Net Zero Initiative - Le Guide Pilier C
Bâtir une stratégie de séquestration carbone à la hauteur des enjeux
Introduction
Objet du rapport
L’engouement des entreprises pour la « compensation », volontiers associée à l’objectif de « neutralité carbone », a largement contribué à l’attractivité des projets de séquestration de carbone auprès des entreprises. Nombre d’entre elles recourent désormais à l’achat de crédits carbone pour atteindre leurs objectifs, participant ainsi au rapide développement d’un secteur qui n’existait pas il y a encore vingt ans : celui des projets carbone.
Si la Net Zero Initiative est très critique de l’approche de « compensation », considérant que sa promesse d’annulation de l’empreinte carbone n’invite pas les acteurs à construire une stratégie climat globale rigoureuse et à la hauteur des enjeux, elle reconnait cependant l’importance d’investir dans des actions de séquestration dans une logique de contribution, regroupées sous le nom de « Pilier C », catégorie « C3 – Absorptions en-dehors de la chaîne de valeur » dans le référentiel. Elle reconnaît par ailleurs la nécessité de développer les puits de carbone à l’intérieur de la chaîne de valeur (catégories C1 – Absorptions directes et C2 – Absorptions indirectes) à un juste niveau, au sens défini au paragraphe 0.
La priorité d’une stratégie climat d’entreprise doit être mise sur le « pilier A », la réduction des émissions, mais si la séquestration (ou l’absorption de carbone) est bien « seconde » dans une stratégie carbone, elle n’en est pas pour autant négligeable ou accessoire. A l’échelle collective, étant donné qu’il devrait toujours subsister des émissions résiduelles, le développement des puits de carbone est nécessaire pour atteindre le net-zéro planétaire. En tant qu’émettrices de GES, les organisations ont toutes pour responsabilité de contribuer au juste niveau à la préservation et au développement des puits pour espérer atteindre collectivement la neutralité carbone à l’échelle planétaire. Quant aux organisations ayant spécifiquement un lien, direct ou indirect, avec le secteur des terres (sols, forêts), elles ont une responsabilité supplémentaire : celle de développer les puits « pour les autres », indépendamment de leur niveau d’émissions.
Le développement des puits de carbone peut par ailleurs apporter d’autres opportunités, notamment pour les communautés, la biodiversité, l’eau, la production durable de ressources, ou encore l’adaptation au changement climatique. La séquestration carbone est par là l’un des lieux où se nouent les multiples facettes de la crise (crise climatique, effondrement de la biodiversité, instabilités sociales et politiques, adaptation) provoquée par nos modèles de production et de consommation.
Bien que déterminante, cette diversité d’enjeux a parfois pu être masquée, notamment du fait de l’importance accordée à la « compensation », construite d’abord comme un problème comptable centré sur l’enjeu carbone, et pouvant parfois conduire à l’achat de « tonnes » indifférenciées, souvent au plus bas prix possible. L’objet de ce rapport est précisément de proposer des éléments méthodologiques pour la construction d’une feuille de route Pilier C qui prenne en compte la complexité des projets carbone, afin de promouvoir une approche de la séquestration alignant l’ambition de l’entreprise, l’objectif planétaire de neutralité, et la préservation des équilibres locaux.
Dans ses travaux antérieurs, la Net Zero Initiative propose des éléments méthodologiques pour agir sur ses émissions (« Pilier A »). Le référentiel recommande à chaque acteur d’évaluer son empreinte carbone (A.1- Mesure), de définir une trajectoire de réduction (A.2- Objectifs), et de définir puis mettre en place un plan d’action pour y parvenir (A.3- Feuille de route)[1]. Une méthode a par ailleurs été publiée pour la comptabilisation des émissions évitées par les produits et services vendus par l’entreprise (Pilier B2 - Mesure)[2] prolongée par une Guidance on Avoided Emissions développée en partenariat avec le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD)[3]. Ce rapport s’articule avec les publications précédentes pour s’inscrire dans une même logique pour le « Pilier C » : après avoir proposé une méthodologie pour définir une trajectoire de séquestration carbone (« Objectifs », en 2021)[4], et en parallèle d’un travail sur l’évaluation des séquestrations carbone (« Mesure », en 2023), ce document propose un cadre d’analyse pour bâtir un plan d’action « Pilier C » (« Feuille de route »).
Périmètre des actions visées par le présent rapport
Les projets visés dans le présent rapport concernent l’accroissement des puits et non leur préservation
Les puits de carbone sont des écosystèmes dynamiques (exemple : forêt, mangrove, parcelle agricole, prairie), parfois considérés partiellement (exemple : sols agricoles). Ils sont capables à la fois :
- De capturer du CO2, c’est-à-dire de le retirer de l’atmosphère (fonction « flux d’absorption »)
- De stocker durablement le carbone capté, par exemple sous forme de biomasse (fonction « réservoir »).
Le potentiel de captation comme de stockage est toujours limité : lorsque le « réservoir » est plein (exemple : forêt mature), le puits ne peut pas capter davantage de CO2 ; l’enjeu est alors d’éviter le relargage du carbone dans l’atmosphère (par exemple : éviter la déforestation). Ainsi, on distingue deux catégories dans la gestion des puits de carbone à fins d’atténuation du changement climatique :
- Les actions de séquestration de CO2, ou d’absorption de CO2, visant à favoriser la captation de carbone. Elles correspondent au Pilier C de la NZI, en ce qu’elles reviennent à faire grandir le flux correspondant à la flèche 2 sur le schéma ci-dessous. Ces actions sont celles visées par le présent rapport.
- Les actions de conservation, de réduction de dégradation ou de dégradation évitée, visant à maintenir durablement des stocks de CO2 existants, et donc à réduire ou éviter des émissions de CO2. Elles correspondent aux Piliers A et B de la NZI (en fonction du point de vue), car elles reviennent à réduire ou stabiliser le flux correspondant à la flèche 1 sur le schéma ci-dessous. Ces actions, bien qu’elles soient cruciales pour parvenir à la neutralité carbone planétaire, pour la biodiversité, et les sociétés humaines, sont exclues du champ de ce rapport dédié au pilier C.
Ce rapport se concentre en outre sur les projets de séquestration naturelle uniquement.
Sont ici considérées les actions additionnelles, c’est-à-dire qui contribuent directement à l’accroissement du potentiel de séquestration
Ce rapport se concentre sur la mise en place d’actions visant à générer des séquestrations additionnelles, c’est-à-dire qui n’auraient pas eu lieu sans la mise en place de ces actions. Autrement dit, il se place dans une logique d’intervention, par opposition à une logique d’inventaire[5]. L’approche préconisée ici est ainsi similaire à celle portée par le référentiel SBTi FLAG, qui évalue la contribution des entreprises à la séquestration à l’aune de son intervention. Il est néanmoins à noter que, si ce guide cherche à outiller les organisations pour le développement de puits additionnels, les puits non-additionnels figurent également dans le reporting du pilier C (voir à ce sujet le Guide pilier C à paraître sur la mesure, ainsi que le GHG Protocol on Land and Removals).
Les modalités d’action visées par le présent rapport sont diverses, et ne concernent pas seulement les crédits carbone
On utilisera le terme « projet » au sens d’un ensemble d’actions mises en place pour générer des séquestrations additionnelles, sans qu’il s’agisse nécessairement d’un « projet carbone » certifié dans le cadre du marché volontaire. En effet, si la séquestration carbone est souvent associée à l’achat de crédits, les actions envisageables en la matière ne se limitent pas à la contribution à des projets proposés sur le marché du carbone volontaire. Les actions déployées peuvent ainsi être :
- Mises en place via un projet réalisé par un tiers ou directement par l’entreprise et/ou ses fournisseurs (exemple : financement de la conversion d’un fournisseur à l’agroforesterie).
- Localisées aussi bien hors de la chaîne de valeur, comme c’est le cas pour la plupart des projets carbone (exemple : financement de restauration d’une mangrove pour une entreprise de conseil) que dans la chaîne de valeur (exemple : financement d’un projet forestier pour une entreprise produisant des chaudières à pellets). Ces dernières, bien que souvent plus complexes, permettent également à l’entreprise de tirer parti de son investissement (voir 3.2).
- Être quantifiées et formalisées via des crédits carbone, ou via d’autres méthodes.
Ce troisième point définit trois catégories projets en fonction du mode de quantification et de formalisation :
Structure du rapport
La construction d'une feuille de route pilier C à la hauteur des enjeux repose sur plusieurs impératifs, qui constituent chacun l’une des parties de ce rapport :
- L’articulation cohérente de la stratégie de séquestration avec celle mise en œuvre sur les autres piliers, et plus largement avec l’ensemble des autres enjeux écologiques
- La définition d’objectifs ambitieux qui permettent d’atteindre un niveau de séquestration suffisant sans avoir à renoncer à des projets de qualité
- Le choix de projets de qualité, prenant en compte non seulement le carbone, mais également l’ensemble des dimensions mises en jeu (permanence des séquestrations, biodiversité, développement humain, …)
- Une exécution et un suivi appropriés à l’entreprise, et permettant l’atteinte des objectifs.