Les émissions du bâtiment sont en baisse !
Les règlementations s’accélèrent, agissons encore plus vite !
Introduction
Le secteur du bâtiment est à la croisée de différents enjeux environnementaux et sociaux. Il est l’un des principaux secteurs source d’émissions de gaz à effet de serre en France. Il est vulnérable aux aléas climatiques avec une exposition croissante aux risques liés aux sols argileux, aux inondations et à l’inconfort d’été. Il est un grand consommateur de ressources pour la construction. Il a un impact fort sur la biodiversité, avec des surfaces artificialisées toujours en croissance. Il est à l’origine de pollution de l’air, représentant un coût humain et financier conséquent. Enfin, il est surtout indispensable pour permettre à toutes et tous d’accéder à une vie décente.
Il est donc nécessaire d’adopter une approche globale pour adresser l’ensemble de ces enjeux. La Planification Écologique, portée par le ministère de la transition écologique, s’est tentée à l’exercice.
Cet article se veut être un décryptage des travaux menés par le Secrétariat Général à la Planification Écologique (SGPE) sur le bâtiment, une sorte de bilan à la veille de la sortie de la concertation sur la 3e version de la Stratégie Nationale Bas carbone (SNBC). Il porte tout particulièrement sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur et leur évolution (dans le bon sens !) cette dernière décennie.
Après un état des lieux, nous nous intéressons aux réglementations mises en place, lesquelles nous le verrons ont joué un rôle de premier plan dans la baisse des émissions. Un focus particulier est fait sur le DPE, instrument de politique publique bien connu de tous et qui a connu quelques remous ce printemps à la suite de l’annonce d’un changement de méthode de calcul[1], mais aussi à cause des restrictions naissantes apparaissant ces dernières années sur les étiquettes les moins performantes.
Des attentes fortes sur la décarbonation du secteur du bâtiment
Lorsque l’on parle des émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment, deux sources d’émissions reviennent généralement : les émissions liées à la consommation énergétique des bâtiments et les émissions liées aux matériaux de construction et d’équipements.
Les émissions liées à l’exploitation du bâtiment[2] représentent 77% des émissions totales nationales liées au secteur[3], d’après l’analyse du Secrétariat général à la Planification Écologique (SGPE) publié en 2023 (cf. Erreur ! Source du renvoi introuvable.), réparti entre résidentiel et tertiaire à 60-40%. La part des produits de construction et équipements s’élève à 16% des émissions, avec une forte contribution de la construction neuve (80% contre 20% pour la rénovation). Enfin, l’artificialisation compte pour 6%, soit une part non négligeable du total.
Au total, le bâtiment représente 29% de ses émissions nationales[4], soit le 2e poste d’émissions après le secteur des transports (31% des émissions nationales). La bonne nouvelle, c’est que les leviers pour décarboner ce pan de l’économie sont bien connus (sortie des énergies fossiles, amélioration de la performance énergétique des bâtiments, réemploi des matériaux) et leurs freins sont davantage d’ordre organisationnels et financiers plutôt que techniques.
Depuis une décennie, les pouvoirs publics français s’organisent pour définir la stratégie climatique française. Le gouvernement a d’abord publié la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) en 2015, celle-ci fournissant les objectifs de réduction à 2030 et 2050 pour chaque secteur de l’économie française[5]. Elle a été suivie d’un plan de décarbonation en 2023, la Planification Écologique, définissant plus précisément les leviers de réduction permettant d’atteindre les objectifs pour chaque secteur à horizon 2030.
Huit ans plus tard (2015-2023), le bilan est plutôt encourageant si on en croit le dernier rapport du CITEPA. Celui-ci révèle que les émissions territoriales françaises hors UTCATF (Utilisation des Terres, Changement d'Affectation des Terres et Foresterie) ont diminué depuis 2015 (cf. Erreur ! Source du renvoi introuvable.), avec une réduction importante en 2023 qui permet d’atteindre l’ambition attendue par la SNBC de -17% entre 2015 et 2023[6].
Si on se concentre sur le secteur du bâtiment, celui-ci a respecté les attentes au sens de la SNBC (scope 1 des bâtiments[7]) : la réduction enregistrée est de 27% entre 2015 et 2022 contre 21% attendue (cf. Figure 3)[8]. En revanche, bien que l’industrie du bâtiment (matériaux et équipements utilisés pour la construction et la rénovation – scope 3 du bâtiment) et le secteur de l’électricité et de la chaleur (scope 2 des bâtiments) aient été identifié comme ayant un fort potentiel de décarbonation, ces derniers sont très loin d’avoir répondu aux objectifs escomptés par la SNBC comme le montre la Figure 3 ci-dessous.
Sur l’usage des bâtiments, les réductions constatées sont le fruit de directives prises par le secteur, que nous détaillons dans la suite de l’article.
Les émissions liées à l’usage des bâtiments ont diminué de 12 MtCO2e entre 2019 et 2022
Les leviers de décarbonation du bâtiment sont aujourd’hui bien connus et leur niveau de maturité suffisamment important pour qu’ils soient mis en place. Les verrous à leur application sont plutôt de l’ordre économique, incitatif et organisationnel afin d’assurer que chaque acteur y trouve son compte. Ainsi, la majeure partie des critiques formulées sur l’inertie apparente du secteur à se décarboner portent le plus souvent sur les besoins de financement et de structuration de la filière (formation, emploi) comme l’illustrent les critiques récurrentes sur l’inefficacité des aides publiques, jugées trop disparates ou trop complexes (aides Anah et CITE, précurseurs de MaPrimeRénov’) et sans orientation claire (sur les vecteurs énergétiques à installer ou le nombre de rénovations à respecter).
Pour mieux formaliser et organiser la mise en place de ces leviers, le SGPE a structuré, dans le cadre de la Planification Écologique, un plan de décarbonation du secteur pour la partie usage[9]. Le plan permet de définir la part de contribution de chacun des grands leviers et d’orienter le choix des équipements ou travaux à mettre en œuvre dans le parc. Un compte-rendu sur l’avancement a été publié en 2024[10].
L’évolution encourageante des émissions d’usage décrite précédemment s’explique par un contexte climatique et économique propice mais aussi par l’entrée en vigueur d’instruments réglementaires. Ainsi, le rapport du CITEPA[11] et le compte-rendu de la SGPE évoquent plusieurs explications à la baisse des émissions sur la période 2019-2022 :
- La météo plus douce entraîne une consommation moindre de chauffage en hiver (contribution à hauteur de 25% à la baisse enregistrée des émissions) ;
- Le contexte politico-économique a entrainé une hausse des prix de l’énergie et de l’inflation, impactant immanquablement la consommation d’énergie des occupants (contribution à hauteur de 15%) ;
- Les directives politiques ont permis de réduire les consommations d’énergie en favorisant les actes de rénovations énergétiques et les politiques de sobriété (contribution à hauteur de 60%).
Dans le même temps, la réduction des émissions associée à ces effets est contrebalancée par une hausse des surfaces chauffées, s’expliquant à la fois par une hausse de la population et par une hausse de la surface par habitant (entre autres liée à la hausse du nombre de logements vacants et du nombre de résidences secondaires). Au total, il en résulte une réduction de 12 MtCO2e pour l’usage des bâtiments entre 2019 et 2022 (cf. Figure 5).
Les politiques publiques ont ainsi joué un rôle important dans la baisse des émissions, avec, comme dit plus haut, une contribution à hauteur de 60%. L’encadré en fin d’article en synthétise les principales.
Néanmoins, il reste des difficultés à surmonter. Le rapport de l’IFD[12] met par exemple en évidence les difficultés administratives et financières rencontrées par les ménages ou copropriétés lors de l’entreprise d’un plan de rénovation, alors même qu’il s’agit de la pierre angulaire de la décarbonation du secteur[13], ou encore l’absence de diagnostic de performance énergétique et de dispositif d’aides pour les bâtiments tertiaires.
Le DPE, un exemple d’instrument de politique publique significatif dans la décarbonation des bâtiments
Le secteur du bâtiment est aujourd’hui l’un des plus réglementé sur le sujet carbone. L’application de ces règlementations est possible grâce à l’existence d’instruments de politique publique : la norme ACV (Analyse de Cycle de Vie) des bâtiments EN 15978 permet de contrôler les exigences formulées par la RE2020, la plateforme OPERAT permet de recenser les consommations d’énergie des bâtiments tertiaires éligibles dans le cadre du décret Eco-Energie Tertiaire, tandis que le DPE permet de recenser la performance énergétique et carbone du parc immobilier.
Attardons-nous un instant sur ce dernier. Bien connu de tous, il est souvent remis en cause car nous aimerions en faire ce qu’il n’est pas.
Revenons d’abord sur l‘histoire du DPE. Il a été créé en 2006 à la suite de la Directive sur la Performance Énergétique des Bâtiments (DPEB) adoptée en 2002 par l’Union Européenne et exigeant l’existence d’une méthode de calcul de la performance énergétique des bâtiments à l’échelle de tous les pays de l’UE. Le DPE est ensuite devenu obligatoire lors de la parution d’une annonce immobilière en France en 2010 avec l’entrée en vigueur de la loi Grenelle. En 2021, le DPE a été réformé afin de le rendre plus complet et lisible et pleinement opposable[14]. Enfin, l’arrêté récent d’avril 2024 modifie le calcul pour les logements inférieurs à 40m2, justifié par une sur-représentation des passoires énergétiques dans cette catégorie de logements.
Soyons clairs sur le rôle du DPE : il a été créé pour évaluer la performance du bâtiment, indépendamment de l’usage qui en est fait[15]. Il répond ainsi à un besoin des pouvoirs publics de recenser les bâtiments moins performants afin d’orienter au mieux les actions de rénovation. Le DPE ne sert donc pas à prédire les consommations réelles des bâtiments. En effet, si nous prenons l’exemple d’un logement en situation de précarité énergétique : les consommations pourraient être faibles par souci financier alors même que la performance énergétique du bâtiment est mauvaise. Le DPE ne peut donc pas être utilisé pour suivre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre de la SNBC basés sur les consommations réelles. Son rôle est d’évaluer la performance intrinsèque du parc immobilier français afin de permettre la définition d’un plan de rénovation national.
Au vu de son ancienneté, il s’agit d’un outil dont l’ensemble des acteurs s’est aujourd’hui emparé. Son entrée dans les mœurs est un atout puisqu’il permet à tout le monde, particuliers comme acteurs de l’immobilier, de se saisir du sujet climat via un outil simple (score de A à G). Son rayonnement s’amplifie d’autant plus qu’aujourd’hui il impacte le marché immobilier en influençant la valeur vénale et les taux de négociation, et qu’il est utilisé explicitement dans les législations sur la rénovation thermique des bâtiments définies dans la loi Climat et Résilience. On peut citer : le gel des loyers pour les logements classés F ou G depuis août 2022, l’interdiction de la location des logements classés G en 2025, F en 2028 et E en 2034 et l’obligation de la réalisation d’un audit réglementaire pour les propriétaires d’un logement classés F ou G, étendue aux logements classés E et D en 2025 et 2034 respectivement.
En choisissant de guider les actions vers l’éradication des passoires thermiques, le DPE n’est pas seulement un outil au service d’une politique écologique, mais aussi au service d’une politique sociale contre la précarité énergétique.
Afin d’amplifier son efficacité, le DPE pourrait être complété, comme le propose l’Ifpeb[16] d’un retour d’expérience systématique sur la performance après travaux et sur l’efficacité énergétique et économique des gestes afin d’améliorer notre connaissance de l’effet des actes de rénovation et tenter d’obtenir la meilleure équation €/MWh.kgCO2e évités.
Conclusion
Depuis une quinzaine d’années, le secteur du bâtiment s’est transformé pour intégrer peu à peu des garde-fous sur ses consommations énergétiques puis aussi sur ses émissions de gaz à effet de serre, jusqu’à aujourd’hui aboutir à un plan de décarbonation structuré dont on commence à voir des résultats encourageants.
Une telle structuration passe par une clarification des objectifs à atteindre (-95% à horizon 2050 par rapport à 2015 pour l’usage des bâtiments), une orientation vers les solutions existantes à la portée des différentes parties prenantes (sortie des énergies fossiles, amélioration de la performance énergétique des bâtiment, réemploi de matériaux), la création d’un cadre réglementaire propice (loi Climat et Résilience pour le résidentiel, loi Elan pour le tertiaire) et enfin la construction d’outils d’aide à la mise en place de ces règlementations (ex : MaPrimeRénov’, DPE).
Cette structuration est mouvante et continuera à évoluer au fur et à mesure de la mise en place effective du plan et du contexte politique, économique, social et environnemental. Le dispositif du DPE en est un exemple : il permet d’outiller le secteur pour construire un plan de rénovation répondant aux enjeux climatiques et de précarité énergétique, et il doit s’adapter aux évolutions règlementaires, scientifiques et techniques.
L’implémentation du plan ambitieux de décarbonation du bâtiment nécessite néanmoins encore de profondes transformations. Parmi les outils dont pourraient se doter le secteur, nous avons cité ici le besoin de disposer d’observatoires d’analyses permettant de confronter les consommations réelles avec les consommations théoriques des bâtiments afin de mieux comprendre les contraintes techniques, financières et comportementales qui limitent aujourd’hui la possibilité d’atteindre les objectifs de réductions énergétiques et carbone.
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