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4 octobre 2024
Auteurs et autrices : Aida Tazi, Chloé Marzin

Rénovations ou sobriétés : comment décarboner le résidentiel ?

Introduction

La décarbonation du secteur du bâtiment se structure progressivement en France. Avec la RE2020, une brique centrale a été posé pour la décarbonation de la construction neuve de la prochaine décennie. Cependant, les émissions du secteur du bâtiment ne sont pas liées qu’aux matériaux des bâtiments neufs. En effet, le parc de bâtiments de 2050 est déjà majoritairement constitué (75%[1]) et les émissions actuelles du bâtiment proviennent à 67% de l’usage[2] (principalement la consommation d’énergie pour le chauffage). Le résidentiel représente 60% des émissions, face au tertiaire (40%). La rénovation des logements existants, est donc un axe indispensable pour réduire les émissions globales du secteur. 

Figure 1 - Répartition des émissions du secteur du bâtiment
Source : Feuille de route de la décarbonation du bâtiment, ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires

L’objectif donné par la SNBC[3] est d’atteindre 370 000 rénovations à un niveau « Bâtiment basse consommation » (BBC), c’est-à-dire l’équivalent des étiquettes énergétiques A ou B, chaque année jusqu’en 2030, puis 700 000 par an jusqu’en 2050. Le cap sous-jacent est que l’ensemble du parc soit rénové au niveau BBC d’ici 2050. Où en est la filière rénovation actuellement ? Quelles réglementations et financements incitatifs sont en vigueur et quelles sont leurs limites ? Comment la filière et les emplois doivent-ils évoluer ? Quels usages faire des logements pour assurer l’atteinte des objectifs climatiques nationaux ?

Plusieurs acteurs ont identifié les freins et leviers à actionner pour décarboner efficacement autant l’énergie consommée dans les logements que les matériaux de construction utilisés. Cet article propose une synthèse des blocages à lever et des leviers à actionner en termes de financement, d’emploi et de formation mais également d’usage pour assurer l’ambition de décarbonation dont s’est dotée la France pour le résidentiel. Il reprend notamment les grandes recommandations faites par la Cour des Comptes, le Conseil d’Analyses Économiques (CAE), l’Institut de la finance durable ou encore le Shift Project.

 

1. Réglementation, financements et incitation fiscale 

Plusieurs freins persistent à l’accélération des rénovations globales et performantes.

Avec les barrières du marché actuel, la rénovation est rentable pour les ménages dans seulement 5% des cas d’après le Conseil d’analyse économique[4]. Depuis une dizaine d’années, plusieurs dispositifs de financement se sont succédés pour inciter les propriétaires à rénover leurs logements : le CITE[5], les CEE[6], l’aide Habiter Mieux Sérénité de l’Anah[7], MaPrimeRénov’. La dépense publique dans ces aides a doublé entre 2015 et 2022. Néanmoins, les résultats sont encore très mitigés et difficiles à suivre par manque de données. La majorité des travaux sont encore du type « mono-geste », c’est-à-dire focalisés uniquement sur un seul élément de chauffage ou d’isolation, et réduisent de manière insuffisante les émissions GES. Les retours d’expérience montrent que seules les rénovations globales (i.e. qui améliorent la performance énergétique générale d’un bien en réalisant des travaux sur plusieurs éléments en même temps, ou de façon successive par étapes coordonnées) sont suffisamment efficaces pour permettre d’atteindre un niveau équivalent BBC, mais celles-ci ne représentaient que 3% des surfaces rénovées en 2020[8].

Pourtant, dans tous les scénarios qui étudient l’atteinte de la neutralité carbone à horizon 2050[9], la massification des rénovations performantes est indispensable, avec en priorité la rénovation de toutes les passoires énergétiques[10].

Source : The Shift Project

Dans le cas du résidentiel, la rénovation thermique est principalement encadrée par la loi Climat et Résilience adoptée en 2021. Celle-ci a mis en œuvre plusieurs mesures coercitives afin d’inciter les propriétaires-bailleurs à rénover leurs logements les moins performants (gel des loyers F et G dès 2022, interdiction de location des biens classés G dès 2025, F en 2028 et E en 2034). Cependant, les rénovations peinent à être globales, notamment à cause du coût des travaux et du temps de retour sur investissement souvent jugé trop long. Du reste, ces mesures n’ont pas d’effet pour les propriétaires-occupants.

En plus des ménages souhaitant rénover leur logement individuel, les copropriétés et les bailleurs sont les deux autres types de porteur de projet de rénovation des bâtiments résidentiels. Les copropriétés, qui représentent plus d’un quart des logements en France, font face à des difficultés spécifiques relatives à la complexité des décisions collectives (choix pour l’audit énergétique, les travaux, les devis et les artisans) et à la difficulté à trouver un plan de financement[11]. Avec ces barrières supplémentaires, les rénovations par les copropriétés restent marginales (5% des logements aidés par MaPrimeRénov’ en 2022)[12]. A contrario, grâce aux économies d’échelle, à leur capacité administrative et financière, et à leurs équipes spécialisées dans les projets de rénovations, les bailleurs sociaux ont pris une longueur d’avance en matière de rénovation. Du côté des bailleurs privés, des initiatives se développent pour tenter de renforcer les liens entres les locataires et les bailleurs pour accélérer la décarbonation, mais celles-ci restent encore timides dans le secteur résidentiel, et tendent davantage à se développer dans le secteur tertiaire (comme le bail engagé climat d’Icade[13]).

Fin 2023, le gouvernement voulait réhausser l’ambition et les moyens mis en œuvre pour atteindre 200 000 rénovations globales par an, via une réforme des aides aux rénovations énergétiques. Cependant, en mars 2024 avec la crise de l’immobilier, les mesures encadrant l’obtention des financements ont été allégées et assouplies pour notamment rouvrir aux rénovations mono-geste.

Face à l’inflation et à la précarité, le consensus actuel tend vers une massification du soutien financier des ménages pour faciliter les travaux de rénovation globale. Pour le Shift Project, ce soutien devrait passer par une baisse du reste à charge[14] pour les propriétaires les plus modestes (qui s’élève entre 10 000 € et 16 000 € pour des travaux de 40 000 € TTC en moyenne)[15], et par un accès facilité aux crédits et prêts à taux zéro. Il est à noter que les établissements publics territoriaux peuvent également apporter des compléments précieux aux aides nationales, en proposant un soutien financier aux copropriétés et aux particuliers pour réduire les quotes-parts.

Pour le CAE, le dispositif France Renov’ devrait aller plus loin en créant un pilier stratégique qui identifierait les logements prioritaires et expérimenter une démarche active « allant vers » les (co)propriétaires. Il invite aussi le gouvernement à sanctuariser un budget pluriannuel de 8 milliards d’euros par an pour pérenniser les aides de la rénovation énergétique. Cela va dans le sens de la Cour des Comptes qui recommandait déjà en juillet 2022[16] de clarifier les différents dispositifs, de renforcer le pilotage national et d’établir une estimation des engagements financiers nationaux et locaux au regard des bénéfices attendus.

Mais alors quel arbitrage faire entre les injonctions pour réduire le déficit de la dette publique qui passe par une diminution plus ou moins drastique, selon les avis, des dépenses publiques et le besoin d’accompagner un projet aussi déterminant qu’est la rénovation ? Certains ont tenté d’y répondre à l’instar d’I4CE (Climat et fiscalité : trois scénarios pour sortir de l’impasse[17]), du Haut Conseil pour le Climat (Acter l’urgence engager les moyens[18]) et d’Alain Grandjean (Comment financer la décarbonation des bâtiments publics ?[19]). Et des initiatives se lancent pour mobiliser les fonds des entreprises privés. C’est le cas de Pouget et de l’ADEME qui portent le projet « Rénovation de Fonction »[20] qui veut expérimenter la mise en œuvre d’un nouvel avantage salarial par l’employeur pour favoriser la rénovation énergétique des logements des salariés.

Il est à noter que les enjeux d’adaptation face aux pics de chaleur, aux inondations et au retrait-gonflement des argiles sont les grands oubliés de la majorité des aides publiques, comme constaté par la Cours des comptes en mars 2024. Seule l'Union sociale pour l'habitat (USH) met en œuvre un dispositif de financement spécifique pour les rénovations d'envergure, baptisé « Seconde Vie », qui intègre le critère de confort d'été. Or, il parait indispensable que les rénovations énergétiques menées aujourd’hui anticipent les risques climatiques de demain, notamment les vagues de chaleur, afin de réduire la vulnérabilité et les potentiels effets rebonds liés à la climatisation.

 

2. Emploi et restructuration de la filière

Avec la nécessité de rénover le parc existant, une restructuration forte de la filière est attendue. En effet, d’après le CAE, la faible disponibilité d’une offre qualifiée et certifiée représente un « goulot d’étranglement de la rénovation énergétique ». La rareté d’une main d’œuvre qualifiée (les professionnels « Reconnu garant de l’environnement » ne représentent que 11% des entreprises du bâtiment en 2022) est aussi l’un des premiers facteurs cités par les ménages comme frein à la mise en œuvre d’une rénovation de leur bien.[21]

Le Shift a modélisé un besoin d’environ 110 000 ETP supplémentaires d’ici 2040 pour assurer les rénovations énergétiques nécessaires. C’est donc le développement et un potentiel transfert d’ETP du neuf vers la rénovation qui doivent s’effectuer. Cela concerne tous les corps de métier, des artisans et techniciens aux ingénieurs en passant par les gestionnaires de projet.

Au-delà de cette nouvelle main d’œuvre, la montée en compétences de tous les acteurs de la chaîne de valeur est nécessaire. Ce sont des savoir-faire à développer et consolider pour assurer des audits énergétiques fiables, installer des équipements de haute performance énergétique, et coordonner les travaux de rénovation. La formation est donc un enjeu crucial pour répondre à la demande croissante de compétences et assurer une qualité des travaux. Les programmes de formation spécialisés, tels que ceux proposés par les Centres de Formation d'Apprentis (CFA), les lycées professionnels, et les organismes de formation continue, sont essentiels pour former une main-d'œuvre qualifiée.

Dans le secteur de la rénovation, la labellisation des professionnels « Reconnu garant de l’environnement » (RGE) est devenue nécessaire afin que les propriétaires puissent bénéficier des aides de France Rénov’. Le CAE conseille de simplifier l’octroi de la labellisation pour que le nombre de professionnels augmente et limite les effets inflationnistes constatés. Pour améliorer la qualité des travaux et offrir une garantie aux ménages, le CAE recommande d’instaurer un service public de contrôle de la qualité ex-post, qui est aujourd’hui réalisé par les entreprises. Cet organisme pourrait renforcer les sanctions lors de défauts de qualité avérés.

Outre les professionnels de la rénovation, le développement et la relocalisation de filières amont pour approvisionner les chantiers en matériaux de construction est un fort enjeu pour atteindre les objectifs climatiques. En effet, l’empreinte carbone des matériaux reste très importante. Suivant le type de rénovation (rénovation strictement énergétique vs. réhabilitation lourde), elle peut aller de 50% à 100% de celle d’un bâtiment équivalent neuf, soit entre 350 kgCO2e/m2 à 700 kgCO2e/m2.

Pour réduire cet impact, outre le besoin d’optimiser et de réutiliser in situ les matériaux en place lors d’une rénovation, les territoires peuvent (re)développer les filières de matériaux biosourcés (bois, terre, paille) et favoriser l’économie circulaire avec la structuration de filières de réemploi. Enfin, pour limiter la consommation et le renouvellement de matériaux, il parait essentiel de renforcer et développer les emplois liés à la maintenance et à la réparation, pour assurer une durée de vie maximale des bâtiments.

Pour suivre les évolutions de la filière, il est nécessaire de structurer et systématiser la remontée des données de chaque rénovation, avec des évaluations environnementales avant/après, afin de connaitre les gains et les impacts carbone associés.

 

3. Sobriétés : énergétique, immobilière, foncière 

Afin que le secteur résidentiel atteigne ses objectifs de décarbonation, toutes les solutions à disposition doivent être actionnées. Parmi elles, les questions de sobriété sont centrales et pourtant encore peu discutées.

Le terme de sobriété fait souvent référence en premier lieu à la sobriété énergétique, terme qui s’est démocratisé ces dernières années, notamment avec l’objectif national de réduire de 10% les consommations énergétiques entre 2019 et 2024. L’hiver 2022 a permis de constater que la plupart des habitants avaient adopté des gestes de sobriété, en premier lieu à cause des prix montants de l’énergie. Au-delà des fameux écogestes et des « je baisse, j’éteins, je décale » promus par les campagnes de 2022, d’autres types de sobriété sont à mobiliser pour décarboner le secteur du bâtiment.

C’est dans ce contexte que la sobriété immobilière est un levier essentiel. Ce type de sobriété vise à optimiser l’utilisation du patrimoine bâti existant, c’est-à-dire réduire les espaces inoccupés ou sous-occupés. Il pourrait permettre de limiter la construction neuve et les émissions carbone associées, tout en freinant l’artificialisation des sols (sobriété foncière) et son impact sur la biodiversité.

Et le vivier parait important : en 2023 les logements vacants (3 millions) représentaient 8% du parc résidentiel français, tandis que 10% de résidences secondaires et logements occasionnels étaient recensés[22]. Ces stratégies pour répondre aux besoins de logements autrement que par la construction neuve sont d’autant plus importantes que d’après le rapport Accélérer et pérenniser la sobriété énergétique des bâtiments résidentiels[23], l’évolution des modes de vie, le vieillissement de la population, et le télétravail accentuent la demande en logement. On constate ainsi qu’au cours des trente dernières années, la surface par personne est passée de 23 à 40 m2, liée à la réduction de la taille des ménages (passant de 2,6 à 2,1 occupants par résidence principale en moyenne)[24].

Par ailleurs, pour mieux utiliser le parc existant, les stratégies de sobriété immobilière doivent tenir compte de la diversité des occupants (les besoins évoluent selon les étapes de vie) et des territoires (certaines considérations géographiques sont à inclure à l’équation : la majorité des logements secondaires sont sur les côtes et les massifs montagneux, alors que les logements vacants sont sur la diagonale du vide)[25].

Les logements modulables et les habitats partagés, au-delà de répondre à de nouveaux besoins (télétravail, évolution de la structure des ménages, étapes de la vie plus nombreuses) sont des pistes à développer pour repenser les manières d’habiter et densifier les usages des espaces existants. Les logements doivent aussi être repensés et adaptés pour les personnes âgées, afin de leur permettre de rester chez elles le plus longtemps possible (en lien avec le virage domiciliaire de la santé visant à plafonner le nombre d’EHPAD).

Le cadre réglementaire a également son rôle à jouer pour faire évoluer les pratiques et favoriser la sobriété de l’habitat. De nombreuses propositions voient le jour pour faciliter les statuts des propriétaires et locataires hybrides ou encore pour développer la propriété partagée du logement par la structuration du marché de la revente des parts sociales de biens immobiliers.

Pour assurer les sobriété énergétique, immobilière et foncière, l’implication des occupants et des propriétaires est indispensable.

Le Rapport Accélérer et pérenniser la sobriété énergétique des bâtiments résidentiels[26] met en avant l’importance de l’implication des usagers et propose un panorama des leviers pour la faciliter (communication adaptée, relation bailleur-locataire, les outils de remontée de données, l’individualisation des frais énergétiques). Cette implication est cruciale pour transformer les habitudes et réduire les consommations énergétiques. Elle participe également à l’appropriation du bâti par ses occupants et propriétaires, favorisant le déploiement des rénovations. Le Shift Project propose dans ce sens d’ouvrir un congé pour rénovation à l’image des congés pour déménagement existant au sein de certaines conventions collectives.

Le développement des savoir-faire chez l’habitant et le renforcement des réseaux locaux (acteurs, ressources, matériaux) pourraient permettre, en octroyant une autonomie aux territoires, une plus grande résilience de ces derniers face aux aléas climatiques qui se multiplient.

L’auto-consommation en est un exemple. L’installation de panneaux photovoltaïques, au-delà de favoriser une énergie bas carbone, permet d’autonomiser les habitants, de réduire le risque d’envolée des prix de l’énergie, tout en les faisant monter en compétences au contact des installateurs professionnels. Mais cela doit s’intégrer dans une réflexion plus large à l’échelle nationale pour que les réseaux puissent accueillir ces nouveaux moyens de production à grande échelle.

 

Conclusion

Le secteur résidentiel fait face à de nombreux enjeux pour décarboner ses bâtiments existants. Pour massifier les rénovations énergétiques performantes, la simplification et l’augmentation des aides semble indispensable. C’est tout le secteur qui doit se restructurer avec des nouvelles filières locales à développer. Les rénovations pour être performantes autant en hiver qu’en été, devront anticiper et être adaptées aux évolutions climatiques. Parallèlement à l’amélioration du bâti, les usages doivent évoluer vers plus de sobriété, aussi bien pour réduire la demande en construction neuve, que pour réduire les consommations d’énergie par habitant. Ces changements ne pourront se faire que s’ils sont accompagnés par des professionnels formés et valorisés par la société civile. 


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