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21 décembre 2023

Les idées reçues sur le transport de marchandises et le climat

Grâce au développement économique et technologique rapide du secteur du transport de marchandises, il est aujourd’hui possible de consommer facilement des biens provenant des quatre coins de la planète. Cette accélération constante de la mondialisation n’est pas sans conséquence sur le réchauffement climatique car les émissions associées au transport de marchandises sont considérables.

Lorsqu’on parle de transport de marchandises et de climat, on est confronté à un florilège d’idées reçues qui suscitent souvent des réponses contradictoires. Avec cette FAQ, Carbone 4 cherche à éclairer le débat pour démêler le vrai du faux en proposant une approche scientifique et chiffrée pour chaque idée reçue. Ces questions sont les premières d'une plus longue série.


 

Liens entre transport de marchandises et réchauffement climatique

1. L'impact du transport de marchandises sur le changement climatique n'est-il pas anecdotique ?

Le transport (de marchandises et de passagers) joue un rôle significatif dans le réchauffement climatique, étant le deuxième secteur le plus émissif en CO2 derrière la production d’énergie, et représentant environ un quart des émissions mondiales de l’énergie en 2019[1].

Et si les émissions de passagers occupent souvent l’espace médiatique, les émissions du transport de marchandises représentent environ la moitié (45%) des émissions du secteur[2].

Répartition des émissions mondiales de l’énergie en 2019 par secteurs
Carbone 4

L’impact du transport de marchandises sur le climat n’est donc pas du tout négligeable, d’autant plus que, comme pour les passagers, ses émissions sont en croissance d’environ 2% par an depuis les années 2000[3].

Émissions de gaz à effet de serre (GtCO2) par année du transport de marchandises et de passagers
AIE - Transport sector CO2 emissions by mode, 2018

1bis. Quels sont les objectifs climat pour le fret ?

Les objectifs de réduction carbone pour le transport à horizon 2050 sont ambitieux : 

  • Au niveau français, la Stratégie Nationale Bas Carbone [4] vise une réduction de quasiment 100% des émissions carbone (avec des émissions résiduelles pour le transport aérien domestique);
  • Au niveau européen avec une réduction de 90% des émissions par rapport aux émissions de 1990 [5].

Des objectifs intermédiaires sont fixés à 2030 (dans 6 ans) par rapport aux émissions de 1990 : 

  • Le plan “France Nation Verte” indique une réduction de 25% pour la France[6];
  • Le désormais célèbre Fitfor55 vise une réduction de 55% des émissions pour l’Europe[7].

L’aviation et le maritime à l’échelle internationale échappent en partie aux périmètres étatiques, mais se sont également fixés des objectifs via leur organisation onusienne, respectivement l’OACI et l’IMO. Elles ont toutes deux une ambition zéro émission nette en 2050, ce qui implique que les émissions seraient contrebalancées par des absorptions CO2. Cet objectif est flou, car il ne donne pas la part de réduction effective d’émissions par rapport à la part d’augmentation des absorptions de puits de carbone.

  • D’un côté, l’IMO a précisé des objectifs de réduction d’émissions pour le maritime : -20 à -30% pour 2030, et -70 à -80% pour 2040 [8].
  • De l’autre côté l’aviation n’a pas précisé d’objectifs de réduction d’émissions.

Quel que soit le mode, l’objectif reste simple : une décarbonation quasi totale du transport d’ici 25 ans. Et le fret n’a pas d’objectif dédié, il fait partie intégrante de ces objectifs et des plans pour y arriver.

2. Quels sont les transports de marchandises les plus impactants en absolu ?

Intéressons-nous dans un premier temps à la répartition entre les différents modes qui permettent de transporter des marchandises. L’unité qui permet de quantifier le volume transporté est la “tonne-kilomètre”, qui représente une tonne de marchandise déplacée sur 1 km.

Répartition des tonnes kilomètres dans le monde en 2019
Source OCDE

Selon les statistiques de l’OCDE[9], la grande majorité de marchandises sont transportées par voies maritimes. Avec le routier, ces deux modes couvrent 90% des marchandises dans le monde en 2019. Le fret aérien reste, quant à lui, très anecdotique avec ~0,2% des volumes.

Néanmoins, chacun de ces modes de transport ayant un impact très contrasté sur le climat (voir question suivante), la répartition des émissions de gaz à effet de serre ne suit pas la même répartition. Ils représentent également 90% des émissions du secteur, mais leur contribution à ces 90% est inversée. Le transport routier compte 2/3 des émissions du transport de marchandises, suivi par le maritime (22% des émissions). 

L’aérien, bien qu’anecdotique en volume transporté, représente toutefois 5% des émissions, ce qui est non-négligeable[10].

Répartition des émissions de CO2 dans le monde pour le transport de marchandise en 2018
Source : AIE, 2028

3. Quels sont les transports de marchandises les plus impactants en intensité ?

De grandes disparités existent dans l’intensité carbone du transport de marchandises, c'est-à-dire les émissions ramenées à une tonne de marchandises déplacée sur un km. Ainsi, sur les grandes distances, le fret aérien est 25 fois plus émetteur que le fret routier, et plus de 100 fois plus émetteur que le fret ferroviaire ou maritime.

Impact relatif des différents modes de transport sur la longue distance (facteur d'émissions gCO2e/t.km)
Source : ADEME, 2023

Malgré son impact limité par rapport au global des émissions du fret (voire question précédente), l’avion reste donc un mode très émissif à éviter autant que possible.

De même, sur des transports de plus courte distance, les véhicules utilitaires sont 3 à 6 fois plus émissifs que les camions par tonne transportée, la plus grande capacité des poids lourds compensant largement la consommation plus importante associée.

Choisir le mode de transport adapté doit se faire notamment à la lumière de cette intensité carbone, au-delà de la consommation de carburant dans l’absolu du véhicule.


 

Impact relatif des différents modes de transport sur la courte distance
Source : ADEME, 2023

4. Quels risques physiques liés au changement climatique (canicule, inondation, etc.) pour le fret ?

A +1,1°C de moyenne sur la décennie 2011-2020[11], le changement climatique est en grande partie déjà embarqué et il est malheureusement loin d’être certain que les objectifs mondiaux de l’Accord de Paris seront atteints. Nous serons probablement amenés à voir un monde à +2°C, +3°C voire plus et ce dans quelques dizaines d’années soit l’échelle de vie de nos infrastructures de transport[12]. Les effets du changement climatique se font d’ores et déjà sentir, et vont venir heurter de plus en plus les différents modes de transport de marchandises. Quelques exemples :

Pour le fret maritime qui représente la majorité des flux mondiaux,  le canal de Panama est une bonne illustration d’un impact actuel.  Les écluses du canal doivent être approvisionnées via des lacs artificiels, hors ceux-ci se vident avec la sécheresse que connaît le pays depuis 2023. Résultat : le trafic sur cet axe, crucial pour l’économie mondiale, est très fortement réduit[13]. Plus globalement, le fret maritime repose sur la viabilité des différents ports mondiaux. Hors, ceux-ci sont directement exposés à la montée du niveau des eaux, à l’érosion côtière et aux risques accrus d'évènements météorologiques violents (tempête, ouragans, etc.)[14] causés par le changement climatique.

Concernant le fret routier et ferroviaire, les impacts sont divers mais les plus récents sont ceux liés aux vagues de chaleur qui créent un risque de “flambement” (déformation sous la contrainte) des routes, des voies ferrées et des ouvrages d'art, et un risque de fonte de l'asphalte routier[15]. La déformation des rails et caténaires sous l’effet de la chaleur est aussi un risque clé. Les autres aléas restent d’actualité (inondation, glissement de terrain, etc.).

Le fret aérien va aussi devoir faire face à des aléas climatiques majeurs. Entre autres, car une part très importante des grands aéroports du monde ont été construits sur ou à proximité de la mer[16].

Tous les modes de transports sont ainsi concernés.  En Europe, sans même prendre en compte les effets indirects des perturbations induites, les coûts des dommages aux infrastructures de transport liés aux aléas climatiques pourraient passer d’environ 600 millions d’euros par an en moyenne, à 3 milliards sur 2010-2040, 6 milliards sur 2041-2070 et jusqu’à 12 milliards d’euros par an d’ici à la fin du siècle[17] ! Force est de constater que nos systèmes de finances publiques ne sont pas nécessairement préparés à gérer ces surcoûts futurs[18].

Coûts des dommages aux infrastructures de transport liés aux aléas climatiques (Mds€/an)
Forzieri, 2018.

Les moyens de décarboner le secteur

5. Quels sont les principaux leviers de décarbonation du transport de marchandise ?

Pour respecter les objectifs climatiques français d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, le secteur des transports en France doit atteindre une décarbonation quasiment totale d’ici 26 ans. Cet objectif se traduit par une sortie totale du pétrole et tout autre carburant fossile. Pour atteindre cet objectif ambitieux, nous pouvons nous appuyer sur l’équation de Kaya[19] appliquée au secteur du transport de marchandises qui décompose les différentes familles de solutions :

Les leviers de décarbonation - Équation de Kaya appliquée au secteur du transport

En décomposant les émissions de CO2 du transport de marchandises, deux familles de leviers qui permettent de réduire les émissions du transport de marchandises se distinguent :

  • Les leviers de sobriété :
    • Modération de la demande de transport : Il s’agit de modérer soit les distances parcourues et/ou le tonnage transporté, par exemple en utilisant un TMS (Transportation Management System), en optimisant les distances, en évitant des trajets (réduction de la taille de la chaîne logistique).
    • Report modal vers des modes plus bas carbone : report de fret vers des modes de transport avec une intensité carbone plus faible, comme le fret ferroviaire ou fluvial, voire le vélo-cargo pour le “dernier kilomètre".
    • Amélioration du taux de chargement des véhicules : regroupement des flux marchandises, réduction de la fréquence de livraison pour optimiser la charge transportée, réduction des retours à vide.
  • Les leviers technologiques :
    • Baisse des consommations énergétiques des véhicules : renouvellement de flotte avec des véhicules plus modernes et/ou plus adaptés aux besoins (véhicule plus petit si les contraintes le permettent), formations à l’éco-conduite, optimisation technique des véhicules (bridage & régulateur de vitesse, système Stop&Start, allègement, pneumatiques, etc.).
    • Décarbonation du mix énergétique : évoluer vers des carburants alternatifs moins carbonés comme certains biocarburants liquides, le biogaz, l’hydrogène, ou l'électricité. Ces carburants peuvent être plus ou moins décarbonants selon le type de matière première et l’énergie consommée pour la transformation (voir question 7).

L’application de ces leviers aux différents modes de transport de marchandises sera détaillée dans la suite de cet article.

6. Est-ce que la technologie sera suffisante pour décarboner le fret ?

La technologie sera certainement indispensable pour décarboner le fret, à la fois pour améliorer l’efficacité énergétique des différents moyens de transport ainsi que pour développer et produire des carburants alternatifs bas-carbone. Mais les objectifs de réduction des émissions dans le transport de marchandises pour parvenir à la neutralité carbone d'ici 2050 sont extrêmement ambitieux (voir question précédente), et d’autant plus lorsqu'on les associe à ses perspectives de croissance : selon l'International Transport Forum, le fret devrait plus que doubler d'ici à 2050[20]

Ainsi, même en considérant les leviers d’optimisation des opérations ainsi que l’amélioration des taux de remplissage, l’ensemble des leviers technologiques et opérationnels permettent une réduction des émissions annuelles de l’ordre de 50% à l’horizon 2050. La technologie reste un levier insuffisant pour respecter le budget carbone restant si elle ne s’accompagne pas d’une modération de la demande. En raisonnant en tonne-kilomètre, cette réduction de la demande peut être abordée selon deux axes :

  • Réduction des volumes transportés, se traduisant par une sobriété dans la consommation, qu’il s’agisse d’énergie, d’alimentation ou de biens manufacturés.
  • Réduction des distances parcourues en diminuant la taille des chaînes logistiques : régionalisation des productions, priorisation des circuits courts.
Évolution des émissions mondiales du fret (MtCO2)
Source : Carbone 4

Une modération de la croissance à hauteur d’environ 1,2 %/an (couplée à un fort déploiement des leviers technologiques) pourrait permettre de maintenir un budget carbone pour le transport de marchandises compatible avec un scénario sous 2°C de réchauffement climatique. Cette modération sera d’ailleurs en partie générée par des raisons économiques, car les vecteurs énergétiques alternatifs sont et resteront probablement plus onéreux que les carburants fossiles pour certains modes de transports, notamment aérien et maritime. 

7. Est-ce que le transport de marchandises en masse est bénéfique pour le climat ?

Même si cela peut paraître contre-intuitif, plus un mode de transport est important, moins il est émissif ramené au chargement transporté grâce à l’effet d’échelle. Par exemple, un navire pétrolier de capacité inférieure à 5 000 tonnes (61 gCO2e/t.km) a une intensité carbone environ 20 fois supérieure à celle d’un pétrolier de capacité supérieure à 200 000 tonnes (2,61 gCO2e/t.km) selon l’ADEME, bien que la consommation de carburant de ce dernier soit très significative dans l’absolu.

De même pour le transport routier, à taux de chargement égal, les camions de 3,5 à 7,5 tonnes sont nettement plus émissifs (5x) par tonne.km transportée que les poids lourds de 44t. Et les véhicules utilitaires légers (VUL) de moins de 3,5 tonnes, ont une intensité carbone encore plus élevée (voir graphe ci-dessous). De plus, le taux de chargement des VUL est en moyenne plus faible que celui des camions rigides et articulés, ce qui joue également en leur défaveur.

Alors, favoriser l’utilisation de véhicules plus gros pour le transport de marchandise est-il un levier de décarbonation ? Oui, car cela permet de réduire le nombre de véhicules utilisés, toute chose égale par ailleurs. En milieu urbain notamment, il est possible de réduire le nombre de véhicules chaque semaine s’ils sont plus gros. Mais attention à deux conséquences indirectes possibles liées à l’augmentation de la taille des véhicules :

  • L’augmentation du volume de transport disponible si le parc n’est pas réduit, qui pourra générer comme effet rebond une augmentation de la demande globale.
  • Le risque d’avoir des camions trop volumineux qui roulent sans être remplis : la taille du véhicule doit rester adaptée à l’usage.

D’autre part, les nouvelles motorisations décarbonantes (notamment électriques) sont plus facilement accessibles sur les petits véhicules, auquel cas la comparaison peut changer. D’autres contraintes sont aussi à considérer en milieu urbain : volume sonore, difficulté à manœuvrer dans des rues étroites, fréquence de livraison, etc.

Émissions relatives des véhicules routiers selon leur taille (gCO2e/t.km)
Source : ADEME

8. Quelle énergie alternative pour le transport routier ?

Le changement du vecteur énergétique des camions est un levier spécifique, car particulièrement décarbonant, encore ouvert sur la technologie à adopter, et pas nécessairement rentable économiquement. Alors qu’aujourd’hui, la quasi-totalité des camions roulent au diesel, les politiques françaises prévoient une sortie totale du secteur des énergies fossiles d’ici 25 ans, et plusieurs motorisations alternatives sont proposées.

Empreinte carbone moyenne sur la durée de vie d’un camion 19t en France (gCO2e/km)
Source : Carbone 4

Il existe 4 motorisations décarbonantes à la hauteur des enjeux climatiques : électrique à batterie, hydrogène si celui-ci est décarboné, biométhane, et certains biocarburants (pas tous). Cependant, aucune motorisation n’est parfaite, et les avantages et inconvénients dans le statut actuel des avancées technologiques sont résumés dans la figure ci-dessous. 

Avantages et inconvénients des différentes sources d’énergie décarbonantes pour les camions
Source : Carbone 4

Les carburants de synthèse, jugés comme moins avantageux que les autres sources analysées pour cette activité[21] ont été écartés de l’analyse. Le gaz naturel n’est pas analysé non plus car il est peu décarbonant (voir 1ere figure) et ne permettra pas d’atteindre les objectifs de décarbonation du secteur.

La conclusion de la figure est qu’il faut aujourd’hui jouer entre les différentes technologies en fonction du besoin de transport : 

  • La motorisation électrique à batterie est à privilégier pour la logistique urbaine et régionale[22], qui représente aujourd’hui plus de 40% des émissions du fret routier[23], et qui est moins contrainte par les enjeux d’autonomie et de recharge.
  • Les autres vecteurs énergétiques sont des sources intéressantes pour décarboner la longue distance, où l’autonomie des batteries et le temps de recharge est encore limitant. Néanmoins, ils seront contraints par la disponibilité de ressources en biomasse et en électricité bas carbone.

Il est à noter que l’autonomie des batteries augmente rapidement, et les acteurs politiques et économiques tendent à favoriser l’électrique (les constructeurs misent sur 40% de camions 0-émissions en 2030 avec une majorité d’électrique[24], et la réglementation européenne vise 80% de camions électriques d’ici 2040[25]). L’électrique devient ainsi de plus en plus intéressant, y compris pour la longue distance[24]. De plus, de nouvelles technologies et de nouveaux schémas opérationnels commencent à émerger pour pallier le manque d’autonomie :

  • Les autoroutes électrifiées, qui permettent une recharge dynamique du camion pendant qu’il roule[26].
  • Le “battery swap” ou le “trailer swap”, qui consiste à échanger la batterie/le tracteur par une batterie/un tracteur déjà rechargé.
  • Le développement de bornes de recharge ultra rapide pour les poids lourds, grâce aux objectifs ambitieux de l’AFIR (Alternative Fuel Infrastructure Regulation)[27].

Ainsi, les motorisations électriques à batterie seront également présentes sur la longue distance à terme.

9. Comment décarboner le transport maritime ?

Le transport maritime international émet environ 1 000 MtCO2 chaque année, ce qui correspond à 2-3% des émissions totales de GES [28]. Le transport maritime conjointement avec l’aviation, en raison de leur caractère international, fut le grand oublié des Accords de Paris. Cependant, la réglementation a évolué dernièrement avec l’annonce par l’International Maritime Organization (IMO) d’un nouvel objectif de neutralité carbone à horizon 2050, et par l’UE qui a fait entrer le transport maritime dans le marché des quotas carbone en début d’année.

Afin d’atteindre ses objectifs ambitieux, l’utilisation de carburants alternatifs est la principale piste privilégiée pour décarboner le secteur, en substituant les fiouls lourds actuellement utilisés par la grande majorité des navires (99,5 % de la flotte mondiale). Le Gaz Naturel Liquéfié n’apporte qu’un gain CO2 marginal et reste d’origine fossile. D’autre part, l’ammoniac est une solution décarbonante mais présente des problèmes de toxicité et des risques de fuites produisant du protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre. En revanche, les biocarburants tels que le biomethanol ou le bioGNL, et les carburants de synthèse (e-methanol, e-GNL) apparaissent comme les principaux carburants alternatifs, sans qu’une technologie s’impose véritablement pour le moment. Ils seront cependant limités en volume par la disponibilité en biomasse et en électricité renouvelable.

En complément à ces nouveaux vecteurs énergétiques, la propulsion vélique, au travers de l’utilisation d’ailes solides ou des rotors, de voiles souples ou de cerfs-volants, offre un potentiel de développement important pour réduire la consommation de carburant, avec un gain variable en fonction de son déploiement sur le bateau (entre 5 et 15% en moyenne).

Par ailleurs, d’autres leviers aidant à réduire la demande énergétique doivent être mobilisés pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions. La réduction de la vitesse des navires est l’un des leviers les plus efficaces et faciles à mettre en place dans le cas d’un mode de transport, pour lequel la rapidité n’est pas l’argument principal. Cette mesure, déjà implémentée en partie, réduit les émissions de CO2 d'environ 20 % pour une réduction de 10 % de la vitesse [29]. Enfin, l’optimisation de l’efficacité énergétique des navires se poursuit également via l’amélioration de l’hydrodynamisme et de la performance des moteurs.

Toutefois, même en mobilisant tous ces moyens, la modération des flux de marchandises reste un des leviers indispensables pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. Un pari difficile vu que le secteur maritime ne cesse de prendre de l’ampleur - L’Organisation Maritime Internationale prévoit un doublement des flux de marchandises transportés[30].

10. Pourquoi le fret ferroviaire, alternative bas carbone au fret routier, ne se développe pas plus en France ?

Bas-carbone et sûr, le fret ferroviaire apparaît comme le mode de transport idéal. Pourtant, force est de constater que sur le moyen et long terme, le fret ferroviaire n’a fait que régresser en France. Actuellement à 10%[31] de part modal (en tonnes-km transportées) en France, il pesait près du double il y a 20 ans et a pu représenter jusqu'à 75% des volumes transportés dans les années 1920 ![32]

Le fret ferroviaire est en concurrence souvent directe avec la route et pâtit de plusieurs désavantages liés à son fonctionnement guidé qui implique moins de libertés de mouvement et d’alternatives, et une infrastructure très lourde. On note ainsi   :

  • Un réseau peu dense : le rail ne permet pas d’accéder aussi bien à tout le territoire : il faut avoir un terminal ferroviaire ou bien avoir recours au transport combiné.
  • Un réseau plus contraint : le transport ferroviaire est comparativement moins fiable, en effet un incident sur un point du réseau se répercute beaucoup plus vite à l’ensemble de celui-ci. Hors la régularité et la fiabilité sont des demandes de plus en plus fortes des chargeurs.
  • Une structure de coût qui le rend moins résilient aux crises. Avec une part importante de coût fixe (près de 80%)[33], le fret ferroviaire est potentiellement moins résilient aux fluctuations d’activité.
  • Une concurrence avec le transport ferré de voyageurs, lequel est prioritaire dans l’attribution des sillons.

Pour autant, la faible performance du fret n’est pas une fatalité et certains pays européens s’en sortent bien mieux que la France.

Part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises en 2021 (%)
Eurostat

Cette faible performance par rapport à nos voisins s’explique en partie par des raisons exogènes au rail (ex : faible performance des ports français alors même que le transport combiné maritime-ferroviaire est un levier majeur dans certains pays, désindustrialisation alors que les industries lourdes offrent des flux massifiés et réguliers qui conviennent bien au fret ferroviaire, etc.). Mais elle s’explique aussi par un héritage en termes de politique ferroviaire. Ainsi, le réseau français, bâti en étoile autour de Paris et sur un axe Rhin-Rhône est fortement saturé autour de Paris et de Lyon. Surtout, le réseau français fait les frais d’un réseau vieillissant. À titre d’exemple, l’âge moyen des voies ferrées en France est de 33 ans, contre seulement 17 ans en Allemagne[34]. Cela reflète un manque d’investissement chronique : environ deux fois moins par habitant que l'Allemagne et six fois moins que la Suisse[35].

Ainsi, massifier le recours au train en France est à la fois complexe, coûteux et nécessaire.

Dans un contexte où les tonnes-kilomètres transportées en France n’augmentent que faiblement, doubler la part du ferroviaire en % des volumes transportés (comme le vise la Stratégie Nationale Ferroviaire) requiert certes d’augmenter significativement le volume total transporté par voie ferrés mais aussi de baisser en absolu le volume total transporté par la route (et non seulement la part en %). Pour ce faire, renforcer l’attractivité du train risque de ne pas être suffisant : il faut aussi réduire celle de la route notamment en lui faisant payer plus fortement le coût de ses nuisances environnementales[36].

11. Pourquoi le fret fluvial, alternative bas-carbone au fret routier, ne se développe pas plus en France ?

Le transport fluvial (comprenons les fleuves à l'échelle nationale à la différence du maritime à l'échelle internationale) est un des modes de transport les plus bas-carbone et émet 4 à vingt fois moins de CO2 qu’un convoi équivalent réalisé en camion (voir question 3), et le réseau fluvial français, plus grand réseau d’Europe, s’est fortement développé au 19ème siècle avec la demande accrue en charbon. Le transport fluvial représente aujourd’hui 2% du trafic national de marchandises en France (en tonnes.km). À l’heure où la France cherche des alternatives au tout-camion, il est regrettable de sous-utiliser un réseau fluvial existant.

Cela peut s’expliquer par plusieurs raisons : 

  • Le déclin des industries lourdes traditionnelles depuis les années 70 et la quête de modes de transport toujours plus rapides.
  • Des problèmes structurels comme la vétusté du réseau et un manque d’entretien, l’obsolescence du cadre législatif et réglementaire.
  • Sa mauvaise insertion technique et commerciale dans les nouvelles chaînes logistiques[37].

De plus, cela est aggravée par des facteurs exogènes, comme la baisse du trafic des matériaux de construction et la sécheresse ayant frappé la France en 2022 (la baisse du niveau d’eau nécessite une réduction du chargement des bateaux pour ne pas toucher le fond, voire entraver totalement leur navigation)[38].
Bien que ce mode de transport dispose de contraintes intrinsèques de par ses voies navigables, il paraît judicieux de restaurer le réseau pour rétablir sa pleine puissance d’exploitation. En ce sens, les subventions d’investissement ont augmenté de 25%[39] au cours des cinq dernières années. En parallèle, une convention de partenariat entre SNCF Réseau et VNF a été signée dans le but développer une complémentarité opérationnelle entre les réseaux ferrés et fluviaux et la construction de chaînes logistiques bas-carbone[40].

Les principaux défis à relever pour respecter les objectifs climatiques

12. Quel est l’impact sur mon empreinte carbone, si je consomme plus local sans modifier ma consommation ? 

Afin de répondre à cette question, il est important d’avoir en tête la part du transport parmi les différents produits que nous consommons. La figure ci-dessous montre que la part des émissions du transport dans la chaîne de production de différents biens de consommation reste très limitée (inférieure à 5%) pour la plupart des produits. Consommer local impactera faiblement l’empreinte carbone globale en réduisant les émissions du transport hormis quelques exceptions pour les fruits et légumes importés, ainsi que pour les biens susceptibles d’être importés en avion (l’exemple numérique importé en avion considéré dans la figure est celui d’une enceinte portative commandée sur Alibaba en express, où l’impact du transport devient considérable[41]).

Répartition des émissions des biens de consommation par étape de la chaîne de production
Analyses Carbone 4 à partir des bases de données ADEME et Agribalyse. L’impact lié à l’usage n’est pas considéré.

Il est à noter cependant que consommer local n’impacte pas seulement les émissions liées au transport. Cela peut avoir un impact positif s’il engage des modes de production locaux décarbonés : un bien électroménager aura certainement moins d’impact s’il est fabriqué en France plutôt qu’en Chine, où le mix électrique est fortement carboné. Et cela a d’autres atouts environnementaux sur la biodiversité (le fret longue distance peut amener accidentellement des espèces exotiques envahissantes), sur la déforestation importée, ou les sols (ex: hyper concentration d’agriculture en Andalousie qui appauvrit les sols). A noter néanmoins que l’effet inverse peut parfois arriver : des tomates cultivées en hiver en France peuvent être plus émissives que des tomates importées d’Espagne, à cause de l’impact de la culture sous serre chauffée. 

Ainsi, si consommer local a bien souvent des avantages, il ne faut pas réduire la question des émissions d’un produit au transport, et viser plutôt des produits moins carbonés dans leur ensemble en incluant la production et l’usage.

13. Est-ce qu'acheter en ligne permet de réduire l'impact du transport de marchandises ?

Selon l’ADEME, les émissions du commerce en ligne seraient de l’ordre de 1 million de tonnes de CO2 - chiffre comparable aux émissions annuelles de 100 000 français, et sa part dans le commerce de détail en France, déjà significative (14% en 2021), est en pleine croissance[42]. Mais ce mode d’achat permet-il de réduire les émissions par rapport à l’achat en boutique, grâce à l’absence de magasin et de déplacements de consommateurs et grâce à la mutualisation des trajets de livraison à domicile ?

La réponse est très casuelle puisqu'elle dépend directement des pratiques de livraison considérées, et les scénarios sont nombreux. Par exemple, une commande en ligne livrée avec une camionnette dont le trajet et le remplissage sont optimisés sera généralement moins émissive qu’un achat en magasin où le client a fait le déplacement en voiture seul. A l’inverse, un achat dans une boutique où la personne s'est rendue à pied ou à vélo sera moins émissif qu’un achat en ligne, à fortiori si la livraison est en express avec une camionnette alors peu remplie. Lors d’un achat, il y a nécessairement des émissions liées à la livraison, qu’elle soit en magasin, en point de relais ou à domicile, et éventuellement des émissions liées au déplacement du client en magasin ou au point relais, sachant que ces dernières sont loin d’être négligeables ! Chercher à réduire les émissions revient donc à minimiser l’empreinte carbone de ses déplacements personnels pour réaliser ses achats quelle que soit la situation. Il faut éviter si possible la voiture dans le cas d’un achat en magasin et employer le mode de livraison le plus bas-carbone et mutualisé possible dans le cas d’un achat en ligne.


Comparer l’incidence “moyenne” du commerce en ligne sur le climat par rapport au commerce traditionnel cache donc une multitude de situations, et enraye la diffusion des bonnes pratiques : grouper les commandes, éviter les livraisons rapides ou/et les retours, privilégier les livraisons en point relais, favoriser les modes de déplacements faiblement carbonés pour le retrait de colis, et n'avoir recours à ce mode d’achat qu’à condition d’éviter un déplacement en magasin. Les acteurs du e-commerce ont également leur rôle à jouer, principalement en réduisant fortement la course au last-minute (qui favorise nettement le fret aérien et des véhicules de livraison peu remplis) et en étant moteur pour décarboner l’ensemble de chaîne logistique sans se limiter aux derniers kilomètres

Gardons néanmoins en tête que la quasi-totalité des émissions associées au e-commerce sont dues à la fabrication et l’usage des produits livrés (entre 85-95%)[43]. Il s’agit donc avant tout de repenser notre besoin et ne pas céder à la surconsommation.

Pour aller plus loin, vous pouvez aussi consulter notre article ou l’étude de l’Ademe sur ce sujet.


14. La livraison en vélo-cargo : une vraie opportunité mais seulement pour les centres urbains ?

La livraison en vélo-cargo se développe de plus en plus et est maintenant intégrée aux trajectoires des grands acteurs comme DHL, Amazon ou le groupe La Poste. Comment appréhender ce développement ?

Le potentiel d’émissions concernées peut être significatif. En effet, si seul le “dernier kilomètre” est concerné, c'est-à-dire la dernière étape de livraison jusqu’au client final, ce dernier kilomètre est le plus émissif[44]. La principale raison à cela est que les véhicules les plus lourds, pourtant très efficaces en termes d’émissions par tonne transportée, laissent place en ville à des véhicules plus petits et plus émissifs (voir question 6).

La livraison par vélo permet de réduire de 60 à 95% les émissions de CO2[45], malgré le fait qu’elle puisse nécessiter la construction de nouveaux centres de distribution plus proches du centre des villes.

Attention toutefois à ne pas se leurrer : même livré à vélo sur les derniers kilomètres, un colis qui a fait le tour de la France ou du monde en bateau, camion ou avion reste émetteur. Autre limite, le vélo-cargo ne reste rentable que dans des conditions bien spécifiques (dénivelé raisonnable, zone urbaine dense et rayon de livraison inférieur à 3-5km) qui en font un mode pertinent uniquement pour certaines grandes métropoles.

15. Peut-on se passer du fret aérien ?

Comme nous l’avons vu en question 2, le fret aérien possède une double particularité : il est très minoritaire en volume de marchandises transportées (tonnes.km très faibles, moins de 0,5% des volumes) mais il est également le mode de déplacement le plus émetteur en intensité, et de loin. Alors, pourquoi utilise-t-on l’avion pour déplacer des marchandises et, peut-on s’en passer ?

Transporter une marchandise par voie aérienne coûte bien plus cher (entre 10 à 15 fois plus cher, bien que cela varie fortement ces dernières années) que le transport par voie maritime. Il est aujourd’hui utilisé pour deux raisons principales : 

  1. Pour sa rapidité : Il est le mode de transport le plus rapide disponible. Il permet une livraison en quelques heures ou jours contre plusieurs semaines ou mois pour les autres modes de transport.
  2. Pour sa sécurité : Il est également un mode de transport très sûr du fait des conditions de sécurité imposées par la réglementation internationale de l’aviation.

Certains types de marchandises sont transportées par avion en fonction de ces contraintes :

  • Les marchandises périssables : telles que les produits alimentaires (certains produits tropicaux que l’on retrouve dans nos supermarchés en France par exemple), les fleurs ou encore les produits pharmaceutiques.
  • Les marchandises à forte valeur ajoutée : les œuvres d’arts, les pièces automobiles, les produits de luxes ou encore certains produits électroniques.
  • Les marchandises fragiles : équipements médicaux (IRM par exemple), matériel électronique, etc.
  • Les marchandises spécifiques : animaux vivants, marchandises hors gabarits, matières dangereuses, etc.

Cependant, une analyse des tonnes-kilomètres transportées par avion aux Etats-Unis en 2018 par l’ICCT[46] montre que la part la plus importante du poids transporté ne concerne pas des marchandises périssables, des équipements médicaux ou encore des vaccins, mais des produits manufacturés tels que de l’électronique, des machines, des instruments de précisions ou certains textiles. Le fret aérien est alors utilisé principalement pour des raisons de rapidité de livraison, alors que des alternatives moins carbonées seraient possibles.

Top 10 des commodités expédiés par fret aérien aux Etats Unis en 2018 (% poids)
ICCT, 2022, Toward greener and more sustainable freight systems

D’autre part, le fret aérien profite beaucoup du développement du e-commerce dans le monde (voir notre article sur le black friday[47]). Les achats en ligne favorisent les modes de transports les plus rapides, comme l’avion, pour répondre aux exigences des temps de livraison des consommateurs·trices. 

Ainsi, alors que le fret aérien a un impact non négligeable sur le climat et est toujours en très forte croissance, une grande part des matières transportées ne répond pas à des contraintes exclusives à ce mode de transport. Il est donc possible de pouvoir réduire fortement son utilisation. Cela nécessite par exemple : 

  • De revoir notre rapport au temps. Aucun autre mode de transport que l’avion ne permet des livraisons aussi rapides (livraison en 24h, 48h par exemple) pour de nombreux produits manufacturés à l’autre bout du monde.
  • De relocaliser au maximum la production de marchandises, notamment périssables ou fragiles : produits pharmaceutiques ou équipements médicaux par exemple.
  • De diminuer les volumes de certains produits qui ne peuvent pas être relocalisés (certains fruits exotiques ou certaines fleurs en France par exemple).

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