Pas d'extension de l'aéroport d'Heathrow au nom du climat
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Par Stéphane Amant – Senior Manager
L’histoire n’est pas encore tout à fait écrite. Mais dans quelques mois, nous saurons si le jugement de la Cour d’appel d’Angleterre sur l’illégalité du projet de construction d’une troisième piste à l’aéroport londonien d’Heathrow, faute de prise en compte des engagements climatiques du Royaume-Uni, est à marquer d’une pierre blanche ou non. La presse a largement couvert l’événement [1] [2]. À juste titre, pour deux raisons au moins :
- Heathrow est le 7ème aéroport mondial et le 1er aéroport européen en termes de trafic [3]. C’est donc un mastodonte dans le secteur aérien ;
- c’est à notre connaissance la 1ère fois (du moins à cette échelle) qu’une décision de justice invoque l’Accord de Paris pour considérer illégal un projet d’infrastructure de transport destiné à accroître les flux.
Pour les partisans les plus engagés dans la lutte contre le changement climatique, il ne faut cependant pas crier victoire trop tôt car la Cour suprême a été saisie en appel par le gestionnaire d’Heathrow, et l’issue de la bataille est donc toujours incertaine. Ceci d’autant plus que la décision de la Cour d’appel a été prise sur la forme et non sur le fond. En effet, l’illégalité a été prononcée au motif que « L’accord de Paris aurait dû être pris en compte par le secrétaire d’Etat aux transports […] et une explication aurait dû être donnée sur la façon dont il a été pris en compte, ce qui n’a pas été le cas ». Cela ne signifie donc pas qu’il est « nécessairement incompatible » avec les engagements britanniques de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais le gouvernement et l’aéroport doivent en apporter la preuve. Une vraie gageure sachant que le projet d’extension devait permettre une hausse de 50% des mouvements d’avions sur l’infrastructure d’ici 10 ans (soit encore plus en termes de trafic) [4]. Difficile d’imaginer réduire son impact en accroissant ainsi ses flux, en dépit de tous les progrès d’efficacité énergétique démontrés par le secteur aérien … Dans cette affaire, le gouvernement britannique a décidé de jeter l’éponge en décidant de ne pas déposer de recours. Il faut dire que le contexte des négociations internationales sur le climat plaide fortement en ce sens : la prochaine COP26 sera organisée … à Glasgow … par la Grande-Bretagne, en novembre de cette année. Boris Johnson, le Premier ministre britannique, n’a certainement pas eu beaucoup d’états d’âme pour arbitrer.
Rappelons aussi que la Grande-Bretagne a pris l’engagement d’atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui revient à réduire concrètement ses émissions de GES de 80% au moins par rapport à 1990 [5]. L’inclusion dans cet objectif des vols internationaux concernant le Royaume-Uni n’est toutefois pas claire à ce jour [6], bien que l’instance conseillant le gouvernement sur les sujets liés au climat, le Committee on Climate Change (CCC), se soit prononcé en ce sens dans un rapport publié en septembre 2019 [7]. Toujours est-il que la décision du 27 février est majeure car elle prouve le caractère contraignant de l’Accord de Paris, et le rend opérationnel au sens où des juges nationaux pourront l’invoquer pour statuer sur des projets d’infrastructures en contradiction avec des objectifs de réduction des émissions de GES. Les promoteurs du futur (hypothétique) Terminal 4 de l’aéroport Charles-de-Gaulle, près de Paris, ne doivent pas être très sereins désormais. Enfin, une grille de lecture possible de cette décision de justice est la question de la croissance du trafic aérien (de l’ordre de +5% par an dans le monde, depuis au moins 20 ans), qui fait plus que contrebalancer l’ensemble des améliorations technologiques et opérationnelles mises en œuvre par les différents acteurs de l’écosystème aérien.
Si le défi à relever pour l’aviation dans la lutte contre le changement climatique est bien entendu du côté de l’innovation technologique, il est aussi de notre point de vue sur l’innovation dans la gestion et le contrôle de sa croissance. Ce sujet est inédit et forcément dérangeant car l’Humanité n’a toujours eu de cesse de chercher à se développer et à repousser les limites. Or il s’agit désormais pour les Terriens d’accepter de reconnaître l’existence de limites et de penser l’avenir des activités économiques dans le cadre de ces limites. Marquée par un siècle d’innovations remarquables à tous points de vue (technologie, sécurité, organisation, etc.), le secteur de l’aviation doit désormais s’emparer de cette question de « gestion des limites » pour s’inscrire dans une trajectoire compatible avec un réchauffement inférieur à 2°C. Ce qui appellera à répondre à de nombreuses questions difficiles parmi lesquelles : faut-il privilégier uniquement des mécanismes économiques pour réguler la croissance ? faut-il au contraire se baser principalement sur des instruments réglementaires ? considérant l’existence de limites, comment répartir le droit à voler entre les citoyen.ne.s, dans le sens de l’équité entre générations, entre régions du monde, selon les motifs, etc. ? faut-il introduire une notion d’utilité sociétale du voyage en avion pour arbitrer cette répartition ? comment faire cela de manière démocratique pour ne pas sombrer dans une forme de totalitarisme éclairé ? Bref, un chantier nouveau et passionnant à défricher, pouvant faire jurisprudence pour des pans entiers de l’économie. Le secteur aérien a la capacité d’instruire le dossier, n’en doutons pas. En aura-t-il l’envie ?
[1] Le Monde [2] BBC News [3] Tour Hebdo [4] Air & Cosmos [5] UK Govt [6] Aviation Environment Federation [7] Greenaironline
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