La gratuité des transports en commun est-elle une initiative à développer ?
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Par Stéphane Amant - Senior Manager
C’est un serpent de mer dans l’univers des transports collectifs (TC) : gratuité ou pas gratuité ?
Le débat existe depuis longtemps entre ses partisans (farouchement attachés aux diverses vertus des TC et voyant dans la gratuité un levier évident d’accroissement de leur part modale) et ses opposants (justifiant légitimement que les TC représentent un coût pour la collectivité et que la gratuité affaiblirait dangereusement leurs capacités d’investissement dans les TC de demain, surtout s’ils sont davantage fréquentés).
Quitte à en décevoir plus d’un, nous n’allons pas dans cet article prendre position par rapport à l’une ou l’autre de ces positions antagonistes. Nous proposons plutôt de porter notre regard sur des travaux publiés tout récemment au sujet de l’effet de la gratuité totale des TC dans une agglomération française de taille moyenne (en l’occurrence Dunkerque, dont la Communauté Urbaine regroupe 200 000 habitants environ). Cette étude a été réalisée par des chercheurs de l’association VIGS [1] qui a profité de la mise en place concomitante de la gratuité totale et d’une nouvelle offre de bus plus performante pour lancer ses travaux d’analyse.
A partir d’une méthodologie basée principalement sur des entretiens (environ 100) et des questionnaires (environ 2000), l’analyse a permis d’explorer plusieurs champs :
- Les effets d’un nouveau réseau de transport entièrement gratuit sur la mobilité et les modes de vie ;
- Les mécanismes psychologiques à l’origine de changements ;
- Les freins à la mobilité et à l’usage des transports collectifs qui continuent d’exister malgré la gratuité.
Les résultats sont édifiants : +50% de nouveaux usagers dont la moitié en substitution à la voiture, +85% de fréquentation en un an. Le succès comptable de l’offre n’est donc pas à démontrer, il est particulièrement tangible. Bien sûr, la gratuité incite à plus se déplacer (le fameux « effet rebond ») : ainsi, environ un tiers des nouveaux usagers en profitent pour se déplacer davantage. Mais du fait du fort niveau de substitution mentionné plus haut, le bilan environnemental reste largement meilleur que la situation antérieure. Autre enseignement utile : près du tiers des usagers déclarent venir plus souvent en centre-ville. Un message tout particulièrement à destination des commerçants défendant l’idée que l’accès des centres-villes à la voiture doit être maintenu pour préserver leur activité. L’expérience dunkerquoise semble montrer que c’est plutôt l’inverse qui se produit dans les faits. Enfin, notons via quelques verbatims très éloquents que plusieurs freins psychologiques sont levés grâce à la gratuité :
« Le bus, j’étais loin, j’avais lâché depuis 15 ans. Je comprenais plus rien au réseau, je ne faisais pas tellement l’effort. Quand j’ai su que ça allait être gratuit, je savais que j’allais le faire. J’avais programmé dans ma tête : le 1er septembre, je laisse la voiture, je passe au bus. » « Finalement, même si j’ai le pouvoir d’achat pour le faire, je trouve que ça revient quand même cher un ticket pour un trajet d’une dizaine de minutes. Psychologiquement, pour un trajet court, ça reste un frein, et on prend la voiture » Même avec cette vision parcellaire des enseignements de l’étude, on est tenté de considérer comme pertinent la généralisation de la gratuité des TC aux autres agglomérations de taille comparable, par exemple. Par manque d’éléments économiques, il est impossible de se prononcer cependant. Preuve que cet enjeu est d’une grande complexité, la commune de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence) fait désormais à nouveau payer les tickets de bus, après 9 ans de gratuité, et ce en dépit d’une fréquentation continuellement à la hausse [2]. La gratuité partielle ne constituerait-elle pas un meilleur compromis entre effets bénéfiques sur l’environnement et capacités d’investissement ? Comment articuler cette gratuité de manière optimale avec les modes émergents pour aboutir à une offre multi-modale suffisamment séduisante pour réduire drastiquement l’auto-solisme ? Si l’on considère (et c’est le cas chez Carbone 4) que la réduction de nos émissions de gaz à effets de serre est la mère de toutes les batailles, alors peut-être que la gratuité des TC est en effet une solution à reproduire dans toutes les agglomérations où la densité de population est suffisante. Ce choix devra être fait en toute connaissance de cause car les ressources supplémentaires à mobiliser par les collectivités devront être prélevées ailleurs : peut-être faudra-t-il « simplement » demander aux citoyens de ces aires urbaines où placer les priorités ?
Article rédigé par Stéphane Amant - Senior Manager
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