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15 mars 2022
Auteurs et autrices : César Dugast, Florian Zito

Assignation en justice de TotalÉnergies : le procès d’une neutralité carbone en mal de transparence

Un an après l’affaire Grande Synthe, qui aura vu la condamnation de l’État pour inaction climatique[1], trois ONG –Les Amis de la Terre, Greenpeace et Notre Affaire à tous – assignent TotalEnergies en justice pour pratique commerciale trompeuse. Les trois collectifs reprochent au géant pétrolier d’induire le consommateur en erreur en se présentant comme « acteur majeur de la transition énergétique ». Pointant une incompatibilité entre ses orientations stratégiques et l’exigence d’une « baisse réelle et absolue de l’ensemble de ses émissions de gaz à effet de serre »[2], elles s’appuient sur plusieurs constats chiffrés et documentés : 

  1. les engagements consentis par TotalEnergies se limitent à ses seules émissions directes et occultent celles générées par l’usage de ses produits (c’est-à-dire la combustion des produits pétroliers et du gaz commercialisés), qui représentent pourtant l’essentiel de son empreinte carbone totale. Raisonner de la sorte reviendrait à considérer, pour donner un autre exemple, qu’un constructeur automobile peut atteindre la neutralité sans se soucier de diminuer la consommation de carburant de ses véhicules.
  2. les investissements engagés en faveur de la transition environnementale sont jugés insuffisants, l’entreprise prévoyant d’accroître sa production d’hydrocarbures d’ici à 2030.

Une communication sur la « neutralité » en mal de transparence

Le cas de TotalEnergies n’est pas isolé – la récente étude du Carbon Market Watch (Belgique) et du New Climate Institute (Allemagne) l’a montré avec brio[3] – et met en lumière le défaut de règles claires régissant la communication des entreprises à ce sujet. Le qualificatif « neutre », supposé permettre d’identifier les organisations exemplaires, masque en réalité des degrés d’investissements très inégaux (et souvent largement insuffisants). L’aspect systémique de la question, on le voit, est trop systématiquement occulté ; les entreprises se contentent trop souvent d’afficher une « neutralité » comptable, sur un périmètre arbitrairement petit, au lieu de se demander quelle devrait être leur place dans un monde ayant atteint le zéro émission nette, et les actions qu’elles devraient prendre pour accompagner cette transformation collective.

L’ambition portée par la Net Zero Initiative est de redonner toute sa substance à la notion de neutralité carbone, en œuvrant à la construction d’un référentiel clair pour jauger la crédibilité des déclarations : cette évaluation requiert une mesure exhaustive des émissions induites (prenant donc en compte le fameux scope 3, encore trop souvent occulté), un engagement à la hauteur des enjeux, tant en matière de réduction des émissions que d’investissement dans la séquestration et les activités vertes, et un respect des objectifs fixés. Complémentaire au travail déployé par d’autres instances comme l’ADEME[4] ou la SBTi[5], cette contribution concourt à une plus grande transparence sur ce sujet. 

« Justice climatique » :  le greenwashing, pari perdant

Mais si sur le fond, la charge portée à l’encontre de TotalEnergies est (tristement) banale, c’est l’intérêt suscité par l’action des trois organisations qui doit interpeller : à l’ère des réseaux et de la transparence, la communication des entreprises sur les questions environnementales fait désormais l’objet d’une vigilance nouvelle. La condamnation de l’État par la plus haute instance administrative pour non-respect de ses engagements climatiques[6] a ainsi rappelé une évidence simple : la communication ne saurait se limiter à un discours creux, hors de toute prise sur le réel. La stratégie des entreprises doit davantage intégrer cette exigence ; non seulement par nécessité morale, mais parce que la communication sur la neutralité carbone apparaît de plus en plus nettement pour ce qu’elle est, grâce au travail de vigilance mené par les organisations bénévoles et les interpellations publiques sur les réseaux sociaux. Le mode d’action juridique, combiné à la pression médiatique croissante, met le coup de projecteur sur une entreprise sommée de rendre des comptes sur la place publique, au risque de ternir son image. Faire le pari du greenwashing expose désormais à un risque bien trop coûteux pour être viable.


Neutralité
Net Zero Initiative
Empreintes carbones et reporting