terme : 2081-2100 | |
SSP1-1.9 | 1,5 | 1,6 | 1,4 |
SSP1-2.6 | 1,5 | 1,7 | 1,8 |
SSP2-4.5 | 1,5 | 2,0 | 2,7 |
SSP3-7.0 | 1,5 | 2,1 | 3,6 |
SSP5-8.5 | 1,6 | 2,4 | 4,4 |
Figure 6 – Niveaux de réchauffement par scénario et par horizon (en °C, « best estimate »)[6].
Que nous apportent les SSP par rapport aux RCP ?
Les scénarios de réchauffement utilisés précédemment étaient les RCP « Representative Concentration Pathways », profils représentatifs d’évolution de concentration de GES.
Les scénarios SSP « Shared Socioeconomic Pathways » sont davantage représentatifs des trajectoires socio-économiques potentielles. Pour ces scénarios SSP, les modèles IAM ont quantifié à la fois les paramètres économiques futurs (utilisation de l'énergie, utilisation des terres, population, etc.) et les émissions futures de GES. A chaque RCP peut donc être associés plusieurs SSP, car un niveau d’émission de gaz à effet de serre donné peut correspondre à plusieurs types de développement socio-économiques.
S’il y a une correspondance quasi directe entre certains RCP et certains SSP, le nouveau jeu de scénarios apporte 2 éléments complémentaires :
- Deux nouveaux scénarios de réchauffement :
- le SSP3-7.0 "sans politique climatique supplémentaire"
- et le SSP1-1.9 conforme à l’objectif de 1,5°C de l’accord de Paris.
- Une information sur la « vraisemblance » des scénarios de réchauffement à travers les trajectoires socio-économiques associées supposées (voir plus bas).
Le GIEC se concentre ensuite sur cinq scénarios principaux (SSP1-1.9, SSP1-2.6, SSP2-4.5, SSP3-7.0 et SSP5-8.5) pour assurer un certain recoupement avec les niveaux de forçage radiatif des RCP à l'horizon 2100. Le Tableau 1 présente la correspondance approximative entre les scénarios SSP et les scénarios RCP.
Scénario SSP | Scénario RCP le plus proche | Commentaire |
SSP1-1.9 | Pas de scénario RCP équivalent | |
SSP1-2.6 | RCP2.6 | Le RCP2.6 induit un réchauffement légèrement plus faible. |
SSP2-4.5 | RCP4.5 | Le scénario RCP6.0 est lui aussi proche du SSP2-4.5, jusqu’à 2050. |
SSP3-7.0 | Entre le RCP6.0 et le RCP8.5 | Dans SSP3-7.0, les émissions d’autres GES que le CO2 et d’aérosols sont plus élevées que dans n'importe lequel des RCP. |
SSP5-8.5 | RCP8.5 | Le scénario SSP5 est le seul narratif SSP dont les émissions sont suffisamment élevées pour produire un forçage radiatif de 8,5 W.m-2 en 2100. |
Tableau 1 – Correspondances entre les scénarios SSP et RCP retenus par le GIEC respectivement dans l’AR6 et l’AR5 (Carbone 4, adapté de l’AR6 WGI, Cross-Chapter Box 1.4, Table 1[7].
Point sur la notion de vraisemblance
La question de la vraisemblance des scénarios est légitime, en particulier si les conclusions issues de leur utilisation peuvent aboutir à des choix majeurs et des investissements importants. Nous présentons ci-dessous quelques clés de compréhension sur les scénarios à fortes émissions de GES.
- Le scénario SSP2-4.5 est un scénario tendanciel « business as usual », où le niveau d’émissions correspond à celui des Contributions Déterminées au niveau National[8], et où le rythme d’émissions ne subit pas de variations brutales majeures : il peut donc être considéré comme le plus probable.
- Le scénario SSP5-8.5 apparait comme probable entre aujourd’hui et 2050, il traduit l’échec des politiques d’atténuation et la continuité des tendances de consommation d’énergie primaire et de mix énergétique. Il apparait néanmoins comme peu probable à plus long terme, car il ne tient pas compte des effets de la dérive climatique sur les activités humaines (et donc sur les émissions) et il est « sans limite » sur la disponibilité en énergies fossiles et en ressources minérales. Il reste donc intéressant de l’étudier à horizon 2050 et à plus long terme pour les systèmes fortement sensibles aux aléas climatiques (ex : les villes côtières) ou très critiques pour les activités humaines (ex : une centrale nucléaire) ou encore à longue durée de vie (ex : les infrastructures).
- Le scénario SSP3-7.0 apparait lui aussi comme probable à horizon 2050 et peu probable à plus long terme, pour les mêmes raisons que pour le SSP5-8.5. À noter que c’est le scénario le plus pessimiste en matière de résilience climatique. Dans ce scénario, la croissance du PIB est la plus faible, le niveau d’éducation de la population est faible et la démographie élevée. Les émissions y sont élevées car les États privilégient la souveraineté énergétique à la coopération et la capacité d’adaptation des sociétés est faible car limitée par des conflits régionaux et des faibles avancées techniques.
Les scénarios SSP1-1.9 et SSP1-2.6 correspondent à des trajectoires socio-économiques qui supposent un pic des émissions autour de 2020, puis une diminution significative des émissions après 2020. A ce stade, ces 2 scénarios semblent donc peu probables.
Il est important de noter qu’il ne faut pas confondre vraisemblance du scénario et probabilité d’atteindre tel ou tel niveau de réchauffement, qui peut être atteint par plusieurs trajectoires, issues de narratifs (et ensembles d’hypothèses associés) différents. En particulier, une dérive climatique de +4°C à la fin du siècle n’est pas improbable et, dans une logique de précaution, il est indispensable d’anticiper un tel niveau de réchauffement. Par ailleurs, comme le signale le GIEC, le niveau de réchauffement associé à chaque scénario correspond au niveau médian des simulations : les impacts médians du SSP5-8.5 pourraient très bien se matérialiser selon des trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre plus optimistes tels que le SSP2-4.5 si le système climatique montre finalement une sensibilité plus forte aux émissions.
Recommandations d’utilisation des scénarios climatiques pour une démarche d’adaptation
Dans le domaine de la gestion des risques, on cherche en priorité à se préparer et atténuer les risques les plus importants. En suivant cette approche, le choix du scénario est immédiat : le scénario SSP5-8.5 est le scénario de plus haute dérive climatique, où les aléas évolueront le plus défavorablement et donc où le niveau de risque serait le plus important.
Cependant, le passage à l’action et donc à la mise en place de mesures de gestion/prévention des risques nécessite une prise de décision qui s’appuiera également sur la notion de vraisemblance et donc probabilité d’occurrence des risques. Dans ce cas, le scénario SSP2-4.5 parait alors le plus adapté.
Par ailleurs, prendre uniquement le scénario le plus pessimiste sur le plan des émissions de GES n’est pas nécessairement le choix le plus intéressant. En effet, ce choix a le désavantage d’effacer la notion de prospective inhérente aux scénarios climatiques, puisqu’une seule vision est considérée et il peut y avoir un amalgame entre prospective et prévision.
De plus, ce choix peut avoir des effets indésirables, tel que le découragement des équipes face à l’ampleur du problème, la remise en cause de la vraisemblance du scénario par les décideurs induisant un retard dans l’action, ou encore (pire) l’abandon des efforts sur l’atténuation pour se concentrer exclusivement sur l’adaptation. L’approche peut donc être affinée comme suit.
Les horizons
Une pratique importante dans l’utilisation des scénarios climatiques est d’adapter l’horizon d’analyse au système étudié. Cela permet de planifier la réponse à la dérive climatique selon un agenda en ligne avec les projections climatiques. C’est d’ailleurs une recommandation de la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD)[9].
Figure 7 : Exemples de durées de vie moyennes et potentielles des bâtiments et d’équipements consommateurs d’énergie[10].
Par exemple pour un nouveau projet d’infrastructures ferroviaires, l’horizon d’étude devrait être autour de 2090 ; alors que pour l’achat de nouveaux équipements électroniques, un horizon à 2035 ou 2050 peut être plus adapté.
Enfin, pour les analyses qui nécessitent une vision de long terme (>2050), il peut être utile d’étudier l’évolution du climat pour des horizons intermédiaires afin de planifier les actions sur plusieurs échéances (voir OCARA et la notion de trajectoire d’adaptation).
En pratique, les projections climatiques disponibles sur les portails officiels[11] imposent en quelque sorte les horizons d’analyse : 2021-2040 (qu’on appelle communément 2030 par simplification), 2041-2060 (i.e. 2050), 2081-2100 (i.e. 2090).
Les scénarios
Nous recommandons d’utiliser à minima deux scénarios, pour capturer la sensibilité des risques à l’utilisation des scénarios (qui n’est pas nécessairement proportionnel au niveau de réchauffement !) parmi lesquels :
- Un scénario tendanciel « business as usual » : le SSP2-4.5
- Un scénario pessimiste : le SSP3-7.0 ou le SSP5-8.5.
Le choix du scénario pessimiste peut être suggéré par le système étudié, en fonction de sa criticité, sa vulnérabilité et exposition aux aléas climatiques et son lien de dépendance forte avec d’autres entités ou parties prenantes.
- Nous recommandons le SSP5-8.5 pour les actifs et systèmes critiques, c’est-à-dire pour les objets qui doivent résister aux aléas les plus intenses.
- Nous recommandons le SSP3-7.0 pour envisager le pire dans une vision systémique des risques (pas uniquement climatiques donc), c’est-à-dire en utilisant à la fois le narratif du scénario et ses conséquences physiques pour anticiper des impacts protéiformes et interreliés. Par exemple pour un industriel avec une longue chaîne de valeur, car les sources de discontinuité d'activité sont de plusieurs ordres (climatique, instabilité politique, concurrence sur les ressources, etc.).
La disponibilité des données
Aujourd’hui la plateforme du GIEC propose de visualiser :
- les projections globales (maille de 50km) issues des 4 familles de scénarios SSP (tous sauf le SSP1-1.9),
- et les projections régionalisées (CORDEX, maille d’environ 50km) issues des scénarios RCP (tous sauf le RCP6),
- pour les trois horizons : 2021-2040 (qu’on appelle communément 2030 par simplification), 2041-2060 (i.e. 2050), 2081-2100 (i.e. 2090).
Il est fort probable que le SSP3-7.0 soit peu utilisé dans les années à venir par défaut de données régionalisées et d’équivalence avec les RCP. En effet, le SSP3-7.0 n’a pas d’équivalent dans le jeu de scénarios précédents des RCP. Les seules données de projections climatiques disponibles sont donc celles issues des dernières simulations globales (CMIP6) à une résolution de 50km. Tandis que pour les autres scénarios comme le SSP4-8.5, il est possible d’utiliser le jeu de simulations du scénario équivalent RCP 8.5 qui est utilisé par les chercheurs depuis 2013 et qui a donc pu bénéficier d’exercices de régionalisation des données. Aussi pour ces scénarios avec équivalent RCP, des données plus robustes à 12km (voire plus, par exemple 8km en France) existent et sont utilisées préférentiellement.
De la même manière les modèles d’impacts comme les modèles hydrologiques (qui modélisent les débits de rivière) ont pu être forcés avec les anciens scénarios RCP qui étaient à leur disposition. Il faudra attendre quelques années avant que les différentes communautés actualisent leurs résultats avec les nouveaux scénarios SSP.
Une bonne illustration est le cas de l’eau en France : l’impact du changement climatique sur les ressources en eau (débit des rivières et recharge de nappes) a été étudié en 2010 à l’échelle nationale, c’était le projet EXPLORE 2070. A l’époque, ce sont les projections issues des scénarios SRES (les scénarios ayant précédé les RCP) qui ont été utilisés. En juillet 2021[12] vient d’être lancée la suite du projet EXPLORE, c’est-à-dire la mise à jour des résultats au regard des nouvelles simulations. Il faudra attendre encore quelques mois ou années (publication des données entre fin 2022 et 2024) pour pouvoir utiliser ces nouveaux jeux de données.
Alternative : raisonner en niveau de réchauffement
C’est l’approche adoptée par le Groupe II du GIEC, qui travaille sur la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique. Raisonner en niveaux de réchauffement permet de s’affranchir des limites liées aux scénarios, car plusieurs scénarios permettent d’atteindre le même niveau de réchauffement et, concrètement, c’est le niveau de réchauffement qui définit l’évolution des aléas climatiques. Les niveaux de réchauffement par horizon et par scénario présentés en Figure 6 montrent bien que tous les scénarios projettent un réchauffement autour de 1,5°C à horizon 2035. Ce n’est qu’à plus long terme que les scénarios divergent fortement.
Ainsi, pour une analyse des risques physiques, nous recommandons alternativement d’utiliser :
- Un niveau de réchauffement de 1,5°C à court terme (qui sera donc atteint dès 2030 quel que soit le scénario)
- Un niveau de réchauffement de 2°C à moyen terme (soit l’équivalent du SSP2-4.5 à horizon 2050, ou SSP4-8.5 à horizon 2040)
- Un niveau de réchauffement de 4°C à long terme
Figure 8 - Évolution de la température moyenne par rapport à la période préindustrielle (1850-1900), pour un niveau de réchauffement global de 1,5°C (gauche), 2°C (milieu) et 4°C (droite)[13].
Les groupes de travail du GIEC
En préambule de ce décryptage, nous rappelons que les trois groupes de travail du GIEC travaillent avec des ensembles de scénarios différents.
Le Groupe I travaille sur les bases physiques du climat et analyse les climats passés, présents et futurs. Il évalue des simulations de modèles climatiques, dont sont issues les projections climatiques. Le Groupe I travaille avec des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre : anciennement les RCP (Representative Concentration Pathways), et dernièrement les SSP (Shared Socio-economic Pathways). Sur la base de ces trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre, le Groupe I réalise les projections climatiques associées. À noter que ces scénarios d’émissions sont fournis au Groupe I par le Groupe III.
Le Groupe II travaille sur la vulnérabilité des sociétés humaines, des écosystèmes et des systèmes socio-économiques face à la dérive climatique, les conséquences du changement climatique, et les options d’adaptation. Le Groupe II travaille principalement avec des niveaux de réchauffement global (1.5°C, 2°C, 4°C, …) et ces derniers peuvent être atteints par des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre différents.
Le groupe III étudie l’atténuation du changement climatique, l'évaluation des méthodes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d'élimination des gaz à effet de serre de l'atmosphère. Il travaille donc à l’élaboration de scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, qu’il transmet au Groupe I pour les simulations climatiques, mais en établit aussi d’autres afin de couvrir un ensemble plus large et plus varié d'hypothèses et de résultats modélisés, notamment pour les scénarios à faibles émissions (scénarios de transition).
Construction des nouveaux scénarios, les SSP
Les scénarios SSP (Shared Socio-economic Pathways) sont des narratifs, traduits en ensembles d'hypothèses socio-économiques (Population, Éducation, Urbanisation, PIB).Ces narratifs décrivent des évolutions alternatives de la société future en l'absence de changement climatique ou de politique climatique.
Les hypothèses socio-économiques sous-jacentes à chaque SSP sont utilisées comme données d’entrées pour les modèles économiques dits IAM (Integrated Assessment Models), qui vont traduire les conditions socio-économiques du SSP considéré en estimations des caractéristiques de la consommation d'énergie et des émissions de gaz à effet de serre futures. Ces modèles sont donc des modèles économiques et non physiques.
Deux types de trajectoires d’émissions de GES sont issues des IAM, les scénarios de référence, et les scénarios de transitions.
Les scénarios de référence sont obtenus en appliquant les conditions socio-économiques d'un SSP à un modèle IAM, sans ajouter aux simulations des politiques d'atténuation du changement climatique supplémentaires à celles déjà engagées. Ces simulations n’intègrent pas non plus de boucle de rétroaction du climat vers l’économie (par exemple la dégradation du PIB du fait de l’augmentation de l’intensité et fréquence d’évènements extrêmes).
Les scénarios de transition sont obtenus en ajoutant une condition de plus aux IAM : le forçage radiatif en 2100 visé. On utilise alors les Shared Policy Assumptions (SPA), un ensemble d’hypothèses pour modéliser les mesures politiques et la rapidité de la collaboration internationale en matière d’atténuation.
Ainsi, les scénarios de référence servent de contrefactuels pour évaluer l’impact d’une politique climatique, en comparant les émissions avec un scénario de transition, pour un scénario SSP donné.
Figure 9 : Schéma simplifié de la génération de scénarios SSPx-y par le Groupe III du GIEC. Dans cet exemple, le scénario SSPx est le narratif, SSPx-y1 est le scénario de référence associé et SSPx-y2 est un scénario de transition possible.
Les chercheurs utilisent enfin des modèles climatiques,c’est-à-dire des représentations numériques de la planète et des interactions entre ses différents réservoirs qui modulent le climat (l'atmosphère, les océans et les surfaces continentales), pour convertir les émissions de gaz à effet de serre (sorties des modèles IAM) en concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre, et donc en réchauffement futur et paramètres climatiques associés : les projections climatiques.
De nombreuses institutions produisent des modèles climatiques globaux. Ces modèles sont donc forcés avec les scénarios d’émission de gaz à effet de serre comme les SSP. Le projet d’intercomparaison des modèles couples (CMIP en anglais : Coupled Model Intercomparison Project) coordonne les travaux de consolidation et harmonise les résultats entre ces différents modèles climatiques (plus d’une vingtaine). Ce sont ces projections climatiques qui sont évaluées dans le 6ème rapport d’évaluation du GIEC.
Ce 6ème rapport reprend donc les résultats du CMIP et analyse la réponse du climat à cinq scénarios qui couvrent l'éventail des développements futurs possibles des facteurs anthropiques du changement climatique trouvés dans la littérature. Les cinq scénarios retenus par le GIEC sont les suivants :
- Deux scénarios avec des émissions de GES élevées et très élevées SSP3-7.0 et SSP5-8.5
- Un scénario avec des émissions de GES intermédiaires : SSP2-4.5
- Deux scénarios avec des émissions de GES très faibles et faibles : SSP1-1.9 et SSP1-2.6
Aucune projection présentée dans le résumé pour décideur ne dérive du scénario SSP4 bien que les simulations existent pour tous les scénarios.
Figure 10 - Trajectoires d’émissions de CO2 selon les cinq scénarios retenus dans le résumé pour décideur du 6ème rapport d’évaluation du GIEC, Groupe I[14].
Construction des précédents scénarios, les RCP
Les scénarios RCP (Representative Concentration Pathways) sont des trajectoires de concentration de gaz à effet de serre. Les scientifiques ont défini ex ante des profils d’évolution de concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. À partir de ces profils de référence, le Groupe I et le Groupe III ont travaillé simultanément et en parallèle : les climatologues (Groupe I) ont produit des projections climatiques utilisant les RCP comme entrée, tandis que les sociologues et les économistes (Groupe III) ont élaboré des scénarios débouchant, en sortie, sur des émissions de gaz à effet de serre cohérents avec les RCP.
Quatre scénarios ont été sélectionnés par le GIEC sur la base de plusieurs centaines de scénarios publiés[15] : RCP 2.6, RCP 4.5, RCP 6.0 et RCP 8.5. L'inter-comparaison CMIP5, évalué dans le 5ème rapport du GIEC, a développé des futurs climatiques basés sur les trajectoires d'émissions et de concentration des RCP.
Figure 11 - Émissions de CO2 dans les RCP (lignes) et catégories de scénarios associées utilisées dans le Groupe III (zones colorées). Les catégories de scénarios du Groupe III témoignent du large éventail de scénarios d'émissions publiés dans la littérature scientifique et sont définies sur la base des niveaux de concentration de CO2-eq (en ppm) en 2100[16].