Comprendre les sources d’émissions de GES de la production d’oléagineux
Exemple de la culture de colza et de tournesol
Les oléagineux sont des composants essentiels de l’alimentation, principalement en raison de leur teneur élevée en protéines et en acide gras insaturés. Grâce au procédé de trituration, les graines oléagineuses permettent la production d’huile et d’un coproduit, les tourteaux, utilisé pour l’alimentation animale. Ces cultures représentent 16% des surfaces cultivées en France en 2021 [1]. Parmi eux, le colza est la principale graine produite en France, avec en moyenne 73% de la production oléagineuse, ce qui fait de la France le premier producteur européen de colza [2]. Le tournesol vient en 2e position avec 20% de la production oléagineuse. Sur ces graines, la France est exportatrice nette et répond aux besoins de ses voisins européens [2].
Avec un tel volume de surfaces cultivées, il est important de comprendre les paramètres structurants de l’impact carbone de la production de graines oléagineuses et mieux se représenter ainsi les spécificités et points communs avec d’autres cultures agricoles. Nous nous intéresserons uniquement aux émissions au champ, c’est-à-dire de la plantation à la récolte, sans les étapes de transformation (trituration, distribution, etc.).
Différentes bases de données nous permettent de comparer les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par la production de graines. Celles-ci sont calculées à partir d’itinéraires techniques moyens à l’échelle nationale. Pour les cultures en France, nous utilisons en particulier la base Agribalyse [3], produite par l’ADEME.
Un premier paramètre à étudier : le rendement
Lorsque l’on compare deux cultures, le premier point d’attention concerne l’unité de comparaison. En Analyse de Cycle de Vie, il s’agit de l’unité fonctionnelle. Si on raisonne sur l’alimentation, il est logique d’étudier l’impact carbone au kg d’aliments. Si on adopte le point de vue d’un territoire ou d’une exploitation, on raisonnera à l’hectare. La différence ? Le rendement !
Sur l’exemple du colza et du tournesol dits conventionnels, nous observons un impact à l’hectare plus de 2 fois plus important pour le colza. Ramené au kg, cet écart se réduit puisque l’impact carbone du colza n’est plus que 1,5 fois plus important [4]. Ceci s’explique par un rendement (kg/ha) plus important pour le colza (environ 3800 kg de graines de colza par hectare contre 2700 kg/ha pour le tournesol) [5].
Le rendement est donc le premier facteur différenciant les cultures.
Pour cet exercice de comparaison, nous nous mettons à la place d’un acheteur ou d’un consommateur souhaitant comparer l’empreinte carbone de deux produits. Nous garderons donc la vision de l’empreinte au kg de produit.
Les engrais, principale source d’émissions
Lorsqu’on que l’on décompose l’impact carbone des deux cultures, on observe que le premier poste d’émissions est le même : l’utilisation des engrais et les pertes d’azote associées. Les fertilisants sont en effet composés d’azote, un des nutriments nécessaires à la croissance des plantes. Lorsque l’azote est en excès ou que les conditions chimiques ne sont pas favorables à son assimilation par les plantes (structure du sol, conditions hydriques, etc.), trois processus générant des émissions de protoxyde d’azote (N2O) - un puissant gaz à effet de serre - peuvent se produire : la dénitrification (émissions directes de N2O), la volatilisation et la lixiviation (émissions indirectes de N2O) [6]. Les réactions chimiques à l’origine de ces trois processus dépendent fortement de la nature du sol et des types d’engrais utilisés.
Pour un kg de colza, il faut en moyenne 2,2 fois plus d’unité d’azote par rapport à un kg de tournesol, ce qui est un premier élément d’explication de la différence d’empreinte carbone constatée entre les graines de colza et de tournesol (pour rappel, +54% pour le colza). Le colza est en effet plus sensible et exigeant sur les apports en azote, phosphore et soufre. Des apports suffisants permettent une croissance continue et atténuent la levée de certaines adventices [7]. Les apports en azote minéral dépendent bien sûr du reliquat présent dans le sol avant implantation de la culture et sont moins importants en cas d’association avec des légumineuses par exemple.
La différence de répartition de l’empreinte carbone entre tournesol et colza est surtout marquée pour les postes de :
- Pertes azotées, i.e. les émissions liées à l’utilisation d’engrais : 60% vs 66% de l’empreinte carbone respectivement pour le tournesol et le colza.
- Fabrication des engrais, i.e. les émissions liées à la fabrication des engrais qui a lieu dans les usines de production d’engrais : 17% vs 22%.
- Mécanisation, i.e. l’utilisation de carburant pour les engins agricoles : 22% vs 9%.
Si l’on étudie en détail les types de fertilisants utilisés ainsi que les heures d’utilisation des engins agricoles recensés par les données de la base Agribalyse, on peut affiner la compréhension de cette décomposition :
- Les engrais utilisés sont essentiellement minéraux (i.e. : à partir de matières pétrochimiques), il y a peu d’apport de matière organique (i.e. : effluents d’élevage, compost, etc.). Sur l’apport en azote total, 18% proviennent d’apports organiques pour le tournesol contre 9% pour le colza. Les engrais organiques génèrent moins de pertes azotées que les engrais minéraux, on comprend pourquoi la contribution de l’utilisation des engrais est plus importante pour la culture de colza [8].
- Les émissions liées à la fabrication des engrais viennent principalement des fertilisants azotés. C’est le cas pour le colza et le tournesol, où les facteurs d’émissions associés aux fertilisants sont proches et élevés (entre 2 et 4 kgCO2e/kg d’azote) : la production de fertilisants (comme l’urée ou l’ammonitrate par exemple) nécessitent l’usage d’intrants hautement carbonés, comme l’ammoniac, produit à partir d’énergies et gaz fossiles (gaz naturel notamment), et comme l’acide nitrique, dont la réaction de formation est à l’origine d’émissions fugitives de N2O. La différence de contribution entre les deux cultures provient de la quantité d’azote apporté plus que du type d’engrais utilisé.
- Enfin, les engins agricoles utilisés pour le colza consomment 25% moins de carburant que ceux utilisés pour le tournesol. Ceci explique la contribution plus forte de la mécanisation pour la culture de tournesol. La différence vient essentiellement de la phase de travail du sol. En effet, le tournesol est une espèce sujette à de nombreuses adventices [9] et dont les techniques de labourage sont efficaces à l’atténuation de ces adventices. Par exemple, le tournesol offre davantage de fenêtres de faux semis [10] en début de printemps, une technique limitant l’enherbement lors de la levée finale du tournesol et nécessitant un passage mécanique supplémentaire pour sa destruction.
En conclusion
D’un point de vue carbone uniquement, et en raisonnant à l’échelle nationale, les graines de tournesol sont à la production moins émettrices de gaz à effet de serre que les graines de colza. Cela étant dit, plusieurs points d’attention doivent être mentionnés :
- Ce raisonnement à l’échelle nationale ne s’applique pas à l’échelle d’un territoire donné, où les conditions climatiques et agronomiques peuvent être favorables à l’une des deux espèces. Il est ainsi essentiel pour un acteur industriel ou encore une coopérative de passer d’une vision nationale à une vision ‘ferme’ afin d’améliorer la photographie des émissions.
- D’autres critères environnementaux peuvent et doivent entrer en compte comme les besoins en eau de ces deux cultures, le volume de produits phytosanitaires utilisés, le potentiel de stockage carbone de chaque culture, etc.
- La résilience des cultures face aux pathogènes et aux aléas climatiques doit aussi être analysée car cela influe d’abord sur les rendements (et donc sur l’intensité carbone des cultures) mais aussi sur les capacités d’approvisionnement.
- Si l’on élargit la réflexion au-delà de la France et à l’ensemble des oléagineux, le colza et le tournesol sont souvent en concurrence avec d’autres graines comme le soja pour les tourteaux servant à l’alimentation animale, ou la palme pour l’huile alimentaire ou les biocarburants. Or, soja et palme sont majoritairement produits dans des pays où le risque de déforestation est élevé. L’enjeu pour un acheteur est donc de connaître l’origine de ses matières premières et de favoriser des graines ayant un impact environnemental moindre.
Enfin, il ne s’agit pas tant de comparer le colza et le tournesol mais plutôt de comprendre comment les pratiques agricoles conventionnelles influent sur les émissions de GES du secteur agricole. Cette étape permet ensuite de comprendre et d’identifier les leviers de réduction des émissions à mettre en place.
Ce volet ‘réduction’ fera l’objet d’un autre article dans les semaines à venir.
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