L’IA Générative… du changement climatique !
Comment inverser la tendance ?
Introduction
Futur de l’emploi, culture, innovation, sécurité : le 10 et 11 février 2025, Paris a accueilli l’AI Summit, un rendez-vous stratégique où les plus grands acteurs de l’intelligence artificielle se sont interrogés sur le futur de cette technologie en hyper-croissance.
Mais derrière les débats sur la souveraineté et l’éthique, l’enjeu IA-climat est passé au second plan. En effet, si l’Agence Internationale de l’Energie et l’ONU ont brièvement rappelé les trajectoires croissantes de la consommation électrique et la nécessité pour les data centers de réduire leur consommation d’énergie, l’empreinte environnementale des modèles d’IA générative – consommation d’eau, extraction de ressources, budget carbone – semble n’avoir fait l’objet d’aucune discussion approfondie. Pourtant il y a là un potentiel facteur limitant : l’expansion de l’IA générative peut-elle être compatible avec les trajectoires de décarbonation que les États se sont fixées, ou avec les ressources disponibles ? L’IA générative serait-t-elle véritablement un atout, ou risque-t-elle de monopoliser les investissements et les ressources critiques pour la transition ?
Des impacts directs méconnus et sous-estimés
La comptabilité des impacts environnementaux de l’IA générative, bien qu’ayant gagné en maturité récemment (principalement par le biais du monde académique et via des initiatives de la communauté open-source [1] [2]) se heurte encore aujourd’hui au manque de transparence des principaux acteurs de la chaîne de valeur.
En amont, le marché des puces électroniques pour l’IA est fortement dominé par NVIDIA, qui tient près de 80% des parts de marché [3]. Le concepteur ne fournit pas de chiffres sur l’impact environnemental de ses GPU [4], fabriqués à l’aide des semi-conducteurs de TSMC, fournisseur leader sur son marché (65% des parts [5]) et également opaque sur le sujet. Les effets environnementaux liés à la fabrication du hardware peuvent donc être estimés seulement à partir des spécifications techniques, comme le propose le groupe de travail Boavizta [6].
Au cœur de la chaîne de valeur, les développeurs de modèles d’IA divulguent généralement peu d’informations sur l’impact environnemental de leurs modèles. Les géants OpenAI et Anthropic, auteurs des modèles GPT et Claude, ne fournissent aucun chiffre ; Microsoft et Google ne communiquent pas sur l’empreinte de leurs modèles mais ont vu leurs émissions augmenter de près de 50% en 3 ans au niveau groupe[2] [8] [9].
Figure 1 – Empreinte carbone d’un grand modèle tel que Llama 3-405B (Meta), avec et sans prise en compte des postes hors électricité des GPU durant l’entraînement et l’inférence (voir hypothèses de calcul[10]). Cette empreinte se veut représentative d’un modèle de 405 milliards de paramètres utilisé pendant 1 an, traitant chaque jour 1 million de requêtes générant 200 tokens. À noter qu’une plus forte utilisation du modèle augmenterait significativement la part de l’inférence dans ce calcul.
Source : Carbone 4 d’après Meta et études Carbone 4
Meta communique sur l’empreinte carbone de ses modèles Llama, mais sur un périmètre restreint. Les impacts associés à la fabrication des GPU sont exclus, et la prise en compte la consommation d’électricité hors-GPU (par exemple celle des appareils de climatisation, des CPU servant à décoder les requêtes, encoder les réponses, coordonner l’exécution des tâches, logger…) est floue[11], invisibilisant potentiellement près de la moitié des émissions d’entraînement (voir fig.1). Les émissions de la phase d’utilisation du modèle par les utilisateurs finaux (appelée inférence), pourtant en première ligne de l’effet rebond, ne sont pas non plus abordées. Enfin, il n’y a pas de mention d’éventuels entraînements lors de la phase recherche & développement pouvant être alloués au modèle.
Si la transparence risquerait d’exposer ces acteurs à certains risques dans la course technologique, elle est pourtant cruciale à la bonne mesure de l’empreinte écologique de l’IA générative et à leur pilotage.
Le Sommet pour l’action sur l’IA, réunissant législateurs et entreprises, a incarné l’espoir d’une coopération internationale pour promouvoir cette transparence entre les acteurs. Une « Coalition pour une IA durable », qui visera entre autres à favoriser l’affichage environnemental, y a été annoncée, mais ne compte ni OpenAI ni aucune des MAGMA[12] parmi ses membres. La déclaration pour une IA « ouverte » signée par 61 pays dont la Chine n’a pas été ratifiée par les États-Unis, pourtant leaders du marché, ce qui brouille l’appel à la transparence.
Il reste donc difficile pour le moment d’obtenir des chiffres précis sur l’empreinte carbone des modèles d’IA générative. Une chose reste certaine cependant : l’impact direct est conséquent, de l’ordre de la centaine de kgCO2e supplémentaire dans l’empreinte carbone personnelle annuelle d’un utilisateur faisant 10 requêtes textuelles par jour[13].
Pour limiter l’inflation des émissions de l’IA générative, les entreprises devront miser sur des gains d’efficacité (via des choix d’architecture et des modèles plus petits), sur l’électricité bas-carbone pour alimenter les centres de données, mais surtout sur la sobriété (ou frugalité[14]), sans laquelle les effets rebond freineront la progression (on observe par exemple d’ores et déjà des effets rebond sur l’usage suite aux gains d’efficacité réalisés par le modèle DeepSeek [15]).
Car en parallèle du carbone, une accélération massive de nos usages de l’IA soulève également d’autres questions d’accaparement de ressources, potentiellement au détriment de la transition écologique :
- L’électricité bas-carbone convoitée pour alimenter les centres de données sera aussi prisée par tous les autres secteurs qui en auront également besoin pour leur propre décarbonation (industrie, mobilité, bâtiment). Dans un scénario d’adoption forte de l’IA, on peut s’attendre en 2030 à une augmentation de l’ordre de 100 TWh de la consommation électrique des data centers en Europe [16], soit près de 10% de la production d’électricité renouvelable supplémentaire prévue par le scénario STEPS de l’AIE,
- Les surfaces pour les data centers, l’eau pour leur refroidissement et les ressources minières pour les machines qu’ils hébergent,
- Les investissements, avec près de 1 500 milliards de dollars d’argent privé à horizon 2030 annoncés au cours du seul mois dernier[17], soit environ 300 milliards de dollars par an. À titre de comparaison, cela représente près de 8% des investissements supplémentaires mondiaux nécessaires à la transition selon la Climate Policy Initiative [18]. En France, les 109 milliards annoncés représentent 33% du « coût de la transition » chiffré par le rapport Pisani-Ferry & Mahfouz sur la période 2025-2030 [19].
- Enfin, la place médiatique occupée par le sujet, les ressources humaines et les compétences des personnes travaillant sur le sujet.
À titre individuel, les utilisateurs disposent de plusieurs leviers d’action pour maîtriser leur empreinte environnementale liée à l’IA : remettre en question le besoin avant tout (en particulier pour les tâches les plus énergivores comme la génération d’image et de vidéo), privilégier les modèles plus légers [20], demander des réponses courtes et grouper ses questions dans une même requête.
L'IA générative ne doit pas catalyser une économie à +4 degrés
Au-delà de ses impacts directs sur le budget carbone de l’humanité, toute entreprise du numérique doit s’intéresser à ses impacts indirects d’ordres supérieurs, c’est à dire à « ce que le numérique permet ou accélère ». Les progrès récents de l’IA semblent prometteurs pour de nombreux secteurs, mais la prouesse technologique et ses cas d’usages vertueux peuvent éclipser l’accélération de la dégradation des conditions de vie sur Terre. Ainsi, il est fondamental que l’accès à l’IA soit inégal entre les secteurs économiques : accélérer le secteur des énergies fossiles, celui du transport aérien ou celui de la publicité s’inscrit directement à contresens de l’action climatique.
Pour contribuer au juste niveau à la neutralité carbone mondiale et endiguer l’extinction de masse de la biodiversité, les entreprises « tech » ne doivent pas se contenter d’améliorer leur efficacité énergétique, ni même d’intégrer une démarche de sobriété, mais bien s’intéresser à l’usage final de leurs technologies : « à qui vend-on ? pour quoi faire ? ».
Cette réflexion ontologique est essentielle pour des raisons éthiques évidentes, mais aussi dans une gestion business saine : comprendre que l’IT partage l’exposition aux risques de transition et de réputation de ses clients est une étape indispensable à l’amélioration de la résilience de son activité. Comme les banques, les entreprises numériques sont responsables et dépendantes de ce qu’elles accélèrent.
Comment démarrer concrètement cette réflexion sur son portefeuille de clients ? Carbone 4 suggère déjà de confronter sa base de clients à la Global Coal Exit List d’Urgewald pour réaliser un premier diagnostic. Vous pouvez aussi nous contacter pour mener une analyse plus fine. Par ailleurs, si vous pensez apporter des solutions technologiques ayant des impacts environnementaux positifs, vous pouvez suivre en dix minutes les premières étapes de la méthode NZI4IT.
Conclusion
L’électricité bas-carbone est à ce jour une ressource limitée, nécessaire à la décarbonation de l’économie déjà existante et sujette à des conflits d’usage. En s’arrogeant 10% de l’électricité bas carbone supplémentaire à venir, les entreprises numériques forgent une place à l’IA dans le monde de demain, loin du débat de société sur l’allocation du budget carbone de l’humanité.
La question du juste nécessaire usage de l’IA est pourtant essentielle à poser, au sujet du besoin (a-t-on vraiment besoin d’avoir recours à de l’IA pour « gagner du temps » ? et dans une approche système, que signifie « gagner du temps » au juste ?) tant que de la finalité (pour quoi faire ?).
Les entreprises numériques, à l’instar des banques, doivent analyser ce qu’elles catalysent si elles souhaitent véritablement faire partie de la solution plutôt que des rouages du problème.
Leurs clients doivent eux se poser la question de la sobriété : distinguer la transformation numérique vitale de celle qui est accessoire, contenir les effets rebonds et prévenir les effets pervers à l’aide d’une approche systémique et non centrée exclusivement sur les gains directs de productivité.
La puissance publique pourrait aider en créant des conditions de marché favorables à une meilleure maturité des entreprises numériques (voir notre publication sur ce qu’apporterait un Buy European and Sustainable Act) et en ouvrant le débat.
Le consommateur pourrait ainsi se forger un avis de citoyen éclairé et participer au débat de société, hors de sa bulle algorithmique. Comment faire pour cela ?
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