Mobilité bas carbone : l'État veut arriver à ses fins sans s'en donner les moyens
Cet article a initialement été publié dans notre newsletter Décryptage Mobilité du 11 mars 2021. Pour recevoir par mail les prochains articles dès leur publication, abonnez-vous dès maintenant.
D’ici à 2030, c’est-à-dire dans un peu moins de 10 ans, l’État français s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport à 1990. Or, nous ne sommes pas du tout sur cette trajectoire. C’est le résultat d’une récente étude réalisée par Carbone 4 [1], qui a évalué les lois engagées et envisagées à l’aune de 11 indicateurs sur les trois secteurs les plus émissifs (bâtiment, transport, agriculture). Les objectifs pour 2030 sont en voie d’être atteints pour seulement 2 des 11 paramètres. C’est aussi l’avis de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), qui avait pour mandat de proposer des mesures permettant d’atteindre ces 40 % de réduction et qui vient d’évaluer les projets de loi du gouvernement faisant suite à leurs travaux. Le constat est sans appel : la CCC donne une note de 3,3/10 au projet de loi « Climat et résilience » [2].
En étudiant plus en détail le secteur du transport, selon notre étude les 3 leviers clés sont :
1) Le croissance du trafic ferroviaire Représentant 1 % des émissions pour un transport de 10 % des passagers, le trafic ferroviaire doit croître de 20 % d’ici à 2030 selon la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Or, on note un sous-investissement au niveau du train, servant surtout à compenser les pertes liées à la crise sanitaire actuelle plutôt qu’à rénover les infrastructures. Si les investissements sont actuellement de l’ordre de 2 milliards d’euros par an, ils doivent atteindre 5 à 6 milliards d’euros par an pour atteindre les 20 % de croissance en 2030. Si l'on compare avec les propositions de la CCC qui proposait d’augmenter le budget de l’AFITF (Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France) de 1,1 Md€/an, le plan de relance du gouvernement prévoit certes 4,9 Md€ pour le secteur ferroviaire (fret inclus), mais cet investissement est ponctuel, étalé sur deux ans et l’État ne s’est pas engagé à ce stade sur le plus long terme. En outre, l’État n’a pas souhaité diminuer la TVA sur les billets de trains qui reste à 10 % au lieu des 5,5 % demandés par la CCC. Il a préféré verser une aide aux Autorités Organisatrices de la Mobilité. Enfin, la CCC proposait d’harmoniser les tarifs attractifs pratiqués par certaines régions sur tout le territoire, mais il est vrai que l’État n’a pas la compétence de décider des tarifs des transports ferroviaires.
2) L’augmentation de l’utilisation du vélo La pratique du vélo doit aussi s’accentuer et être multipliée par 4 d’ici 2030 selon les objectifs de la SNBC. Or le vélo est avant tout un sujet à la main des collectivités territoriales qui portent plus de 90 % des investissements en infrastructures cyclables. L’État devrait alors jouer un rôle de catalyseur pour générer les bonnes incitations, fédérer les bonnes pratiques et maximiser l’effet de levier de ses investissements directs ; ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Cependant, même si l’État pourrait faire plus sur le plan financier, son plan vélo à 50 millions d’euros par an est déjà inédit et atteint quasiment les ordres de grandeur d’autres pays voisins. Concernant les propositions de la CCC, l’État a retenu les mesures en faveur du vélo, bien qu’en en diminuant la portée : augmentation du Forfait Mobilités Durables à 500€/an sans toutefois le rendre obligatoire, augmentation de l’enveloppe du fonds vélo de 100 M€ sur 2 ans mais pas de façon pérenne, et création du « coup de pouce vélo » qui offre une prime pour la réparation d’un vélo et une formation avec un moniteur, valide seulement jusqu’au 31 mars 2021.
3) La pénétration massive des véhicules à faibles émissions (électrique, hybride, biogaz) Selon la SNBC, la part des véhicules à faibles émissions doit atteindre 15 % du parc national d’ici 2030, mais cela nécessite des dispositifs bien supérieurs à ceux existants. En effet, ces derniers permettent seulement de contribuer au financement de 3 % du parc en 2030*. En termes de mesures concrètes :
- Les bonus/malus liés à l’achat d’un véhicule propre/polluant sont inférieurs aux montants demandés par la CCC,
- La prime à la conversion n’est pas restreinte aux véhicules à faibles émissions comme préconisé par la CCC,
- Le gouvernement a proposé une exonération de taxe sur les contrats d’assurance pour les véhicules électriques pour trois ans mais n’a pas retenu de modulation de taxe en fonction des émissions du véhicule,
- Un objectif de fin de vente de véhicules « polluants » en 2030 a été fixé, avec un seuil d’interdiction très modeste car il représente déjà la moyenne des émissions des véhicules vendus aujourd’hui (95 gCO2/km NEDC, l’ancien protocole européen d’homologation des émissions),
- Enfin le gouvernement prévoit la suppression progressive du remboursement de la TICPE, la fiscalité sur les carburants, pour le transport routier entre 2023 et 2030. Cependant cette mesure se fera sous réserve que l’offre de véhicules propres et le réseau d’avitaillement soient suffisants, et qu’une convergence de la fiscalité énergétique au niveau européen ait lieu.
Ainsi sur ces 3 leviers, seule la part modale du vélo semble atteignable avec les mesures actuelles selon l’étude Carbone 4, et pour chacun d’entre eux les propositions de la CCC étaient plus ambitieuses :
Mesures actuelles prévues par l’État VS objectifs climat 2030 France (SNBC)
Parmi les autres travaux de la CCC, d’autres thématiques sont intéressantes à considérer (on reproduit entre parenthèses la note attribuée par la CCC au projet de loi « Climat et résilience » sur le sujet en question) :
- Le transport aérien (2,8/10) : reprise très partielle des mesures, on pourra noter l’interdiction des vols à moins de 2h30 au lieu de 4h,
- Les zones portuaires (5,5/10) : plutôt positif, le gouvernement a réservé 175 M€ du plan de relance pour « verdir » les ports et a diminué les taxes sur l’électricité fournie aux bateaux. Mais ce périmètre d’émissions est très limité, et l’État n’a pas de levier direct sur les émissions du transport maritime international,
- L’aménagement des voies publiques (4,2/10) : création de parkings relais et aménagement de voies réservées aux transports collectifs et véhicules partagés sur les autoroutes et voies rapides, augmentation du nombre de ZFE (Zones à Faibles Émissions) de 10 à 35 avec un seuil réduit à 150 000 habitants (vs 100 000 habitants pour la CCC).
Reprise partielle, sous conditions, ou avec une application limitée dans le temps, tout en laissant de côté les propositions les plus ambitieuses (interdiction d’extension et de construction des aéroports, limitation de la vitesse à 110 km/h sur les autoroutes…), le gouvernement s’est voulu conciliant et partisan du compromis avec les propositions de la convention citoyenne, en oubliant qu’il lui avait lui-même fixé un objectif de réduction de 40 % d’émissions, devant être atteint avec le bouquet complet de mesures. Il y a alors une certaine schizophrénie de l’État qui (i) négocie sur les mesures proposées par la CCC sans proposer de mesures alternatives, ce qui implique assez logiquement que la cible de réduction de 40 % sera manquée, et (ii) en même temps, milite pour augmenter l’objectif à 55 % de réduction au niveau européen, ce qui élèvera naturellement l’objectif actuel français.
Article rédigé par Eloïse Dulac (Consultante), Florent Ollagnier (Consultant) et Nicolas Meunier (Consultant Senior) eloise.dulac@carbone4.com florent.ollagnier@carbone4.com nicolas.meunier@carbone4.com *La part de véhicules neufs à faibles émissions vendus (ex : 11 % en 2020 [3]) qui suscite beaucoup de communication est à bien différencier de la part de véhicules dans le parc automobile français roulant.
Sources : [1] L’État français se donne-t-il les moyens de son ambition climat ?, Carbone 4 [2] Macron et le climat : 3,3 sur 10, selon la Convention citoyenne, Reporterre [3] Automobile propre
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