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30 juin 2022
Auteurs et autrices : Florence Palandri

Analyse du rapport Perrier : Un appel pour un engagement plus ferme de l’Etat envers le secteur financier

Plus qu’une simple mission d’information sur les actions déjà engagées, c’est une “mission de coordination des acteurs de la place de Paris” et surtout de « définition d’une trajectoire de décarbonation des financements conforme à l’accord de Paris » qu’a voulue le ministre de l’Economie. Pour ce faire, le ministre des Finances, Bruno Le Maire a commissionné Yves Perrier (président d’Amundi et vice-président de Paris Europlace), lui adjoignant le soutien du Trésor.

Après 3 mois de travaux et l’audition de 200 professionnels du secteur financier, le rapport a été rendu public début mars 2022 :  “Rapport Perrier - Faire de la place financière de Paris une référence pour la transition climatique: un cadre d’actions”.

En l’absence d’un cadre réglementaire (hormis sur le reporting), l’Etat et la place de Paris louvoient 

La lettre de mission donne le ton : “Si l’Etat y prendra toute sa part, relever [le défi de la lutte contre le changement climatique] suppose que la place de Paris s’engage davantage.”

A cette injonction, le rapport oppose en substance que « les cadres normatifs ne sont pas stabilisés ». Dans le deuxième chapitre, qui dresse un inventaire des outils existants (taxonomie européenne, comptabilité extra-financière, bilan carbone des entreprises, notation ESG, méthodologies d’analyse, ébauches de standards internationaux), les auteurs laissent bien voir le « foisonnement » issu de cette absence de cadre, contre lequel le rapport met en garde.

Les auteurs appellent à davantage d’harmonisation. Sept ans après que le reporting extra-financier est devenu obligatoire pour les institutions financières (art. 173 de la loi sur la transition énergétique de 2015, art. 29 de la loi énergie-climat de 2019 – N.B. les premières obligations réglementaires de reporting extra-financier pour les entreprises en France datent de 2001), le rapport déplore que les cadres d’analyse soient encore loin d’être harmonisés, et qu’il n’y ait pas de « réels développements prévus à date [sur les standards d’analyse] … ».

Puis il nuance, révélant une tendance de fond : « … hormis une réglementation européenne attendue pour 2023 encadrant la notation extra-financière mais qui ne devrait a priori pas légiférer sur les méthodologies elles-mêmes afin de ne pas freiner l’innovation dans cette matière peu mature. »

On peut s’étonner que le rapport ne fasse pas une mention plus explicite du fait que pour ce qui concerne le bilan carbone, l’outil de base dans le domaine de la réduction des émissions de GES, il existe une norme internationale (accompagnée de référentiels reconnus accompagnés de guides d'application) qu’il s’agit essentiellement de rendre obligatoire.  Si les législateurs hésitent à créer ou renforcer cette obligation, ce n’est pas du fait de l’absence de normes, mais sous la pression des acteurs économiques (le MEDEF en tête en France) qui ne souhaitent pas fournir les moyens de réfuter leurs allégations de “bons élèves”.

A vouloir « ne pas freiner l’innovation [sur les méthodologies] », l’Etat temporise-t-il trop ?

La lettre de mission du ministre prévient des “efforts que la Place doit consentir”… avant de lui demander la trajectoire à définir et adopter.

Les auteurs posent des conditions préalables : la « normalisation de la donnée extra-financière des entreprises » et des standards d’analyse climatique des portefeuilles financiers. Le rapport soutient qu’avec un « accès à une information fiable, comparable et pertinente », les institutions financières sauraient « réallouer les capitaux selon les besoins de la transition écologique ». Le meilleur chemin vers une finance durable serait donc la normalisation des méthodes de comptabilité carbone.

Semblant contredire cette pétition de principe, il ose toutefois avancer qu’ « il n’y a pas eu d’analyse permettant de s’assurer de la faisabilité [de l’option de non-accroissement des capacités actuelles de production de pétrole et de gaz pour respecter les engagements de neutralité carbone à horizon 2050] et des conditions de substitution des énergies décarbonées aux énergies fossiles ». Cette affirmation ne fait pas référence  aux récents travaux prospectifs, bien sûr discutables qui donnent des réponses élaborées à cette question et sans promettre une croissance économique sans entrave. Plus profondément, le rapport n’insiste pas assez sur le fait que  la lutte contre le changement climatique est stratégique pour le continent européen. Baisser les émissions, c’est aussi lutter pour sa souveraineté énergétique, qui n’est pas assurée comme vient nous le rappeler monsieur Poutine. Il s’agit d‘un impératif vital.

On peut s’étonner en outre que la  normalisation des données extra-financières soit posée par le rapport comme une condition de l’alignement à l’allocation pertinente des capitaux. Ce n’est pas la fourniture d’informations, même normées, qui contraindra ou incitera  les entreprises à s’aligner avec l’ accord de Paris et encore moins les acteurs financiers qui, dans leur grande majorité, considèrent que leur métier est de financer les projets et entreprises qui le demandent, sous réserve qu’ils en soient convenablement rémunérés (en analysant le couple rendement-risque associé au service rendu) et dans le respect de leurs obligations réglementaires. 

Les attentes de rendements financiers doivent être rationalisées, sans quoi l’alignement est impossible

Ne se limitant pas exclusivement à la question de l’information et de sa normalisation, le rapport prend position pour une taxe carbone européenne– en plus de l’EU ETS – et pour un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union Européenne.

Il formule surtout le diagnostic suivant, sur les conditions d’opération des acteurs financiers et par conséquent sur le rôle de l’Etat : « L’ampleur des investissements à réaliser, leur durée et leur faible valeur d’usage nécessiteront de remettre en cause, chez les investisseurs, les critères de rentabilité du capital (rendement des fonds propres et TRI de 15 %) forgés dans les années 2000 et dont le niveau apparaît incompatible avec la nature des transformations à opérer. Également, ils supposent de concevoir de nouvelles solutions financières en lien avec l’Etat pour dégager les ressources adéquates. »

Cette intention ne semble cependant  pas accompagnée de recommandations précises qui en ferait autre chose qu'un vœu pieux, voire une opération de communication visant à faire croire à une prise de conscience, qui ne semble pas vraiment partagée, d’une contradiction entre rendement attendu des capitaux propres et transition écologique.

Le nécessaire alignement des entreprises, du système financier et de l’ Etat

Le rapport  exprime le besoin d’une « feuille de route commune entre l’ensemble des acteurs concernés – système financier, entreprises et pouvoirs publics », et appuie la nécessité que « l’ensemble [soit] piloté au plus haut niveau, en coordination avec le pilotage de l’évolution des politiques publiques et des stratégies industrielles ».

Il semble renvoyer l’Etat à ses responsabilités quand il souligne qu’il est indispensable d’enfin « rentrer dans une logique de co-construction » : « La réussite de la transition climat dépendra de l’alignement des entreprises, du système financier et de l’Etat ». Il consacre le rôle central de la puissance publique, quand  il souligne les enjeux de la transition climatique en matière  de “politique industrielle, de politique sociale et de souveraineté".

Recommandations : le rapport invoque l’Etat pour remettre en ordre de marche des acteurs dispersés 

Le rapport prend acte du fait que « nous sommes à un moment particulier où le cadre normatif est inachevé, non stabilisé”. Mais, dit-il, “Il faut pourtant avancer et commencer à mettre en œuvre des outils de pilotage interne de la transition ». Il formule des recommandations sur les méthodologies d’analyse, la gouvernance et la gestion de l’externalité carbone, la formation, les produits financiers et labels, la trajectoire d’ajustement de la place financière sur les énergies fossiles, l’innovation financière, et enfin l’organisation de la place de Paris.

Sur ce dernier point, il met en garde contre un recul relatif de la place financière de Paris. Élogieux sur le rôle historique de pionnier des acteurs financiers français, le rapport Perrier mentionne l’Observatoire de la Finance Durable mais concède la supériorité - sur la recherche et l’innovation - de Londres et Francfort. 

Cette “concession”  peut néanmoins surprendre dans la mesure où la métrique carbone et ses développements sont tous d’origine française, Carbone 4 en étant un des acteurs clefs.

Sur l'organisation de la place de Paris, les auteurs recommandent – sur le modèle londonien – davantage de moyens (budget propre, réseau d’experts, etc.) et surtout une meilleure coordination avec les pouvoirs publics, auxquels doit incomber la stratégie. Nous ne pouvons que nous féliciter de ces deux ambitions.

Le rapport appelle enfin  à la création d’un nouvel organisme opérationnel distinct de Finance for Tomorrow, qui serait “chargé, dans le cadre des orientations définies par [une instance de pilotage stratégique présidée par le ministre de l’Economie et des Finances et dont le secrétariat serait assuré par le Trésor], de coordonner les travaux des différents chantiers, de représenter la place dans les instances techniques européennes et internationales, d’animer un réseau d’experts”. Fin juin, quelques jours seulement après l’élection par Finance for Tomorrow de son nouveau bureau, Paris Europlace annonce effectivement le remplacement de Finance for Tomorrow par un nouvel “Institut de la Finance Durable”. Celui-ci devrait être opérationnel en 2023 et serait dirigé par un industriel de la finance - le chantier de sa création étant confié à Yves Perrier.

Cette annonce a été prise et annoncée par le conseil d’administration de Paris Europlace (dont le président est Augustin de Romanet (pdt d‘AdP), et les vice-présidents Yves Perrier et  Jean Lemierre (pdt du conseil de surveillance de Bnp Paribas) sans information préalable de la direction et du bureau de Finance For Tomorrow, ce qui a suscité incompréhension et émotions.

Conclusion

Le rapport Perrier résume sans ambages : « [Les] cadres d’analyse restent très hétérogènes, et ne sont pas encadrés par la réglementation. [Or] les standards d’analyse sont fondamentaux pour la notation, et ainsi le coût du capital et la réallocation des flux financiers. »

Ayant longuement dénoncé les travers de l’ « hétérogénéité des approches », le rapport conclut : « le volontarisme des actions individuelles ne saurait compenser l’insuffisance du collectif. » 

Pour reconquérir sa position de leader et agir réellement en faveur de la transition, la place de Paris à besoin d’un arbitre qui édicte les nouvelles règles du jeu. 

Nous pensons qu’il est en effet indispensable de rendre obligatoire le bilan carbone des entreprises, car c’est un outil normé et stabilisé. En revanche, il est erroné de faire croire que sur un plan plus général  la normalisation des informations est un préalable à une action ambitieuse en faveur du climat. D'une part, parce que dans de nombreux cas les outils (sur les enjeux environnementaux au sens large, pas limités au climat) sont en cours de mise au point et il est encore très utile de laisser se développer les innovations méthodologiques. D’autre part, parce que le rôle des pouvoirs publics ne peut se limiter à la normalisation de l'information. Il leur appartient de construire un cap, une feuille de routes, un cadre, des interdictions et des incitations dans l’ensemble des domaines concernés. Sur ce plan,  le rapport Perrier est hésitant en semblant donner des gages comme nous l’avons vu, mais sans développer l’analyse et en se contentant d’évoquer des pistes, soit déjà à l’agenda (comme la mécanisme d’ajustement aux frontières) soit irréaliste en l’état comme une taxe carbone européenne. Nous avons besoin d’une “planification écologique” sérieusement construite et mise en oeuvre sans délai au sein de laquelle la finance fera sa part. Nous en sommes encore bien loin.


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