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4 juin 2020
Auteurs et autrices : Rodrigo Baranna

Nos déplacements réguliers avant le COVID-19 : 400 km et plus de 10h par semaine

Cet article a initialement été publié dans notre newsletter Décryptage Mobilité. Pour recevoir par mail les prochains articles dès leur publication, abonnez-vous dès maintenant. Par Rodrigo Baranna – Consultant Senior 

Alors que depuis la mi-mars nos déplacements sont considérablements réduits par le confinement, les réflexions prospèrent sur ce que pourrait être la mobilité dans le monde d’après COVID-19. Pour bien mener cette réflexion, il est utile de partir du diagnostic initial sur nos mobilités telles qu’elles étaient avant d’être mises en pause. Pour cela, la récente « Enquête Nationale Mobilité et Modes de vie 2020 » [1] est remarquable : le Forum Vies Mobiles, en partenariat avec l’Observatoire société et consommation, a publié récemment les résultats de cette étude qui analyse les déplacements réguliers, c’est-à-dire réalisés au moins une fois tous les 15 jours. Elle est fondée sur une enquête menée auprès d’un échantillon représentatif des Français et concerne les déplacements en France métropolitaine. Les déplacements sont classifiés et analysés selon leur motif, par exemple emploi, études, activités vitales, accompagnement, activités sociales et sports et loisirs. Pour le motif « emploi » sont considérés les déplacements domicile-travail et les déplacements professionnels (réalisés dans le cadre de l’activité professionnelle mais en-dehors du trajet domicile-travail).

Principaux résultats : une sous-estimation de la globalité des déplacements réguliers auparavant

Les résultats montrent une forte évolution de la mobilité en France par rapport à la dernière Enquête Nationale Transports et Déplacements (ENTD) qui date de 2008 [2]. L’Enquête Nationale Mobilités et Modes de vie révèle que chaque semaine les Français parcourent en moyenne 400 kilomètres et passent plus de 10h dans leurs déplacements réguliers. Ces chiffres diffèrent fortement avec les résultats de l’ENTD 2008, selon laquelle un Français moyen dépenserait 5 heures et 52 minutes et parcourrait 167 kilomètres par semaine pour ses déplacements réguliers.

Les Français auraient-ils plus que doublé leurs déplacements en 10 ans ?

La réponse à cette question est un peu plus compliquée que la simple comparaison entre les chiffres des deux enquêtes. L’enquête organisée par le Forum Vies Mobiles, visant à avoir une vision plus complète de la mobilité en France, analyse un périmètre plus large que celui de l’ENTD. Trois différences significatives sont identifiées : 

  • L’analyse est faite sur deux semaines de déplacements, ce qui permet de mieux capter les déplacements réguliers mais pas hebdomadaires, comme les déplacements bimensuels ;
  • L’enquête n’exclut pas les déplacements réguliers de longue distance, contrairement à l’ENTD qui se limite aux déplacements en dessous de 80 km ;
  • L’enquête s’intéresse aussi à tous les types de déplacements professionnels, y compris ceux qui sont réalisés dans le cadre du travail, y compris ceux des personnes exerçant une activité mobile par nature (ex. : chauffeurs, livreurs, coursiers, etc.)

La mobilité liée au travail représente 43% des distances parcourues régulièrement en France

La mobilité liée au travail représente pour les Français actifs environ 337 kilomètres par semaine en moyenne, composés d’environ : 

  • 140 km par semaine de déplacements domicile-travail ;
  • 130 km par semaine de déplacements liés à un travail mobile par nature ;
  • 30 km par semaine de déplacements professionnels quotidiens ;
  • 37 km par semaine de déplacements professionnels occasionnels (de moins de trois fois par semaine à une fois tous les 15 jours).

Les inégalités traduites par les déplacements des Français

L’étude révèle également que les plus riches ont accès à des vitesses moyennes significativement plus élevées que les personnes les moins aisées dans le cadre des leurs déplacements liés au travail : 64 km/h contre 40 km/h. Ce gain en vitesse ne sert pas à réduire le temps de transport, mais à augmenter les distances parcourues. Les français qui ont plus de 2 500€ de revenu font environ 450 km par semaine de déplacements liés au travail, lorsque ceux qui touchent moins de 1 000€ ne parcourent qu’environ 250 km par semaine.

Vélo : un potentiel pas assez exploité

Le Forum Vies Mobiles établit dans son étude une notion de seuil de 9 km pour la portée des déplacements envisageables en vélo. Ainsi en deçà de 9 km, soit environ 30 minutes de trajet, le vélo serait accessible à une grande partie de la population. Alors que le vélo semblerait être une option réaliste pour les Français qui habitent à moins de 9 km de leurs lieux de travail, 21% des Français dans ce cas de figure utilisent encore exclusivement la voiture pour leurs déplacements domicile-travail. Plus généralement, 29% des Français ont un mode de vie local et réalisent toutes ses activités régulières, hors activités sociales toutefois, dans un rayon inférieur à 9 km de chez eux. Le vélo pourrait alors devenir leur mode de transport principal.

Le télétravail : des résultats contrintuitifs

Le résultat le plus étonnant de l’étude concerne la pratique du télétravail. Intuitivement le travail à distance réduirait les déplacements d’une personne, mais les résultats montrent que des distances moyennes plus importantes sont observées chez ceux qui le pratiquent. L’étude révèle que l’adoption du télétravail de manière régulière (au moins deux fois par semaine) est liée à des distances 30% supérieures à celles des employés ne faisant jamais du télétravail. Cela est encore plus vrai pour ceux qui télétravaillent occasionnellement (moins de 2 fois par semaine), pour qui les distances moyennes sont environ 60% plus élevées. Cela pourrait être le signe d’un effet rebond : la réduction de la fréquence de déplacements vers les lieux de travail rend la personne plus susceptible d’accepter des plus longues distances pour ce type de déplacement. Par ailleurs, ces personnes disposent également de plus de temps pour réaliser d’autres types de déplacement. Néanmoins, la causalité entre la pratique du télétravail et les distances plus importantes n’a pas été établie. Est-ce le télétravail qui contribue à augmenter les distances, ou bien est-ce que ce sont les personnes qui habitent plus loin de leurs lieux de travail qui seraient plus susceptibles d’adopter le télétravail ?

La nouvelle version de l’ENTD bientôt disponible

Si l’élargissement du périmètre de l’Enquête Nationale Mobilités et Modes de vie permet d’observer des nouveaux phénomènes de la mobilité, la nouvelle version de l’ENTD nous permettra de constater l’évolution sur un même périmètre. Ainsi, les différents facteurs explicatifs pourront être distingués et une analyse plus robuste construite. Les résultats de l’Enquête Nationale Transport et Déplacements 2018-2019 devraient bientôt être publiés, dans le premier semestre 2020. 

[1] Forum Vie Mobiles [2] Enquête Nationale Transport et Déplacement 2008


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