publication
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septembre 2024

Émissions liées à la consommation : une nouvelle frontière pour les politiques climatiques de l'Union Européenne

Étude de cas de la France

Auteurs et autrices : César Dugast, Pierre Maquet, Katarina Axelsson, Jindan Gong

Introduction

Contexte

En 2023-2024, Carbone 4 a collaboré avec le Stockholm Environment Institute (SEI) dans le cadre d’un rapport sur l’empreinte carbone de l’UE, Consumption-based emissions: a new frontier for EU climate policypublié en juin 2024. Ce rapport a eu pour objet d’analyser l’état actuel des émissions liées à la consommation et au commerce de l’Union européenne, de cartographier les cadres normatifs et réglementaires pertinents, et de formuler des recommandations pour accélérer les efforts de l’UE pour réduire son empreinte carbone.
Le rapport contenait également trois cas d’étude pour illustrer l’appropriation de la notion d’empreinte carbone par trois pays européens : la France, la Suède et le Danemark. Le travail mené par Carbone 4 a consisté à assister spécifiquement le SEI dans la production du cas d’étude France, à travers une analyse documentaire, une série d’entretiens avec des membres de l’administration française, et la rédaction de l’analyse proprement dite. 
Le présent rapport est la traduction française du cas d’étude France figurant dans le rapport final du SEI.
Le rapport complet du SEI sur l’empreinte carbone de l’UE est disponible ici.
Les auteurs remercient les membres du SEI Katarina Axelsson, Timothy Suljada, Jindan Gong et Fiona Lambe pour leur confiance, ainsi que les personnes ayant accepté d’être interviewées dans le cadre du cas d’étude France : Manuel Baude (SDES), Yanis Chaigneau (DGEC), Sylvain Larrieu (INSEE), Quentin Perrier (HCC).

Messages clés du rapport du SEI sur l’empreinte carbone de l’UE

Depuis 2015, l'UE est un importateur net d'émissions de CO2 : les émissions associées aux biens et services importés pour la consommation de l'UE dépassent les émissions associées à ses exportations, signalant un impact croissant de la consommation de l'UE sur d'autres pays.
Plus de 30 % des émissions importées de l'UE proviennent de l'extérieur de l'UE, le reste étant échangé au sein des frontières de l'UE. La Chine était le plus grand exportateur d'émissions vers l'UE, représentant 8,5 % des émissions basées sur la consommation de l'UE, suivie de la Russie (4,8 %), des États-Unis et de l'Inde (tous deux 1,6 %).
Les projections indiquent une augmentation des impacts environnementaux de la consommation de l'UE jusqu'en 2030, soulignant la nécessité de mesures supplémentaires pour s'aligner sur les objectifs climatiques mondiaux.
Pour réduire les émissions basées sur la consommation, les auteurs recommandent :

  • de fixer des objectifs contraignants au niveau de l'UE
  • de standardiser les méthodes de comptabilisation des émissions basées sur la consommation (empreinte carbone)
  • d'établir des exigences de rapport obligatoires pour les États membres
  • de renforcer la législation existante de l'UE pour mieux traiter l’empreinte carbone
  • d'améliorer la transparence dans le commerce et les chaînes de valeur
  • de favoriser les partenaires commerciaux engagés dans des pratiques de production durable
  • de fournir un soutien au renforcement des capacités aux pays en développement pour améliorer leurs pratiques commerciales durables.

Étude sur l'empreinte carbone de la France

Résumé exécutif

En 2019, l’empreinte carbone de la France, reflet des émissions liées à la consommation nationale, était estimée à 625 MtCO2e, soit 9,3 tonnes par habitant. La même année, l’inventaire national (émissions territoriales de la France) était estimé à 423 MtCO2e. Cette différence de 48% souligne l’importance des échanges internationaux dans l’empreinte carbone du pays.
Entre 1995 et 2022, l'empreinte carbone de la France a diminué de 7 %, mais cette baisse relative cache deux fortes tendances opposées : d’une part, une réduction de 33 % des émissions nationales, et d’autre part une augmentation de 32 % des émissions importées. En 2022, l'empreinte carbone par habitant était de 9,2 tCO2e, 19 % de moins qu'en 1995.
Les principales contributions à l’empreinte carbone de la France en 2019 provenaient du transport (32 %), du logement (22 %) et de l'alimentation (21 %).
Environ la moitié de l’empreinte carbone de la France est liée aux importations, la Chine étant la plus grande source d’émissions importées, suivi de l'Allemagne, des États-Unis et de l'Italie. En termes de balance commerciale de CO2, la France avait un déficit de 121 millions de tonnes en 2015. 
La SNBC-2, qui inclut une orientation visant à maîtriser l’empreinte carbone de la France, propose des leviers pour la réduire. Le Haut Conseil pour le Climat (HCC) a recommandé l’implémentation de trajectoires de réduction de l'empreinte carbone alignées avec la neutralité carbone en 2050, incluant une réduction de 37 % d'ici 2030 et de 80 % d'ici 2050 par rapport à 2005. Pour agir efficacement sur l’empreinte, le HCC propose d'adapter les stratégies industrielles françaises, d'informer les consommateurs sur l'empreinte climatique des produits ou encore de renforcer la coopération internationale pour inciter les partenaires commerciaux de la France à se décarboner.
Pour suivre et évaluer l'empreinte carbone, le Service de la donnée et des études statistiques (SDES) du ministère de la Transition écologique utilise une méthodologie basée sur les tableaux entrées-sorties des comptes nationaux et les comptes environnementaux des émissions de GES. Cette méthodologie, enrichie au fil des années, permettra à terme d'intégrer les émissions de gaz fluorés et de déforestation importée. Elle connaîtra un changement important de méthodologie à la fin de l’année 2024 avec l’adoption du modèle FIGARO d’Eurostat, un modèle multirégional plus précis et plus complet que le modèle actuellement utilisé.
Pour atteindre les objectifs climatiques, la France a mis en place des politiques dans plusieurs secteurs, notamment des obligations de rénovation énergétique pour le logement et des incitations à la consommation de produits alimentaires durables. Les recommandations du Haut Conseil pour le Climat (HCC) consistent à réduire l'empreinte carbone en adaptant les stratégies industrielles, en informant les ménages sur l’impact de leur consommation et en renforçant la coopération internationale.

Les solutions pour la réduction de l’empreinte incluent la décarbonation de l’offre de produits et services, l’acceptation par le public des politiques climatiques, et la nécessité d'une coopération internationale renforcée. Les efforts de relocalisation industrielle, l’augmentation des soutiens financiers pour la transition au sein du territoire et la maîtrise du niveau de consommation des Français, par exemple via la mise en place de normes sur la publicité, sont d’autres leviers intéressants pour réduire l'empreinte carbone de la France.

Étude sur l’empreinte carbone de la France

Ce rapport est la traduction française de l’étude de cas France apparaissant dans le rapport du SEI Consumption-based emissions: a new frontier for EU climate policy, publié en juin 2024.

En 2019, la loi énergie-climat (LEC) a introduit des objectifs climatiques juridiquement contraignants pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 par rapport aux niveaux de 1990, et réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d'ici 2030 par rapport à 1990 (Commissariat général au développement durable, 2023). L'objectif intermédiaire de 2030 devra être révisé conformément à la réglementation européenne sur le climat, en vertu de laquelle l'UE s'est engagée à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030 (Commissariat général au développement durable, 2023).

En 2015, la France a défini une feuille de route pour orienter sa politique climatique afin d'atteindre ces objectifs : la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), qui fait l'objet d'une révision complète tous les cinq ans (Ministère de la Transition écologique et solidaire, 2020). La version actuelle est la deuxième itération de la stratégie (SNBC-2), publiée par un décret en 2020 avec des lignes directrices pour la mise en œuvre de la transition bas-carbone dans tous les secteurs d'activité et des budgets carbone à court et moyen terme, visant des réductions d'émissions pour les périodes 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033 (Ministère de la Transition écologique et solidaire, 2020). La troisième version (SNBC-3) est prévue pour fin 2024.

Jusqu'à présent, les émissions territoriales annuelles estimées de la France entre 2019 et 2022, hors UTCF, sont inférieures de 3 % à ce budget carbone annuel indicatif (Commissariat général au développement durable, 2023). Les émissions territoriales annuelles estimées pour 2019-2022, secteur des terres inclus, dépassent toutefois le budget carbone de 2 % (Commissariat général au développement durable, 2023).

 

Statistiques d’empreinte carbone de la France

Catégories de consommation

En 2019, l’empreinte carbone de la France, c’est-à-dire les émissions liées à la consommation nationale (« consumption-based emissions » dans le rapport original du SEI) ont été estimées à 625 MtCO2e, soit 9,3 tonnes de CO2e par personne (SDES, 2023b). L'inventaire national, ou émissions territoriales, était estimé à 423 MtCO2e pour la même année. Cela signifie que l’empreinte carbone de la France était 48 % plus élevée que l'inventaire national en 2019 (SDES, 2023b). La composition de l’empreinte carbone et des émissions territoriales en 2019 est présentée dans la figure 29.

Figure 29. Comparaison entre les émissions de la France basées sur la consommation et l'inventaire national en 2019
Note : lʼempreinte et lʼinventaire (voir glossaire) portent sur les trois principaux GES (CO2, CH4, N2O) hors UTCATF. En raison dʼune comptabilisation différente du transport international selon les approches, les sous-totaux (émissions des ménages et émissions de la production intérieure) de l’empreinte et de lʼinventaire ne sont pas identiques. Champ : périmètre Kyoto (métropole et outre-mer appartenant à lʼUE).
Sources : Citepa ; AIE, EDGAR-JRC ; FAO ; Douanes ; Eurostat ; Insee. Traitement : SDES, 2023. Adapté par Carbone 4.

L'évolution de l’empreinte carbone (EC) en France depuis 1995 est présentée dans la figure 30. Les estimations indiquent qu'un total de 623 MtCO2e a été émis en 2022, ce qui représente une diminution de 0,3 % depuis 2019. Par rapport à 1995, l’EC estimée pour 2022 a diminué de 7 %. 

L'empreinte carbone par personne, estimée à 9,2 tonnes de CO2e par personne en 2022, est inférieure de 19 % à celle de 1995. La réduction globale de l'empreinte est le résultat de deux tendances contradictoires sur la période 1995-2022 : d'une part, une réduction de 33 % des émissions nationales, et d'autre part, une augmentation de 32 % des émissions importées (SDES, 2023b).

Figure 30. Évolution de l'empreinte carbone de la France entre 1995 et 2022
(e) = estimations. Note : lʼempreinte carbone porte sur les trois principaux gaz à effet de serre (CO2, CH4, N2O). Champ : périmètre « Kyoto » (métropole et outre-mer appartenant à lʼUE).
Sources : Citepa ; AIE ; FAO ; Douanes ; Eurostat ; Insee. Traitement : SDES, 2023. Adapté par Carbone 4.

Comme le montre la figure 31, environ 85 % de l’EC de la France en 2019 était liée à la consommation des ménages. La consommation des ménages en matière de transport (32 %), de logement (22 %) et d'alimentation (21 %) ont été les plus grands contributeurs à l’EC du pays en 2019, suivis par la consommation des ménages en matière d'équipement (10 %), d'autres services (principalement commerciaux) (8 %) et de services publics (8 %). En termes de poids relatif à l’intérieur de chaque poste, les émissions importées étaient prédominantes pour la catégorie des équipements (appareils électriques et biens d'équipement) et les autres services (vêtements, décoration, produits chimiques de nettoyage, loisirs, services bancaires), et représentaient près de la moitié des émissions des transports, de l'alimentation et des services publics en 2019 (SDES, 2023b).

Figure 31. Répartition de l'empreinte carbone de la France par personne et par catégorie de consommation en 2019
(e) = estimations. Note : lʼempreinte et lʼinventaire portent sur les trois principaux GES (CO2, CH4, N2O) hors UTCATF. Champ : périmètre « Kyoto » (métropole et outre-mer appartenant à lʼUE).
Sources : SDES, 2023, dʼaprès Citepa ; AIE ; EDGAR-JRC ; FAO ; Douanes ; Eurostat ; Insee. Adapté par Carbone 4.

Tendances des importations et exportations

Comme le montre la figure 30, environ la moitié de l’empreinte carbone totale de la France en 2019 était associée aux importations (311 MtCO2e). L'autre moitié de l’EC correspondait aux émissions nationales (liées aux ménages et aux activités économiques, hors exportations). 

En vision inventaire, les émissions liées aux exportations représentaient 28% de l'inventaire national en 2019. Il convient de noter que, bien que la SNBC comporte actuellement une stratégie de réduction des émissions exportées à travers ses budgets carbone (HCC, 2020), elle n’inclut pas d’objectif quantifié pour la réduction des émissions importées (HCC, 2020).

La base de données entrées-sorties inter-pays de l'OCDE montre que la France avait un déficit commercial d’environ 121 millions de tonnes de CO2 en 2015 (Cezar & Polge, 2020). Ce solde indique qu'en termes d'émissions de CO2, la France consomme plus qu'elle ne produit. Les principaux flux commerciaux de la France en termes d'émissions de CO2 en 2015 sont présentés dans le tableau 8.

Tableau 8. Flux d’importations et exportations de CO2 de la France avec une sélection de pays (millions de tonnes de CO2, 2015)
Source : Cezar & Polge, 2020 : Cezar & Polge, 2020.

Le déficit commercial de la France en CO2 peut être attribué à un déficit commercial monétaire, mais aussi à la structure sectorielle des flux commerciaux (Cezar & Polge, 2020). Ce dernier point ressort dans le cas des échanges français avec le Kazakhstan et la Russie, qui se classent aux troisième et quatrième rangs des déficits commerciaux français en CO2, avec respectivement -10 millions de tonnes de CO2 et -9 millions de tonnes de CO2 (Cezar & Polge, 2020). Les importations françaises en provenance de ces deux pays sont dominées par les matières premières et les hydrocarbures. Les exportations françaises, quant à elles, sont souvent mesurées comme la valeur ajoutée des produits, généralement issus des services qui sont généralement moins émetteurs (Cezar & Polge, 2020).

La Chine se distingue dans la balance commerciale CO2 française en contribuant à la plus grande part des émissions importées de la France, au plus grand déficit commercial et à l'un des trois plus grands destinataires des émissions des exportations françaises. Par ailleurs, en 2015, la France avait des excédents commerciaux de CO2 avec le Royaume-Uni, la Suisse, la Colombie, la Suède et l'Argentine. Toutefois, la balance entre la France et ces trois derniers pays était proche de zéro (Cezar & Polge, 2020). L'Espagne et le Royaume-Uni sont d'autres pays importants pour le commerce français en termes d'émissions de CO2. Les importations depuis l'Espagne représentaient 5 % des émissions importées par la France en 2015, et le Royaume-Uni a reçu 7 % des émissions exportées de la France en 2015 (Cezar & Polge, 2020).

Plus généralement, l'Europe en tant que région représentait les parts les plus élevées des émissions de CO2 importées et exportées de la France en 2015 (tableau 8). Environ 31 % des émissions importées par la France provenaient d'Europe (Cezar & Polge, 2020).

Les émissions incorporées dans les exportations françaises sont principalement liées aux secteurs des équipements de transport, des matériaux de base et du stockage des transports. Ensemble, ces secteurs représentaient plus de 30 % des émissions exportées par la France en 2015 (Cezar & Polge, 2020). Les autres secteurs concernés sont les produits chimiques et pharmaceutiques (environ 8 % des émissions exportées en 2015) et l'agriculture et l'exploitation minière (environ 5 % des émissions exportées en 2015) (Cezar & Polge, 2020).

En 2015, environ 45 % des émissions exportées par la France provenaient de l'étranger (Cezar & Polge, 2020). La Chine et l'Allemagne ont été les principaux contributeurs aux émissions étrangères dans les exportations françaises en 2015, représentant respectivement 8,5 % et 4,5 % des émissions incorporées dans les exportations françaises (Cezar & Polge, 2020). 

Les émissions importées de ces pays proviennent en grande partie des secteurs de l'énergie et des métaux de base dans les deux pays (Cezar et Polge, 2020). Dans le cas de la Chine, les émissions du secteur de l'énergie correspondent à l'énergie utilisée pour produire les exportations chinoises, tandis que le secteur des métaux de base est lié aux produits directement exportés (Cezar & Polge, 2020).

Émissions importées de la France

La ventilation de l'empreinte carbone de la France par poste de consommation, comme le montre la figure 32, met en évidence la forte dépendance de la France à l'égard des biens et des émissions importés. Par exemple, si la consommation de transport des ménages français est le premier poste de l'empreinte carbone, toutes ces émissions ont lieu en France (en bleu clair et bleu foncé dans la figure 32) et ne sont donc pas des émissions importées (en orange). En revanche, les émissions liées aux travaux de construction, qui sont le quatrième facteur contribuant le plus à l'empreinte carbone nationale, comprennent plus de 50 % d'émissions importées.

Figure 32. Répartition de l'empreinte carbone française 2019 par produit, en kilotonnes d'équivalent CO2
Source : SDES, 2022a : SDES, 2022a.

L'examen de l'intensité carbone des 20 produits les plus intensifs en CO2 par euro de valeur ajoutée de la demande finale intérieure[1] en 2014 montre que l'intensité carbone des produits fabriqués en France est généralement inférieure à celle des produits importés (SDES, 2022a). 

Cela s'explique en grande partie par l'intensité carbone relativement faible de la production d'électricité en France et par l'importance des services dans l'économie française, où près de 80 % des emplois sont liés au secteur des services, contre un peu plus de 2 % dans le secteur primaire et 18 % dans le secteur secondaire (SDES, 2022b). L'analyse du ministère de la Transition écologique et solidaire (2020) a suggéré que la relocalisation d'activités de l'étranger vers la France est un levier pour réduire l'empreinte carbone française. Elle entraînerait certes une augmentation des émissions nationales du fait d'un plus grand nombre d'activités se déroulant sur le territoire français, mais celles-ci auraient une intensité d'émissions plus faible.

La figure 33 montre les émissions liées à la production et à la consommation pour les 10 produits dont les émissions liées à la consommation sont les plus élevées en France en 2022, d'après les chiffres d'EXIOBASE pour l'année 2022 (représentant 46 % des émissions totales liées à la consommation en France). Ces 10 catégories comprennent à la fois des secteurs finaux et intermédiaires. Par exemple, le secteur de la construction dépend fortement de l'approvisionnement en matières premières, en machines et en services à l'étranger. Cela représente un volume très élevé d’émissions importées par rapport aux émissions liées à la production, qui ont lieu en France. Le même phénomène s'observe dans d'autres catégories telles que la construction automobile et les activités de services. Le volume d’émissions importées est particulièrement élevé dans les secteurs qui utilisent beaucoup de matières premières.

Figure 33. Émissions liées à la production et à la consommation pour les 10 produits dont les émissions liées à la consommation sont les plus élevées en France en 2022, kt CO2e
Source : EXIOBASE.

 

Gouvernance et cadres politiques de haut niveau, objectifs et principaux acteurs

Outre les objectifs climatiques inscrits dans sa loi sur l'énergie et le climat, l’empreinte carbone de la France fait l’objet de plusieurs cadres juridiques et normatifs, notamment la stratégie nationale bas-carbone et la loi climat et résilience. La présente section donne un aperçu de ces cadres.

Stratégie nationale bas carbone de la France, version 2 (SNBC-2)

Introduite par la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), la SNBC est la feuille de route de la France en matière de lutte contre le changement climatique. La deuxième version de cette stratégie (SNBC-2) a deux objectifs principaux : atteindre la neutralité carbone en 2050, et réduire l'empreinte carbone de la consommation française (Ministère de la Transition écologique et solidaire, 2020). Sans aller jusqu'à déterminer des objectifs d'empreinte carbone propres au pays, la SNBC-2 intègre la notion d'empreinte carbone de la France comme une "orientation transversale". Il s'agit de réduire les émissions liées à la consommation française de biens et services produits sur le territoire national et importés, y compris les transports internationaux (Ministère de la Transition écologique et solidaire, 2020). La stratégie esquissée s'articule autour de deux leviers :

  • Promouvoir les ambitions climatiques mondiales, en particulier celles des partenaires commerciaux de la France, pour les inciter à réduire leurs émissions nationales. La SNBC-2 considère que des instruments tels que les marchés du carbone ou les taxes carbone sont particulièrement intéressants à cette fin.
  • Favoriser la production nationale si elle est moins émettrice, et prévenir les risques de fuite de carbone qui peuvent survenir lorsque les installations de production sont délocalisées dans des régions où les réglementations climatiques sont moins strictes.

La stratégie est subdivisée en trois lignes directrices, comme le montre le tableau 9.

Tableau 9. Lignes directrices pour la stratégie nationale bas-carbone de la France (SNBC)

Enfin, la SNBC-2 prévoit trois catégories d'indicateurs de suivi : deux relatifs aux lignes directrices EC-1 et EC-2, et un relatif aux résultats. La SNBC-2 ne prévoit pas d'indicateurs de suivi pour l'EC-3. Les indicateurs de suivi pour chaque ligne directrice sont présentés dans le tableau 10.

Tableau 10. Indicateurs de suivi liés à l'orientation de l'empreinte carbone de la SNBC-2 pour la ligne directrice EC-1-EC-3
Source : Ministère de la Transition écologique et solidaire, 2020.

Les leviers de la SNBC-2 font écho aux recommandations du Haut Conseil pour le Climat (HCC - voir "acteurs principaux", ci-dessous). Cependant, la SNBC-2 n'est qu'un document normatif et n'a aucune valeur en termes d'application de la loi. Chaque orientation n'est pas nécessairement assortie d'une loi permettant d'en assurer la mise en œuvre.

Stratégie nationale bas carbone de la France, version 3 (SNBC-3)

La loi sur l'énergie et le climat (LEC) de 2019 fournit le cadre juridique des politiques énergétiques et climatiques de la France. Avec la LEC, la France a mis en place un plafond indicatif pour l'empreinte carbone de la France à partir de 2022, ainsi que pour les transports internationaux (loi n° 2019-1147, 2019). La troisième version de la Stratégie nationale bas-carbone de la France (SNBC- 3) complète la LEC en proposant une feuille de route plus détaillée et des stratégies spécifiques pour atteindre les objectifs énoncés dans la loi. La SNBC-3, dont la consultation publique est prévue pour la fin de l'année 2024, comprendra des plafonds indicatifs de réduction de l'empreinte carbone sur des périodes consécutives de cinq ans à partir de la période 2019-2023 (comme spécifié à l'article 222-1 B du code de l'environnement), en plus des objectifs territoriaux de réduction des émissions.

Loi climat et résilience

En 2021, la France a adopté une loi sur le climat et la résilience, qui vise à atteindre l'objectif climatique de 2030 consistant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % (Jousseaume, 2022). La loi est structurée de manière à refléter les propositions de la Convention citoyenne sur le climat (CCC), créée après le mouvement des gilets jaunes et chargée de proposer des mesures pour atteindre l'objectif climatique de 2030 (Vie publique, 2020, 2021). Elle contient des décrets axés sur les modes de consommation et d'alimentation, les modèles de production et de travail, les déplacements, l'artificialisation des logements et des sols, les sanctions pénales pour écocide (Vie publique, 2021).  Il est à noter que la loi climat et résilience énonce en outre un engagement en faveur de l'objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici à 2030 (Vie publique, 2021).

Principaux acteurs

La Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), administration responsable de la SNBC, suit et utilise également les travaux du Service des données et études statistiques (SDES), en raison de leur étroite proximité avec ceux menés pour la SNBC. Par ailleurs, un groupe de travail dédié existe désormais au sein de la DGEC pour modéliser l'empreinte carbone de la France et lui définir des objectifs à inscrire dans la SNBC.

Le SDES est rattaché au Commissariat général au développement durable (CGDD) et est mandaté par la loi pour offrir des services statistiques à plusieurs ministères français, dont les ministères de l'environnement, de l'énergie, du logement et des transports (SDES, n.d.). Il joue également le rôle d'autorité statistique nationale française dans la correspondance avec le système statistique européen Eurostat et d'autres organisations internationales (SDES, n.d.).

Le Haut Conseil pour le Climat (HCC) est une instance indépendante d'experts qui a été créée par un décret en 2019. Ses membres sont choisis pour leur expertise dans les domaines de la science du climat, de l'économie, de l'agronomie et de la transition énergétique. Ils sont chargés d'émettre des avis et des recommandations au gouvernement français sur la mise en œuvre des mesures et politiques publiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France. Il est également chargé de rendre compte chaque année des progrès réalisés par la France en matière de réduction des émissions, de la cohérence entre les politiques nationales et les objectifs climatiques nationaux, la SNBC et les engagements internationaux, ainsi que d'émettre des recommandations sur les politiques à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs climatiques de la France (Haut Conseil pour le climat, n.d.).

Le Citepa (Centre technique de référence sur la pollution atmosphérique et le changement climatique) est chargé de compiler et d'analyser les données relatives à la pollution atmosphérique et aux émissions de gaz à effet de serre en France. Il fournit une expertise, des recherches et des données pour soutenir les politiques environnementales et la prise de décision (Citepa, 2024). L'organisme travaille en étroite collaboration avec le CGDD et le SDES au sein du ministère de la Transition écologique (MTE) pour rassembler et diffuser des informations précises sur les émissions, suivre les tendances environnementales et évaluer l'efficacité des politiques environnementales.

 

Mesures et initiatives politiques visant à réduire les émissions liées à la consommation

Outre les politiques et objectifs globaux mentionnés ci-dessus, cette section présente certaines des politiques et mesures mises en œuvre au niveau sectoriel.

Au niveau national français, la loi Climat et résilience a introduit un certain nombre de politiques visant à réduire les émissions nationales françaises. Certaines d'entre elles visent également à réduire les émissions importées. Certaines des politiques existantes sont détaillées dans les sections suivantes.

Transport

Concernant le transport routier de voyageurs, le Code des transports a été révisé pour favoriser le développement des parcs relais, ces espace de stationnement pour automobiles situés en périphérie d'une ville et destinés à inciter les automobilistes à accéder au centre-ville en transport en commun (Ministère de la Transition écologique, 2021). La loi sur le climat et la résilience introduit en outre des zones à faibles émissions (ZFE) de transport dans les zones urbaines de plus de 150 000 habitants (ministère de la Transition écologique, 2021). En outre, en vertu de la loi sur le climat et la résilience, les vols intérieurs pour lesquels un trajet en train correspondant prendrait moins de 2,5 heures ont été interdits à partir de mai 2023 (Euronews, 2023 ; ministère de la transition écologique, 2021).

Alimentation

En ce qui concerne l'alimentation, la loi climat et résilience oblige les écoles publiques et privées à servir une option végétarienne au moins une fois par semaine (Institut national de recherche sur l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, 2023). De plus, d'ici 2025, les entreprises de restauration publiques et privées seront obligées de proposer 50 % de produits alimentaires comportant un label de durabilité ou de qualité, dont 20 % doivent être biologiques (Ministère de la Transition écologique, 2021).

Logement

À partir de 2025, la loi climat et résilience stipule que les propriétaires ne pourront pas augmenter les loyers s'ils n'entreprennent pas les travaux de rénovation énergétique nécessaires. En particulier, elle interdit la location des passoires thermiques, logements dont la performance énergétique est classée G. De plus, la location de logements dont la performance est classée F et G sera interdite à partir de 2028, sauf rénovation (loi n° 2021-1104, 2021). Une aide de l'État, "MaPrimeRénov'", a été mise en place pour que les ménages réalisent des travaux de rénovation de leur logement afin d'améliorer leur performance énergétique (Ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, 2024).

Consommation de biens et de services

En 2024, le Parlement français a approuvé un projet de loi visant à instaurer une pénalité sur les articles vestimentaires de la fast-fashion d'ici 2030, ainsi qu'une interdiction des publicités des entreprises de fast-fashion, afin de ne pas contribuer à aggraver leur impact sur l'environnement (Vie publique, 2024). Dans le cadre de la loi française relative à la lutte contre les déchets pour une économie circulaire, adoptée en 2020, des primes à la réparation sont en outre proposées pour les appareils électriques et électroniques (Direction de l'information légale et administrative, n.d.).

Recommandations du Haut Conseil pour le climat (HCC)

En octobre 2020, le HCC a publié le rapport Maîtriser l'empreinte carbone de la France dans le but d'attirer l'attention du gouvernement français sur la question. Le rapport fournit une vue d'ensemble des émissions associées au commerce international de la France et une analyse de l'empreinte carbone appuyant une stratégie plus large de réduction de l'empreinte carbone de la France. Le HCC propose d'établir une trajectoire de réduction de l'empreinte carbone, en ligne avec les engagements de neutralité carbone à l'horizon 2050. Cette trajectoire implique une réduction de l'empreinte carbone française de 37 % d'ici 2030 et de 80 % d'ici 2050 par rapport à 2005 (Haut Conseil pour le climat, 2020). Pour les émissions importées, la trajectoire proposée implique un objectif de réduction de 27 % d'ici 2030 et de 65 % d'ici 2050 par rapport à 2005, tous gaz à effet de serre confondus (Haut Conseil pour le climat, 2020). Il convient toutefois de noter que ces objectifs ont été estimés en 2020, lorsque les dernières révisions méthodologiques de l'empreinte carbone n'avaient pas encore été effectuées. Voir le tableau 11.

Tableau 11. Trajectoire recommandée par le HCC pour l'empreinte carbone de la France, compatible avec une limitation du réchauffement climatique à 1,5°C
Source : Haut Conseil pour le climat, 2020.

Dans son rapport, le HCC recommande en outre quatre leviers pour agir directement sur l'empreinte carbone de la France.

Le premier levier consiste à adapter les stratégies industrielles en France. Il s'agit d'adapter les modes de production en évitant les risques de délocalisation massive, car une grande partie des émissions importées de la France provient de l'importation de biens et de services par les entreprises françaises (Haut Conseil pour le Climat, 2020). Le rôle de l'action individuelle et collective des entreprises est ici mis en avant. Les acteurs économiques doivent maîtriser leurs émissions directes et indirectes (scopes 1, 2 et 3), à la fois individuellement et collectivement, dans la co-construction au sein de leurs secteurs (Haut Conseil pour le Climat, 2020). L'étiquetage environnemental des produits de consommation est un moyen de faire évoluer les modes de production en réorientant la demande vers des solutions moins carbonées (Haut conseil pour le climat, 2020).

Le deuxième levier mis en avant par le HCC est la communication aux ménages de l'empreinte climatique des produits qu'ils consomment. Les émissions liées à la consommation des ménages représentent une part importante de l'empreinte carbone de la France.

Cependant, les ménages ne sont pas suffisamment informés des émissions contenues dans les biens et services qu'ils achètent. La mise en place d'un score carbone, par exemple, permettrait d’informer les consommateurs sur l'impact des produits sur le climat. Cependant, les actions individuelles des ménages ne peuvent pas remplacer une action structurelle de la société dans son ensemble (Haut Conseil pour le Climat, 2020).

Le troisième levier est de promouvoir des mesures de réduction des émissions importées au niveau de l'UE. Pour ce faire, le HCC a mis en avant deux pistes. La première, le CBAM, est déjà en place et donne un signal de prix pour les biens importés par l'UE. La seconde consiste à transformer les accords commerciaux pour les rendre compatibles avec les objectifs climatiques (Haut Conseil pour le climat, 2020). Par exemple, tous les nouveaux accords de libre-échange pourraient être accompagnés d'une évaluation de leur impact sur le climat (et en particulier sur la déforestation importée), voire d'une obligation pour le partenaire commercial d'adopter un engagement significatif de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Les accords de libre-échange de l'UE pourraient alors être transformés en outils de diplomatie climatique (Haut Conseil pour le Climat, 2020).

Le quatrième et dernier levier de réduction de l'empreinte de la France suggéré par le HCC est d’orienter la coopération internationale de la France vers le renforcement de ses engagements dans le cadre de l'Accord de Paris. Les engagements actuels des pays étant insuffisants pour limiter la hausse des températures à 1,5°C ou 2°C, la France doit jouer son rôle, par la voie diplomatique, pour rehausser les ambitions des autres pays. En particulier, l'Agence française de développement peut jouer un rôle majeur à cet égard (Haut Conseil pour le climat, 2020).

 

Contrôle et suivi de l’empreinte carbone

Le calcul de l'empreinte carbone de la France est essentiel à la stratégie climatique de la France, car il complète les données de l'inventaire national du Citepa (Citepa, 2024). Le calcul de l'empreinte carbone permet d'évaluer plus largement l'impact de la consommation française sur le climat, notamment à travers les émissions importées.

Depuis 2013, l'empreinte carbone de la France est calculée par le Service de la donnée et des études statistiques (SDES) du ministère de la Transition écologique (MTE).

Un rapport annuel sur l'empreinte carbone est réalisé depuis 2018. Ce travail ne répond pas à une demande gouvernementale : il s'agit d'une auto-saisine. Le SDES travaille désormais en étroite collaboration avec l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour faciliter la transmission des données et la qualité des calculs (Insee, 2024). Un poste dédié à cet effet existe à l'Insee depuis 2023. L'objectif est de produire des analyses communes entre la SDES et l'INSEE.

La méthodologie de calcul de l'empreinte carbone du SDES repose sur la combinaison de deux types de données : les tableaux symétriques entrées-sorties des comptes nationaux, fournis par l'Insee, et les comptes environnementaux d'émissions de gaz à effet de serre ventilés par branche d'activité, selon la nomenclature française des activités économiques (NAF) (SDES, 2023a). Les comptes environnementaux sont fournis par le Citepa, à travers ses comptes d'émissions atmosphériques AEA.

Cette méthodologie a été enrichie au fil des années. À la suite du rapport 2020 du HCC sur l'empreinte carbone de la France, un groupe de travail technique composé de divers experts, dont le Commissariat général au développement durable, la Direction générale de l'énergie et du climat, le HCC et Carbone 4, a procédé à une évaluation de la méthodologie de calcul de l'empreinte carbone, en examinant la possibilité de fonder les calculs d'entrées-sorties sur un modèle d'entrées-sorties multirégional (MRIO) au lieu de l'actuel tableau d'entrées-sorties monorégional (SRIO) (SDES, 2023a). Bien que le passage au MRIO n'ait pas été jugé faisable à l'époque, une amélioration méthodologique significative a néanmoins été incorporée par le SDES (SDES, 2023a). Cette amélioration a permis d’estimer plus précisément les intensités en gaz à effet de serre de ces produits issus des activités extractives en fonction du pays d'extraction, et de corriger les effets de prix liés à la volatilité des cours du pétrole brut (SDES, 2023a).

Les calculs les plus récents effectués par le SDES ont ajusté les intensités d'émission de gaz à effet de serre des pays exportateurs en fonction de leurs caractéristiques économiques et techniques (par exemple, le contenu en carbone de l'électricité, l'intensité d'émission de gaz à effet de serre de la valeur ajoutée dans les différents secteurs). Les intensités carbone des pays non membres de l'UE ont été ajustées à l'aide des données de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) et de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Les importations en provenance de l'UE ont été estimées à l'aide d'un tableau entrées-sorties fourni par Eurostat.

L'empreinte carbone de la France a ainsi été calculée pour 1995, 2000, 2005 et pour toutes les années entre 2010 et 2019. Pour les trois dernières années (2020, 2021 et 2022), les tableaux d'entrées-sorties nécessaires au calcul ne sont pas encore disponibles. Une estimation a donc été réalisée jusqu'à ce que toutes les données soient disponibles. ce stade, seuls trois gaz sont inclus dans le résultat de l'empreinte carbone (CO2, CH4 et N2O). À terme, il est prévu d'inclure les gaz fluorés et les émissions provenant de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie (UTCATF).

Il est à noter que, bien qu'exclu dans l'évaluation faite en 2021, le passage d'une SRIO à une MRIO utilisant la base de données FIGARO d’Eurostat est en cours et devrait voir le jour en 2024. Les calculs à venir seront donc basés directement sur une approche multilatérale. Les modèles MRIO sont constitués d'un ensemble de tableaux entrée-sortie (autant que de pays ou groupes de pays considérés) reliés entre eux par des statistiques de commerce international harmonisées, décrivant le commerce extérieur entre les différents pays ou groupes de pays considérés.

Réseaux et initiatives pertinents

En 2020, un rapport a été publié dans le cadre d'une convention de recherche entre l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) et le HCC, sur la contribution des émissions importées à l'empreinte carbone de la France (Malliet, 2020b). Ce document explore la relation entre la consommation finale privée des ménages français et l'empreinte carbone de la France. Il souligne la dissociation entre les émissions liées à la production et à la consommation, en mettant en évidence les écarts de résultats entre les différentes bases de données existantes.

Le rapport montre que les résultats de l'utilisation de la base de données EXIOBASE 3 diffèrent de ceux du SDES pour l'année 2022 (Malliet, 2020b). Sur le même périmètre que le SDES, c'est-à-dire en ne comptabilisant que le CO2, le CH4et le N2O, l'empreinte carbone basée sur EXIOBASE est estimée à 614 MtCO2e pour 2022, alors qu'elle est de 623 MtCO2e selon l'estimation 2022 du SDES (Malliet, 2020a). Les différences entre les résultats d’EXIOBASE et du SDES proviennent des différents tableaux entrées-sorties économiques sur lesquels sont basés les calculs. Il existe également différentes manières, toutes valides, pour calculer et harmoniser le commerce international et estimer les impacts environnementaux.

Il existe également plusieurs initiatives de création d’outils de calcul de l'empreinte carbone  individuelle, basées sur différentes méthodologies. Les initiatives publiques, telles que « Nos gestes climat » de l'ADEME, se concentrent principalement sur les estimations nationales, en utilisant les chiffres produits par le SDES (ADEME, 2024). Outre l'ADEME, il existe également des initiatives privées, telles que la plateforme MyCO2 de Carbone 4 (Carbone 4, 2023) ou l’outil d’empreinte carbone développé par la Fondation GoodPlanet (Fondation GoodPlanet, 2024).

 

Points de vue des praticiens sur les défis, les possibilités d'accélération et de suivi

Quatre entretiens avec des praticiens ont été menés pour étayer cette étude de cas sur l’empreinte carbone de la France. Les enseignements tirés des entretiens sont détaillés dans les sections suivantes, soulignant les opportunités et les obstacles à la réduction de l’empreinte de la France, ainsi que les points de vue des personnes interrogées sur les objectifs et les pratiques de suivi.

Opportunités pour réduire l'empreinte carbone

Les personnes interrogées ont souligné le pouvoir des réglementations et des normes pour réduire les émissions, en plus des mécanismes du marché tels que les taxes et les quotas. Par exemple, la norme européenne CAFE (Corporate Average Fuel Economy) a permis de réduire l'intensité carbone moyenne des véhicules neufs de 20 % à partir de 2021. Cette norme a l'avantage de modifier directement l'offre et d'influencer indirectement la demande des consommateurs. La loi française sur le climat et la résilience, qui interdit la location des passoires thermiques, est un autre exemple de réglementation efficace, bien qu’elle doive être accompagnée d'un soutien financier approprié.

Les personnes interrogées ont suggéré d'autres mesures potentiellement efficaces, telles que l’encadrement de la publicité. Cet encadrement pourrait consister en l’interdiction de certaines catégories de produits, l’écoconditionnalité de la publicité, ou encore la prise en compte des récits véhiculés par les messages publicitaires (par exemple, interdire une publicité pour une voiture si les images ne montrent pas une situation de covoiturage, comme l'a suggéré l'une des personnes interrogées). Les politiques actuelles d'étiquetage environnemental ont également été considérées comme essentielles par certaines personnes interrogées, bien que ces mesures d'information des consommateurs soient potentiellement trop laxistes.

En France, la réindustrialisation (c'est-à-dire la relocalisation des capacités industrielles sur le territoire) semble également être une solution pour les personnes interrogées - bien que ce ne soit pas la seule - pour réduire les émissions liées aux importations. Des programmes tels que

France Relance[2] et France 2030[3] ont été cités comme deux exemples de politiques mises en  œuvre dans ce sens.

Enfin, nos entretiens ont suggéré que l'implication des instances européennes est un facteur crucial pour la généralisation et la standardisation des calculs d’empreinte carbone. Cela permettrait également de fixer des objectifs de réduction de l'empreinte carbone à l’échelle du continent. Par ailleurs, au niveau européen, la mise en place du CBAM et de l'EU-ETS apparaît aux yeux des personnes interrogées comme un premier pas vers une meilleure prise en compte des impacts environnementaux de la consommation française. Leur impact devra être évalué à long terme, lorsque le CBAM sera étendu à davantage de catégories de produits, tels que les produits semi-finis ou finis.

 

Obstacles à l'action pour la maîtrise de l'empreinte carbone

Une personne interrogée a également évoqué le risque que certaines politiques visant à modifier le comportement des consommateurs soient perçues par le public comme anxiogènes et moralisatrices. Pour limiter le risque de clivage de la population, la personne interrogée suggère de privilégier les politiques visant à transformer l'offre. Néanmoins, la personne interrogée reconnaît également l'importance des incitations directes à limiter la consommation de certains produits à forte intensité carbone, tels que les avions, les téléphones ou les téléviseurs.

L'une des personnes interrogées a mentionné un défi lié à la manière dont le suivi de l’empreinte carbone est communiqué. Chaque année, la publication des chiffres les plus récents de l'empreinte carbone est souvent très attendue, mais aussi très incertaine. Une autre personne interrogée a déclaré que la coopération internationale, et en particulier européenne, est essentielle pour un suivi efficace, mais n’est que trop peu développée à ce stade selon elle. Les personnes interrogées soulignent que des initiatives doivent voir le jour pour que les États membres de l'UE prennent mieux en compte de leur empreinte carbone. En outre, il a été suggéré qu'une collaboration plus étroite et un partage des données sur les émissions de gaz à effet de serre permettrait d'affiner les calculs de l'empreinte carbone de l’UE et de ses pays membres. Une personne interrogée a suggéré d'établir un cadre européen pour le calcul de l'empreinte carbone, en faisant éventuellement appel à des agences existantes (par exemple Eurostat ou l’Agence européenne de l’environnement) ou en en créant une nouvelle. Une autre personne interrogée a souligné la difficulté pour les pays de mener des efforts seuls, en raison de la nature interconnectée de la donnée carbone, et a suggéré que la mise en commun des ressources est essentielle, bien que les progrès en la matière au niveau de l'UE soient lents. En outre, l'importance de la Commission européenne dans l'amélioration des rapports sur le climat et l'énergie a été soulignée par une autre personne interrogée qui a appelé à des méthodes plus normalisées pour la mesure et le reporting de l’empreinte carbone des pays membres de l’UE.

Objectifs et pratiques de suivi

Lors des entretiens, différents points forts de l'approche française pour le calcul de l’empreinte carbone ont été soulignés. L'un des points forts est d’avoir assumé d’adopter une méthode de calcul simple dans les premières années, ce qui a permis d’obtenir d’estimer l’empreinte de la France dès le début des années 2010.

En outre, comme indiqué ci-dessus, il existe en France plusieurs groupes de travail et initiatives privées et publiques dédiés au sujet de l’empreinte carbone. Deux personnes interrogées ont salué l'existence de ces groupes de travail, qui contribuent à améliorer la qualité des calculs effectués, en apportant des points de vue différents et en permettant des évolutions méthodologiques fréquentes. Par ailleurs, l'existence de simulateurs de calcul d'empreinte carbone individuelle (empreinte carbone "microéconomique") comme Nos Gestes Climat (ADEME) et MyCO2 (Carbone 4) a permis de sensibiliser le public à ces questions et de favoriser l'émergence d'une expertise publique-privée en France. De plus, ces simulateurs sont souvent simples d'utilisation et gratuits. Plus généralement, la disponibilité d'une expertise externe, indépendante du ministère, est un atout pour améliorer le calcul de l'empreinte carbone. Enfin, la France devrait être le premier pays européen à intégrer le MRIO FIGARO (d'ici 2024) dans le calcul de son empreinte carbone nationale.

Les personnes interrogées ont soulevé plusieurs recommandations et défis liés au suivi de l’empreinte carbone. S'appuyer sur le modèle multirégional FIGARO d’Eurostat est jugé essentiel pour assurer la cohérence des méthodes des États membres, car le modèle FIGARO est basé sur des données nationales. Au moins deux des personnes interrogées ont mentionné que l'utilisation prochaine de FIGARO pour calculer l'empreinte carbone de la France permettra de nombreuses améliorations. Par exemple, il sera possible de cartographier les approvisionnements tout au long de la chaîne de valeur, et donc de retracer l'origine des matières premières utilisées. Les personnes interrogées y voient l’opportunité de mieux cerner la dépendance aux importations de certains secteurs. EXIOBASE est considéré par les personnes interrogées comme un outil intéressant pour évaluer l'empreinte carbone, mais à des fins de recherche plutôt que de calculs statistiques. Les personnes interrogées soulignent que le modèle EXIOBASE est plus exhaustif et complet, mais qu'il est construit sur de nombreuses estimations et qu'il dépend d'un financement de la recherche dont la durabilité est inconnue, contrairement à FIGARO qui est soutenu financièrement par l'UE. Cette instabilité est jugée insuffisante par les personnes interrogées pour mettre à jour régulièrement et précisément l'empreinte carbone d'un pays.

Les personnes interrogées soulignent en outre l'importance d'harmoniser les méthodes de calcul utilisées par les différents simulateurs d'empreinte carbone individuelle, à la fois entre elles et avec les calculs de l’empreinte macroéconomique effectués par le SDES. Bien que ces deux types de calculs soient assez différents, il semble essentiel pour les personnes interrogées de les harmoniser pour des raisons de communication et de rigueur. Une personne interrogée a également souligné la confusion du vocabulaire car le terme "empreinte carbone" est utilisé à la fois pour l'approche microéconomique (échelle individuelle) et pour l'approche macroéconomique (échelle pays).

D'autres améliorations des calculs ont été suggérées au cours des entretiens. La première est l'inclusion des gaz fluorés dans les calculs de l'empreinte carbone. Ils sont actuellement inclus dans les données de l'inventaire national du Citepa, mais les données fournies par l'AIE et la FAO pour les pays étrangers ne les incluent pas. La deuxième amélioration suggérée par les personnes interrogées est la prise en compte des émissions liées à la déforestation importée, qui ne sont actuellement pas comptabilisées. La comptabilité mondiale à ce sujet semble encore insuffisante, bien que des groupes de travail se penchent déjà sur cette question en vue de l'intégrer à l'avenir. La troisième suggestion proposée par les personnes interrogées consiste à ventiler l’empreinte carbone en fonction du revenu ou du mode de vie. Selon les personnes interrogées, il s'agit d'un indicateur utile pour orienter les politiques publiques. Des recherches initiales ont déjà été menées par l'OFCE (Malliet, 2020b) et les personnes interrogées considèrent qu'il est possible d'intégrer cet indicateur dans le bilan carbone national à l'avenir, en utilisant des enquêtes par exemple.

Enfin, les personnes interrogées suggèrent d'intégrer de nouveaux modules dans le modèle FIGARO, tels que les extensions d'EXIOBASE, car cela permettrait d'inclure de multiples émissions de gaz à effet de serre et éventuellement, à terme, d'autres indicateurs.


Neutralité
Empreintes carbones et reporting
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Auteurs & autrices
Portrait de César  Dugast
César Dugast
Senior Manager / Responsable de pôle
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Pierre Maquet
Consultant
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Stockholm Environment Institute
Portrait de Jindan Gong
Jindan Gong
Stockholm Environment Institute