Analyse de la résilience d’une culture dans un contexte agro-climatique.
Exemple du colza français.
Cet article fait suite à notre première brève écrite sur les impacts carbone du colza/tournesol. À lire ici.
Le secteur agricole contribue largement au réchauffement climatique [1], mais en subit également les conséquences. Les records de chaleur battus chaque année, les redoux en hiver, les gelées tardives sont autant d’aléas qui peuvent affecter directement le bon développement d’une culture et son rendement.
Il n’est pas nouveau pour un agriculteur d’étudier l’impact du climat sur ses cultures puisque certains des indicateurs climatiques sont clés dans la croissance de la plante. C’est le cas de trois paramètres en particulier, suivis annuellement : le rayonnement, la température, la quantité d’eau. Le changement climatique rend cependant ces indicateurs moins prévisibles et moins cléments pour les cultures telles qu’on les pratique depuis plusieurs décennies. Une analyse de risque climatique, comme peut le faire Carbone 4, permet de se projeter à long terme afin d’anticiper les impacts négatifs liés à l’évolution des paramètres climatiques clés d’une culture.
Dans notre précédent article[2], nous avions étudié l’impact carbone des cultures d’oléagineux comme le colza et le tournesol, mettant en avant les principaux facteurs influençant les émissions de gaz à effet de serre lors de la production de ces deux graines. Nous nous intéresserons ici à la résistance aux conséquences du changement climatique de l’une d’entre elle, le colza.
Le rayonnement au moment de la floraison et la teneur en eau des sols en début et fin de cycle, deux facteurs déterminants pour le colza
L’étude des risques climatiques d’une culture nécessite dans un premier temps de comprendre quels paramètres climatiques sont déterminants pour sa production. Pour cela, on définit les indicateurs agro-climatiques (IAC) qui fixent des seuils en deçà desquels le rendement de la culture est grandement affecté. Ces IAC sont définis par culture et par zone géographique[3]. On retrouve par exemple le déficit hydrique, le gel hivernal, l’excès de pluie etc.
Prenons l’exemple du colza d’hiver.
Le schéma ci-dessous présente les stades de développement du colza au cours de l’année.
Stade végétatif | Stade de croissance | ||||||
Germination | Levée de semis | Développement des feuilles | Montaison | Formation des bourgeons | Floraison | Formation des gousses | Murissement |
Août | Août | Septembre | Mars/Avril | Avril | Mai | Mai/Juin | Juin/Juillet |
Stades de la croissance du colza d’hiver (Source : Yara)
L’analyse des IAC pour la culture du colza d’hiver met en évidence les sensibilités suivantes :
- La sécheresse des sols, c’est-à-dire le manque d’eau combiné à de fortes chaleurs, pendant la période de semis (fin de l’été pour le colza d’hiver) :
- Sans suffisamment d’eau lors de son implantation, le semis du colza ne prendra pas et les chances de récoltes seront avortées. Le risque de sécheresse est amené à être augmenté avec les étés plus longs et plus secs tels que le projettent les scénarios de projection climatique.
- À titre d’exemple, en 2020, les conditions favorables à l’implantation du colza (en particulier une quantité de pluie suffisante) se sont présentées tardivement, et lorsque la pluie a enfin pointé le bout de son nez, celle-ci est arrivée de manière excessive, réduisant les réussites de semis[4]. Les mauvais rendements des années précédentes et les conditions douteuses de la nouvelle année n’ont fait qu’encourager les agriculteurs à laisser la culture de colza de côté. Résultats des courses : un assolement en baisse en 2021.
- Le manque de rayonnement au moment de la floraison (mai) :
- Le rayonnement permet d’activer la photosynthèse et donc la formation des fleurs et des grains d’une culture, un facteur déterminant pour les récoltes à venir.
- À rayonnement égal, si la température augmente, le temps de formation des siliques[5] est réduit et induit un développement moins important de celles-ci. En pratique, on observe que le rayonnement augmente avec la température et qu’inversement le manque de rayonnement est souvent corrélé à des températures basses[6]. L’influence de l’augmentation des températures n’aura donc a priori que peu d’effet sur le rayonnement.
- Le stress thermique et hydrique en fin de cycle au moment de la floraison et du remplissage des grains (mai-juin) :
- Ces stress correspondent respectivement à l’atteinte de températures particulièrement chaudes et à un manque d’eau sur une durée particulièrement longue. Ces deux aléas peuvent entrainer une réduction du nombre de grains par silique pour le colza.
- Les études scientifiques s’accordent pour dire que pour chaque jour dépassant 29-30°C, le rendement du colza est fortement réduit[7].
- En 2020, les rendements ont été faibles à cause d’une sécheresse printanière, en plus de gel tardif et d’excès d’eau hivernaux (rendements très disparates selon les régions). En 2021, les rendements ont dépassé les prévisions pessimistes grâce à des conditions clémentes lors de la période de remplissage des grains en mai, montrant l’importance de cette période[8].
- L’impact des bio-agresseurs du colza tout au long du cycle, en particulier en automne et au printemps :
- La hausse des températures est favorable à l’activité microbienne et animale, favorisant leur accroissement lorsque le colza est encore peu développé[9]. C’est le cas d’insectes comme les grosses altises ou les charançons du bourgeon terminal, ou de maladies comme la verticilliose.
- Les évènements climatiques extrêmes, comme le gel tardif ou l’excès d’eau :
- Gel tardif : Le colza a une bonne résistance au gel hivernal lorsqu’il atteint le stade B8 (rosette). Cependant, l’augmentation des températures automnales et hivernales entraine une montaison précoce, qui accroit la sensibilité de la culture aux gelées tardives de fin d’hiver/début de printemps. D’après Terres Inovia, un raccourcissement de 10 à 20 jours de la période de montaison est déjà observé en 10 ans (2020 vs 2010) !
- Excès d’eau : des excès de pluie dans un temps restreint peuvent avoir des conséquentes dramatiques pour la culture (asphyxie des racines en hiver par exemple) et sont souvent corrélés à un manque de rayonnement au printemps.
Le colza est une culture qui a une bonne résistance à la chaleur et au gel, et qui supporte des stress hydriques modérés grâce des capacités d’adaptation physiologiques et une capacité à chercher les ressources nutritives en profondeur[10]. Néanmoins, il requière des conditions particulières lors de phases déterminantes, à savoir la période de semis en début de cycle (août-septembre) et la période de floraison et de remplissage des grains en fin de cycle (mai-juin). C’est donc sur ces phases que nous nous concentrerons dans la prochaine partie, qui mettra en exergue l’effet du changement climatique sur certains indicateurs agro-climatiques du colza, en particulier les indicateurs de stress hydrique et thermique[11].
Les régions productrices de colza exposées à la sécheresse
La production de colza en France s’élève à 3 330 000 tonnes en 2020, essentiellement concentrée dans 4 régions : le Grand Est (20%), le Centre-Val-de-Loire (18%), les Hauts-de-France (14%) et la Normandie (11%)[12].
Pour mesurer l’impact potentiel du changement climatique sur le colza, nous avons étudié les deux périodes de forte sensibilité du colza, à savoir la période de semis en début de cycle (août-septembre) et la période de floraison et de remplissage des grains en fin de cycle (mai-juin), à l’aune de trois paramètres climatiques clés pour cette culture :
- L’évolution de la température moyenne, exprimée en °C.
- Le stress thermique, exprimé via l’évolution du nombre de jours anormalement chauds[13].
- Sécheresse des sols, exprimée via l’évolution du nombre de jours avec sols secs[14].
L’analyse à suivre permet de mettre en évidence l’évolution de ces paramètres entre une période actuelle et un horizon moyen terme (~2050)[15] dans deux scénarios de projections climatiques (RCP 4.5 et RCP 8.5)[16].
Les projections climatiques montrent une augmentation importante de la température lors de la période de semis (août-septembre) : cette hausse varie entre 2 et 3°C selon les régions et le scénario, avec un pic à 3,1°C dans la région Grand Est dans le pire scénario. Ces résultats montrent que le changement climatique touche l’ensemble des régions de culture du colza avec un impact a priori plus marqué pour le Grand Est et le Centre Val-de-Loire.
La probabilité de périodes de stress thermique augmente également. Les cartes ci-dessous montrent des épisodes de température extrême plus fréquents, avec, dans le scénario de réchauffement le plus important :
- Une augmentation moyenne de 2,5 jours par mois des jours de forte chaleur en mai-juin (soit une augmentation de plus de 50% par rapport à aujourd’hui), avec un pic à 3,1 jours en moyenne en mai dans la région Grand-Est ;
- Une augmentation moyenne de 5 jours par mois de ces jours en août-septembre (soit une multiplication par environ 2,5 par rapport à aujourd’hui), avec un pic à 5,9 jours en moyenne en août dans les région Grand-Est et Centre-Val de Loire.
Ces résultats présagent d’un rendement affaibli et de succès de semis moins élevé pour le colza, en particulier dans les régions Grand Est et Centre-Val de Loire.
Quant à la sécheresse des sols, les scénarios montrent une tendance à son augmentation. L’incertitude des modèles sur les précipitations ne permet malheureusement pas de conclure sur les tendances régionales[17].
Néanmoins, on peut raisonnablement conclure que l’augmentation d’épisodes de stress hydrique cumulée avec des températures extrêmes ne présagent rien de bon pour l’état de sécheresse des sols et par extension pour la culture de colza, et que ces aléas seront probablement plus marqués en régions Grand Est et Centre-Val de Loire.
Leviers d’adaptation à notre portée
Pour faire face aux risques climatiques menaçant la production de colza, il existe trois types de leviers d’adaptation :
- Adapter les itinéraires techniques agricoles ;
- Développer des génétiques de graines résistantes aux conditions climatiques futures ;
- Déplacer les lieux de production dans des zones plus propices pour le colza.
La décision de déplacer les bassins de production d’une culture comme le colza se fera sur le long terme et seulement si les agriculteurs sont aiguillés par les acteurs de la filière, en particulier par les instituts techniques, de sorte à objectiver les zones de production propices aux conditions de culture du colza. Par ailleurs, cette décision n’est pas la plus souhaitable car si le colza venait à être moins cultivable dans les régions d’origine, cela affecterait directement les usines de trituration de colza[18]. En effet, deux risques majeurs sont encourus :
- Risque d’actif échoué : une baisse des volumes de graines entrant en trituration pourrait entrainer un arrêt partiel voire complet de l’usine ;
- Risque logistique : si le colza n’est plus cultivé dans la région du site industriel, il peut l’être dans d’autres régions mais cela obligera alors à une ré-organisation des flux logistiques (augmentation des distances parcourues et donc des coûts, impacts et risques environnementaux induits).
Quant au développement d’une génétique adaptée, 2e levier proposé, il s’agit d’un sujet saisi par les instituts techniques agricoles et qui nécessitera plusieurs années d’expérimentation et de retours d’expérience.
Il est donc intéressant de s’attarder davantage sur le premier levier, seul levier actionnable à plus court terme et directement à la main des agriculteurs producteurs de colza.
Prenons l’exemple des implantations de colza associés :
Un colza est dit associé lorsque l’on implante une autre culture en même temps et sur la même parcelle que lui. Cette culture est choisie de sorte à se dégrader naturellement et laisser le colza se développer. C’est le cas des légumineuses gélives (par exemple vesce, féverole) qui auront une croissance moins rapide que le colza (concurrence en faveur du colza) et une forte sensibilité au gel.
L’intérêt des implantations de colza associés à des légumineuses est double : en plus des gains en fertilité du sol via la restitution au sol de l’azote des légumineuses associées, le couvert permis par cette plante réduit le risque de gel et la prolifération des insectes d’automne et des adventices. L’association semble avantageuse à la fois en termes de rendement et de coûts associés[19],[20]. Cette association paraît d’autant plus intéressante que les automnes et hivers plus doux laissent place à une activité accrue d’insectes comme les grosses altises ou les charançons du bourgeon terminal, bio-agresseurs pour le colza[21].
Néanmoins cette technique requiert un semis précoce qui laissera le temps à la légumineuse de se développer pour jouer son rôle. Or, précocifier le semis implique une augmentation des risques de sécheresse lors des mois d’été (août en particulier). Des compromis sont donc à faire dans les choix d’itinéraires techniques agricoles : préfère-t-on limiter les risques liés aux bio-agresseurs et au gel en automne et début d’hiver ou faciliter l’implantation via un semis tardif ?
Les pratiques à adopter dépendent des parcelles et des rotations souhaitées ! Pour une parcelle avec un reliquat d’azote important en automne, le colza associé aura moins d’intérêt. Il est aussi possible d’implanter des couverts pérennes qui serviront aux cultures suivant le colza.
Les leviers d’adaptation sont donc à étudier en fonction des productions, des besoins de chaque agriculteur et de leur territoire, ainsi que des risques climatiques.
Conclusion
La production de colza n’échappe pas aux risques liés au changement climatique et à l’essor de conditions défavorables à sa culture. En particulier, une augmentation de la sécheresse des territoires producteurs de colza pourraient affecter grandement le rendement et la pérennité de cette culture. Des leviers d’adaptation existent pour prévenir ces risques mais ceux-ci sont encore exploratoires ou peu nombreux. Il est important de multiplier les expérimentations et de diffuser les retours d’expérience afin d’augmenter les chances de trouver une diversité de solutions pérennes.
Et vous, agriculteurs et tous les acteurs terrains, observez-vous déjà une évolution des indicateurs agro-climatiques ? Avez-vous adapté vos pratiques agricoles et si oui, quels apprentissages en tirez-vous ?
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