Rapport Carbon Market Watch - New Climate Institute : les engagements « neutralité » de 25 multinationales passés à la loupe
C’est officiel : les entreprises neutres en carbone, c’est (souvent) n’importe quoi
C’est officiel : les entreprises neutres en carbone, c’est (souvent) n’importe quoi
Le 7 février dernier, les think tanks Carbon Market Watch (Belgique) et New Climate Institute (Allemagne) ont publié un rapport décryptant avec minutie les engagements de neutralité carbone formulés par 25 des plus grosses entreprises mondiales[1]. Pointant l’écart entre leurs allégations et la portée des engagements effectivement consentis, les auteurs, parmi lesquels figurent trois membres du groupe d’experts international de la Net Zero Initiative[2], mettent en lumière les nombreux travers relatifs aux allégations de « neutralité carbone » et de « net zéro » des entreprises. Leurs conclusions rejoignent ainsi celles qu’a exprimées Carbone 4 à plusieurs reprises dans divers articles et publications.
Première limite mise en évidence par leur rapport : la manière plus ou moins sérieuse de mesurer l’impact d’une activité sur le climat. 8 seulement des 25 entreprises examinées considèrent la totalité des émissions imputables à leur activité. En d’autres termes, les 17 autres excluent de leur périmètre des postes aussi cruciaux que la fabrication, l’utilisation et l’acheminement des matières premières ou des produits, alors qu’ils représentent souvent plus des deux tiers d’une empreinte carbone. Le scope 3 occulté, un constructeur automobile peut par exemple atteindre sa « neutralité » sans avoir à se soucier des émissions en sortie du pot d’échappement de ses véhicules. De même, sans scope 3, la « neutralité » d’un investisseur sera déterminée prioritairement par le remplacement de ses vieilles chaudières et ampoules dans ses locaux, et non par les émissions des activités qu’il finance, bien qu’il s’agisse de son modèle d’affaires...
Au-delà de ce flou sur le périmètre de mesure, cinq entreprises du panel prétendent viser la neutralité sans même s’engager à réduire leurs émissions de plus de 15%, chiffre à mettre en regard avec la réduction de 40 à 50% exigée d’ici 2030 par rapport à 2010, pour contenir le réchauffement à 1,5°C[3]. Neutres en 2050 ? Facile !
Troisième grief illustré par le rapport : une part prépondérante de la communication sur la neutralité repose encore sur la mal nommée « compensation », et ce en dépit des critiques abondamment formulées à son sujet[4]. 19 des 25 entreprises retenues fondent l’essentiel de leur engagement de neutralité sur cette approche controversée, sans toutefois préciser comment, ou sans fournir de garantie suffisante quant à la permanence des projets financés : leur qualité diffère pourtant fortement, selon qu’ils prennent en compte l’adaptation aux écosystèmes existants, les mutations climatiques à venir... Comme tout investissement, le financement de projets de séquestration est soumis à des aléas variant selon leur qualité, aléas d’autant plus cruciaux dans un système climatique en rapide évolution. Toute stratégie de neutralité doit à ce titre être assortie d’éléments clairs sur les moyens opérationnels (financiers, humains, techniques…) et sur la nature des projets envisagés, condition préalable à leur crédibilité.
La simplicité des mots « neutralité » ou « net zéro » leur confère une efficacité rhétorique indéniable mais conduit, faute de règles claires, à une communication ambigüe et simpliste. Car, et c’est tout le mérite de cette publication de le montrer, le mot « neutralité » recouvre des réalités et des actions extrêmement diverses, et ne peut par conséquent constituer à lui seul un gage de crédibilité. Ce constat souligne l’impérieuse nécessité de recourir à des instruments robustes pour évaluer et piloter les stratégies de neutralité, en particulier sur les sujets ayant trait à la séquestration, qui ne bénéficient pas encore du même degré de maturité que l’empreinte carbone. Ainsi que le résument Silke Mooldijk et Sybrig Smit, co-auteurs du rapport : « les régulateurs ne devraient pas compter sur la pression des consommateurs et des actionnaires pour conduire l'action des entreprises. Les entreprises doivent être soumises à un examen minutieux pour confirmer si leurs promesses et leurs revendications sont crédibles, et doivent être tenues responsables dans le cas où elles ne le sont pas ». La Net Zero Initiative entend y prendre sa part.
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