Voyage en avion : il faut réduire son addiction, surtout pour les plus accros
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Par Nicolas Meunier – Consultant
Suite à la baisse du trafic aérien en Suède en 2018, partiellement due au flygskam qui traduit la honte de prendre l’avion pour des raisons écologiques (une autre raison est la mise en place d’une écotaxe aérienne en avril 2018), la crainte de son expansion au-delà des frontières suédoises hante l’esprit de tous les acteurs du secteur, à commencer par Alexandre de Juniac, le président de l’IATA. [1] Selon un récent sondage d’UBS qui a interrogé un panel de 6000 personnes composé de Britanniques, d’Américains, d’Allemands et de Français [2], cette inquiétude n’est pas infondée : « plus d’1 sondé sur 5 a affirmé avoir au moins une fois changé ses plans pour éviter de prendre l’avion au cours de l’année écoulée ». Et UBS projette une croissance du trafic aérien de 1,5% en Europe et de 1,3% de États-Unis, inférieure à celle annoncée par IATA l’année dernière (2% pour l’Europe et 2,4% pour l’Amérique du Nord) [3]. Si ce phénomène s’amplifie, faudra-t-il revoir encore plus drastiquement les prévisions de croissance, voire envisager une stabilisation du trafic ? Il est encore trop tôt pour le dire et les chiffres d’évolution du trafic de 2019 seront un premier indicateur.
Toujours est-il que ce mouvement est pour l’instant cantonné aux régions où le trafic aérien est déjà mature, soit l’Europe et l’Amérique du Nord, alors que la majeure partie du potentiel de croissance est dans les pays émergents. De plus, si cette réduction de la croissance du trafic aérien initiée volontairement par les passagers n’est pas suffisante pour atteindre les objectifs du secteur (division de moitié des émissions entre 2005 et 2050) [4], l’utilisation d’une écotaxe aérienne peut être une autre solution possible, comme cela est déjà le cas en Suède, et le sera l’année prochaine en France et en Allemagne. Et comme certains l’ont très justement fait remarquer à propos du flygskam : les Suédois voyagent cinq fois plus que la moyenne mondiale. La réduction du trafic aérien pose donc la question de la justice sociale : qui doit réduire ses voyages en avion ? Tout d’abord, tordons le coup à l’idée reçue d’une « démocratisation » du transport aérien. Aujourd’hui, environ la moitié des habitants de pays riches et développés comme les États-Unis, l’Angleterre, ou la France ne prennent jamais l’avion. Si ce mode se développe auprès de tous les segments de population, il demeure l’apanage d’une élite : au Royaume-Uni, 15% des personnes réalisent plus de 70% des vols, tandis qu’en France 50% des vols viennent des 2% des personnes ayant les revenus les plus élevés. [5] [6] [7] A partir de ce constat et dans une perspective de la mise en place d’une écotaxe aérienne, de la même manière que les impôts sur le revenu sont échelonnés avec des paliers croissants en fonction du montant des revenus, pour des raisons d’équité sociale, il serait possible de créer une taxe respectant ce principe pour les voyages aériens. Ainsi, le Committee on Climate Change, équivalent du Haut Conseil pour le Climat au Royaume-Uni, recommande de mettre en place une taxe sur les voyages aériens qui serait proportionnelle à la cabine de voyage et à la distance parcourue dans les airs sur les dernières années. [8]
Cette mesure permettrait de concilier transition écologique et justice sociale, en taxant plus fortement les globe-trotters qui ont tendance à être plus riches et moins sensibles au prix et dont l’empreinte carbone aérienne est conséquente, tout en ne pénalisant pas les autres catégories sociales souhaitant voyager en avion occasionnellement. Autre mesure proposée par le CCC : supprimer les programmes de fidélité des compagnies aériennes, dont le but est de stimuler le trafic aérien en incitant les voyageurs à prendre plus l’avion. L’intérêt de ces programmes est en effet tout à fait discutable, d’un point de vue écologique et aussi social, car les utilisateurs de ces programmes sont intrinsèquement des voyageurs fréquents.
Face à la prise de conscience de l’impact climatique des voyages en avion par l’opinion publique, les compagnies aériennes européennes multiplient les actions de communication pour expliquer leur engagement environnemental, mais celui-ci n’est pas encore à la hauteur des enjeux, aucune compagnie (mis à part peut-être KLM) ne questionne la croissance folle du trafic aérien (doublement tous les 15 ans !). Accepteront-elles les recommandations du CCC pour s’engager dans une véritable transition climatique et une « démocratisation » du voyage aérien plus réelle ? Pour l’instant, ce n’est pas le cas [9], et plus le temps passe sans changement profond, plus le risque d’amplification du flygskam grandit.
Article rédigé par Nicolas Meunier - Consultant
Sources : [1] RTL [2] BFM [3] IATA [4] Décryptage Mobilité #9 - Carbone 4 [5] NY Times [6] Committee on Climate Change [7] ENTD 2008 [8] Guardian [9] CNBC
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