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23 octobre 2024
Auteurs et autrices : Florine Ollivier-Henry

Rencontre avec Anne Rostaing, Directrice Générale de La Coopérative Carbone La Rochelle

Carbone 4 s’est entretenu en octobre 2024 avec Anne Rostaing, directrice générale de La Coopérative Carbone La Rochelle.

La Coopérative vise à accélérer la transition bas carbone de son territoire en impliquant entreprises, institutions publiques et citoyens dans le financement et la mise en œuvre des projets de réduction des émissions et de développement de puits de carbone sur le territoire. 

Les expérimentations en cours sur le développement de puits de carbone sur des projets de rénovation ou de bâtiments neufs permettront de clarifier le rôle des acteurs immobiliers dans la transformation bas carbone des territoires dans lesquels ils sont implantés.

Carbone 4 : Comment l’initiative s’est-elle créée et à quels enjeux répond-elle ?

Anne Rostaing : La coopérative est née il y a 4 ans avec pour vocation d’accélérer la transition bas carbone du territoire de la Nouvelle-Aquitaine. Elle répond à deux missions : accompagner la réduction des émissions des acteurs locaux du territoire au travers de projets individuels et collectifs ; et développer des puits de carbone locaux de type forestier, agricole et immobilier (usage de matériau réemployé ou biosourcé au sein de projet immobilier) et, plus récemment, des zones humides. Il s’agit d’une SCIC[1] sans objectif de résultat économique, les mots d’ordre sont l’utilité et la traçabilité !

Carbone 4 : Qui assure le suivi et la labellisation des projets financés ?

Anne Rostaing : Dans le cadre du Label Bas Carbone[2], un système d’audit est mis en place mais il n’intervient qu’au bout de cinq ans. Selon nous ce n’est pas suffisant. C’est l’intérêt d’être ancré dans un territoire à proximité des projets, nous pouvons assurer un suivi régulier, a minima tous les ans. Nous sommes en contact avec les porteurs de projet mais aussi avec des experts pour réaliser les diagnostics et mesures (par exemple mesurer l’épaisseur de l’isolant pour un projet de rénovation de bâtiment).

Carbone 4 : Quel rôle jouent les entreprises dans le montage des projets ? 

Anne Rostaing : Les entreprises jouent souvent un rôle de financeur, mais elles sont rarement réduites à ce rôle. Leur implantation au sein du territoire les engage, de sorte qu’elles sont souvent motrices sur le choix des projets à financer et orientent les co-bénéfices des projets. Enfin, les entreprises peuvent aussi être elles-mêmes porteuses de projets.

Les entreprises ne sont pas les seuls financeurs, les institutions publiques et les citoyens peuvent également contribuer à la hauteur de leur capacité financière.

Carbone 4 : Comment est fixé le prix carbone des projets ?

Anne Rostaing : Il faut estimer les surcoûts du projet, les coûts d’abattement (cf encadré ci-dessous). Ceux-ci sont parfois trop élevés par rapport au prix du carbone du marché, qui oscille entre 38 et 100 € / tCO2e sur nos projets. Des expérimentations sont justement menées pour évaluer les coûts d’abattement des projets et les organisations financeuses à cibler. C’est ce que nous faisons actuellement sur des projets du secteur du bâtiment.

Carbone 4 : Vous contribuez donc au développement de projets de puits de carbone dans le bâtiment : pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Comment ces projets sont-ils nés, quel sont-ils et comment peuvent-ils aider des acteurs fonciers dans l'atteinte de leurs objectifs climat ?

Anne Rostaing : Le but de la coopérative était de travailler avec l’ensemble des acteurs du territoire donc cela inclut nécessairement les acteurs immobiliers. Dans le secteur du bâtiment, il y a des projets qui peuvent générer des réductions d’émissions (rénovation énergétique par exemple) mais également générer des crédits carbone qui permettent de séquestrer du carbone et dont la certification dépend des méthodes du Label Bas Carbone (LBC)[1] qui valorise l’usage de matériaux de réemploi et biosourcés en projet de rénovation et l’usage de matériaux biosourcés en bâtiment neuf.

Nous menons une expérimentation sur cinq projets pilotes avec ICADE et le CSTB, de logements et bâtiments tertiaires,  afin de tester la méthode LBC rénovation et obtenir des indicateurs sur les types de projets générant le plus de bénéfices carbone, sur les coûts d’abattement associés et étudier les autres co-bénéfices.

Ces projets immobiliers permettront d’offrir un portefeuille de projets locaux mais ces types de projets ne suffisent pas pour répondre aux objectifs de séquestration carbone. Une oppération immobilière de ce type stocke environ 20 à 500 tCO2e maximum, ce qui équivaut au gain que l’on peut trouver sur nos projets d’exploitation agricole, qui ont aussi vocation à améliorer les sols et à fournir des denrées alimentaires. L’étude des co-bénéfices est indispensable pour valider l’intérêt des projets. Les projets sont pensés dans la logique suivante : réduire à son échelle, accompagner sur sa chaîne de valeur et aider hors de sa chaine de valeur, sans quoi l’action serait insuffisante, et toujours dans une approche territoriale. Pour les projets immobiliers, nous mettons en particulier en avant la régénération des espaces naturels aux alentours du bâtiment. 

Carbone 4 : Quels retours d'expérience avez-vous pu tirer de l'implémentation de l'initiative ?

Anne Rostaing : Tout d’abord, le modèle de coopérative reflète parfaitement ce que nous voulons promouvoir : inclure tout le monde dans la gouvernance de la coopérative, acteurs privés ou publics, collectifs ou citoyens, de sorte à responsabiliser l’ensemble de ces acteurs dans la transition d’un territoire.

Nous entrons dans notre quatrième année d’activité et je peux témoigner du sens que cette responsabilisation a prise : 

  • Les citoyens impliqués apportent la main d’œuvre sur les chantiers participatifs, assurant l’intérêt du projet pour les habitants du territoire et un coût raisonnable des chantiers ;
  • Les collectivités locales assurent un cadre via leur stratégie locale, définissent les règles d’urbanisme et protègent le foncier ;
  • Les entreprises engagées financent les projets et échangent entre elles pour assurer la transition du territoire mais aussi leur propre trajectoire de réduction carbone.

Je remarque une synergie stimulante : l’implication et la coordination des trois parties au travers de notre coopérative permet d’encourager les initiatives de transition et de moins laisser la place à la procrastination.

Notre approche a peu évolué par rapport à ses débuts, nous répondons aux demandes pour aider à la création et au financement de projets de transition.

Carbone 4 : Quel avenir pour la coopérative ?

Anne Rostaing : Notre structure n’a pas vocation à grandir. En soit, si les objectifs carbone sont atteints, nous n’aurons plus de raison d’exister : les projets compatibles avec un monde bas carbone existeront et les structures seront autonomes dans leur gestion. L’enjeu dans les années à venir réside dans la pérennisation des initiatives si elles deviennent de plus en plus nombreuses avec des coûts d’abattement potentiellement plus élevés.

Au-delà de notre propre coopérative, l’avenir des coopératives carbone est en train de se dessiner avec la création d’une fédération nationale des coopératives carbone. L’idée est portée par un réseau de coopératives locales comme la nôtre et l’objectif est de mutualiser le maximum de ressources et de connaissances pour diminuer le coûts des projets, partager les bonnes pratiques et in fine accélérer la transition.

 


➡️ Retrouvez les entretiens avec Icade et Seqens, qui reviennent sur leur démarche respective en matière de transition et d'atteinte de la neutralité carbone. 


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Portrait de Florine Ollivier-Henry
Florine Ollivier-Henry
Consultante Senior