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9 janvier 2023
Auteurs et autrices : César Dugast

Décret sur la neutralité carbone des produits : chronique d’une ambition dévoyée

Le décret relatif à la compensation carbone et aux allégations de neutralité carbone dans la publicité est entré en vigueur au 1er janvier 2023. Que faut-il en retenir ? Cet article propose un bref historique de l’élaboration de la loi et de son décret d’application, et une analyse de l’impact potentiel de cette disposition réglementaire.

Bref historique de l’adoption de la loi “neutralité carbone des produits” 

Dans sa version initiale de 2021, la loi Climat et Résilience prévoyait d’interdire purement et simplement les allégations de neutralité carbone, et plus généralement “d’affirmer dans la publicité qu’un produit ou service est neutre en carbone, dépourvu de conséquences négatives sur le climat, ou toute autre formulation ayant une finalité et une signification similaires”. Cette interdiction se fondait sur l’avis officiel de l’ADEME sur la neutralité carbone (avril 2021), qui considérait que la planète et les États étaient les seuls objets pouvant scientifiquement prétendre à un état de neutralité carbone. Le Sénat avait ensuite légèrement modifié la disposition afin de prévoir des exceptions pour les allégations reposant sur "des certifications fondées sur des normes et standards reconnus aux niveaux français, européen et international."

Puis, à la surprise générale, le passage en commission mixte paritaire de la loi Climat fin juillet 2021 a profondément transformé le texte, jusqu’à le rendre méconnaissable. D’une interdiction, la loi s’est alors muée en une autorisation sous conditions. Les critères à respecter pour avoir le droit de communiquer sur la neutralité carbone de ses produits ont été bâtis sur le modèle du “Mesurer-réduire-compenser”, une démarche en trois étapes créée à l’époque du désormais caduc Protocole de Kyoto (1997). La loi prévoit qu’il est possible pour une entreprise d’estampiller “neutre en carbone” n’importe lequel de ses produits ou services, dès lorsqu’elle met à disposition du public : 

“1° Un bilan d’émissions de gaz à effet de serre intégrant les émissions directes et indirectes du produit ou service ;

2° La démarche grâce à laquelle les émissions de gaz à effet de serre du produit ou service sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées. La trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre est décrite à l’aide d’objectifs de progrès annuels quantifiés ;

3° Les modalités de compensation des émissions de gaz à effet de serre résiduelles respectant des standards minimums définis par décret.”

C’est sous cette forme que le texte de loi a finalement été adopté fin juillet 2021, entérinant un net recul de l’ambition par rapport au texte originel, et une contradiction manifeste avec l’avis de l’ADEME sur le même sujet. 

Restait alors à fixer les critères exacts d’application de cette loi : c’est l’objet du décret entré en vigueur ce 1er janvier.

Le décret d’application échoue à rehausser le niveau d'ambition

Un projet de décret d’application de la loi relative à l’encadrement des allégations de neutralité carbone a d’abord été soumis à consultation publique début 2022, puis a été définitivement promulgué le 13 avril 2022, fixant une entrée en vigueur au 1er janvier 2023.

En tant que simple décret, ce texte ne pouvait pas pallier tous les défauts de la loi déjà adoptée, tels que la distance avec l’esprit initial du projet de loi (passage d’une interdiction de l’allégation à une autorisation sous conditions), le recours à la notion pourtant très critiquée de “compensation carbone” (une émission ne pouvant jamais être “annulée”), ou encore l’absurdité de la notion de réduction des émissions d’un produit (un objet, contrairement à une entreprise ou un État, pouvant difficilement réduire ses émissions). En revanche, le décret aurait pu exiger un niveau d’exigence suffisamment haut sur chacun des critères de la loi pour garantir l’existence des garde-fous nécessaires.

Malheureusement, les critères du décret se montrent très en-deçà de l’ambition requise. Par exemple, bien que le texte demande de calculer l’intégralité des émissions du produit en question, il se contente de demander l’établissement d’une “trajectoire de réduction” de ces émissions, sans exiger un rythme minimum de baisse. Or, l’Accord de Paris requiert en ordre de grandeur de réduire nos émissions mondiales de 5% à 7% par an.

Un autre exemple manifeste de manque d’ambition : l’entreprise se voit retirer son droit à l’allégation de neutralité “s’il est constaté que les émissions associées au produit ou service avant compensation ont augmenté entre deux années successives.” Or, il aurait paru logique qu’elle soit retirée dès lors que la réduction des émissions associées à ce produit ne va pas aussi vite que ce que le plan de réduction de l’entreprise avait prévu.

Dans un article précédent, Carbone 4 avait souligné que ce texte permettait implicitement l’existence d’objets “neutres en carbone” pourtant en contradiction évidente avec les objectifs de l’Accord de Paris. Par exemple, un SUV extrêmement gourmand en essence pourrait tout à fait devenir “neutre en carbone” en respectant scrupuleusement la loi, tant que le constructeur communique la totalité des émissions du véhicule, s’engage à leur réduction prochaine (sans obligation de résultat, ni d’ambition), et compense le tout (y compris avec des crédits à 10 centimes d’euros la tonne). Rappelons que les SUV ont été entre 2010 et 2021 la deuxième cause d‘augmentation des émissions planétaires.

L’exemple précédent montre que pour parvenir à une réelle transformation de notre environnement technique, seule manière de réduire drastiquement nos émissions, il serait bien plus efficace de prendre pour point de départ la compatibilité plus ou moins forte de tel ou tel produit avec l’ambition 1,5°C (comme le propose Carbone 4 avec son score de compatibilité avec l’Accord de Paris)  plutôt que d’autoriser les acteurs économiques à formuler des allégations hors-sol, dépourvues de sens, sur des produits incompatibles avec la transition.

Compte tenu de la méfiance légitime du public envers les allégations de neutralité carbone, des risques contentieux associés, et du caractère non trivial des éléments à rassembler pour se mettre en conformité, il semble probable que de nombreuses entreprises préfèrent se tourner vers des communications plus sincères et alignées avec la science, telles que celles proposées par le SBTi, l’ADEME ou la Net Zero Initiative. Il reste regrettable que les pouvoirs publics aient manqué une si belle occasion d’aider les entreprises à amorcer une réflexion sur la résilience de leurs produits et services vis-à-vis de la stratégie climat nationale.


Neutralité
Net Zero Initiative