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février 2019

L'aviation et le changement climatique : rapide survol des enjeux

Auteurs et autrices : Stéphane Amant

Les émissions de CO2 de l'aviation commerciale aujourd'hui ... et demain !

Aujourd’hui : environ 800 MtCO2sans l’amont du carburant et environ 1 000 MtCO2avec. Soit environ 2,5% et 3%du total des émissions mondiales de CO2, respectivement (source : International Energy Agency, IEA). Si l’on tient compte des autres effets non-CO2(contrails et cirrus d’altitude induits), il faut majorer ces chiffres (de 20% à beaucoup plus, selon les travaux scientifiques, l’incertitude se résumant surtout à des questions de métrique). C’est autant que l’Allemagne, et plus que les émissions réunies de la France et du Royaume-Uni (source : SDES). Si l’aviation était un pays, ça serait le 6èmepays le plus émissif de la planète. C’est 6 à 7 fois moins que le transport routier (personnes et marchandises), mais autant que le secteur de la chimie (source : IEA). Demain : si l’on plonge le scénario central de développement de l’aviation de l’ICAO (avec 1% de gain d’efficacité énergétique annuelle en moyenne) dans le scénario 2°C de l’IEA (pour les autres secteurs), la part de l’aérien dans les émissions totales de CO2passe à 7% en 2035 … et 15% en 2050 (calculs Carbone 4). Soit 2 400 MtCO2environ : plus que toute la sidérurgie aujourd’hui. Il deviendrait le 2èmesecteur émetteur de l’économie après le transport routier.

Pourquoi les offsets carbone ne sont qu'un palliatif de court terme?

Pour au moins deux raisons, le secteur de l’aviation ne peut pas compter à long-terme sur les offsets carbone pour être compatible avec l’Accord de Paris. La 1èreraison (la plus mal comprise, mais la plus déterminante) ressort dans les analyses faites par l’IEA à partir des conclusions de l’IPCC. Elles confirment bien pour l’aviation qu’une division par 2 des émissions entre 2005 et 2050 est requise …mais dans l’absolu, sans compter sur les offsets. Pourquoi ? Parce que l’objectif d’atténuation global est tel qu’il impose de très fortes réductions directes dans tous les secteurs d’une part, et des mesures renforcées de stockage de carbone de type land-use en plus d’autre part … ce qui exclut la possibilité d’offsets. En d’autres termes, on ne peut pas transférer une réduction d’un secteur à un autre (définition de l’offset) car on a besoin des deux pour atteindre l’objectif. En outre, même en supposant qu’un résiduel limité d’offsets reste disponible, la forte concurrence d’autres secteurs avec aussi des objectifs ambitieux de réduction (comme le secteur maritime) fera que leur disponibilité pour l’aviation seule sera faible au regard de son besoin. Restent donc l’efficacité énergétique et les Sustainable Aviation Fuels (SAF) !

Le dilemme de la croissance du trafic: est-ce compatible avec l'accord de paris ? 

Il est admis que les gains d’efficacité énergétique sur les opérations, combinés à la meilleure gestion de l’espace aérien, sont largement insuffisants pour contrebalancer la forte hausse du trafic (doublement tous les 15 ans). De sorte que les émissions croissent rapidement, de l’ordre de 2 à 3% par an. Or, l’objectif du secteur à long-terme est une division par 2 des émissions entre 2005 et 2050 : comment faire sans les offsets carbone ? 

Il semble alors indispensable d’actionner trois leviers distincts : (i) l’offre de SAF doit bondir, pour atteindre de l’ordre de 30% du mix en 2040 et plus de 50% en 2050, (ii) les gains d’efficacité énergétique doivent dépasser 2,5% par an durant les 30 prochaines années, (iii) et il faut en plus une contrainte sur le trafic en ramenant le taux de croissance à moins de 3% par an(source : IEA), ce qui soulève d’intéressantes questions de régulation, et au-delà d’équité entre générations et entre pays. Ces conditions réunies peuvent permettre au secteur d’être « 2°C compatible ». Si l’une d’elles n’est pas remplie, les deux autres devront être encore renforcées. Indiquons au passage que cet exercice prospectif proposé par l’IEA est parfaitement critiquable bien entendu, compte-tenu de ses hypothèses très fortes sur les gains technologiques (côté aviation et côté carburant). Il a toutefois le mérite de montrer l’ampleur des changements à mener pour s’inscrire sur la bonne trajectoire. Les entreprises du secteur doivent donc davantage s’interroger sur une roadmap ambitieuse à 2050, sans dépendre pour l’essentiel d’un Market-Based-Mechanism(type CORSIA).

L'autre squelette dans le placard: les impacts du changement climatique !

La température terrestre globale n’a augmenté « que » de 1°C depuis l’ère pré-industrielle, mais les manifestations du changement climatique deviennent déjà très tangibles. Les événements tragiques de l’été et automne 2018 ou les températures extrêmes observées en ce moment en Amérique du Nord et en Australie en sont quelques exemples. 

L'aviation est aux premières loges : trafic interrompu à Phoenix en juin 2017 à cause de la chaleur, à Osaka pendant plusieurs jours en septembre 2018 à cause de la montée des eaux du Pacifique… Savez-vous que 25% des aéroports les plus fréquentés de la planète sont situés sous les 10 mètres au-dessus du niveau de la mer (source : Airports Council International) ? Les aéroports commencent sérieusement à se préoccuper de ce sujet d’adaptation au changement climatique, mais quid des opérations aériennes à proprement parler ? Il est difficile de dire comment la recrudescence et l’amplification des événements extrêmes vont impacter l’activité aérienne… à l’inverse, il semble imprudent de ne pas se pencher sur le sujet rapidement : si vous n’avez pas commencé, c’est le moment d’y remédier.

Enfin, le secteur doit-il craindre le contentieux climatique ?

Contentieux climatique : kézako ? Plus de 900 actions en justice dites « climatiques » sont aujourd’hui recensées dans le monde (source : Bredin Prat) : c’est le contentieux climatique qui s’oriente désormais vers des entreprises, après les premiers recours contre les États (Pays-Bas en 2018, France en 2019). Aux Etats-Unis notamment, ce sont les compagnies pétrolières qui sont poursuivies en justice par les grandes villes (New York, San Francisco). Inéluctablement, il y aura des dommages liés aux effets du changement climatique et donc des victimes (cf. 6 ème rapport du GIEC). Dès lors, tout aussi inéluctablement, il y aura des actions en justice pour répondre à une question simple : qui doit payer ? On peut imaginer qu’après une première salve subie par les majors pétrolières, celles-ci se retournent contre les utilisateurs finaux d’énergie fossile au prétexte qu’elles l’ont extraite pour répondre à une demande. Les compagnies aériennes pourraient alors être visées, puis dans un enchaînement logique les constructeurs, situés en amont de la chaîne … Tout cela est évidemment de la fiction à ce jour, mais le risque est réel et il est nécessaire que le secteur de l’aviation dans son ensemble accorde l’importance qu’il mérite à ce dossier.

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