Aviation : crise économique, crise climatique, comment gérer les urgences ?
Cet article est issu de notre newsletter Décryptage Mobilité. Pour recevoir par mail les prochains articles dès leur publication, abonnez-vous dès maintenant. Par Nicolas Meunier – Consultant Carbone 4
L’aviation commerciale est exsangue. Elle suit des cycles économiques d’une dizaine d’années, dit-on dans ce secteur. Cela est encore vérifié aujourd’hui : après la crise de 2008, l’aviation commerciale a repris sans obstacles sa croissance, jusqu’à présent. Mais le coronavirus s’annonce déjà être une crise sans précédent : les compagnies aériennes européennes ont coupé environ 90% de leur programme de vols, tout comme d’autres compagnies étrangères (Emirates, Singapore Airlines). L’IATA, l’association internationale des compagnies aériennes, met à jour ses perspectives régulièrement, passant d’un impact de 30 Md$ le 21 février à 250 Md$ le 24 mars [1] [2]. Elle a également averti que trois quarts des compagnies aériennes possèdent moins de 3 mois de liquidités, et que nombre d’entre elles devraient se trouver en faillite d’ici quelques semaines, si rien n’est fait. [3] Le secteur est donc dans une situation de crise sans précédent, avec une résilience quasi inexistante. Face à cette hécatombe, certain.e.s mettent en exergue les aspects positifs : alors qu’il semblait impossible d’endiguer la croissance effrénée du trafic en dépit de son impact climatique, voilà les avions cloués au sol.
Personne ne s’attendait à une « solution » aussi rapide : aucune aide ne devrait donc être proposée à cette activité carbonée. C’est une résolution simpliste du problème : l’aviation commerciale peut avoir sa place dans un monde bas carbone, avec un trafic modéré, et il faut à l’évidence souhaiter une transition durable plutôt qu’une crise mortifère, mais passagère. D’autre part, c’est occulter les conséquences sociales que pourraient avoir les faillites en rafale des compagnies aériennes puis de leurs fournisseurs, avec la mise au chômage brutale de plusieurs millions de personnes (10 millions d’emplois directs, 65 millions en comptant les emplois indirects, selon l’ATAG [4]). Il faut accompagner le secteur dans sa reconversion, pas le décapiter dans un contexte de crise sanitaire et économique. A l’inverse, d’autres voix comme celle du CEO d’Air France-KLM [5] ou l’Union des Aéroports Français [6], s’élèvent pour exiger la suppression de nombreuses taxes appliquées à l’aviation, y compris (surtout ?) les taxes environnementales. Là aussi, est-ce une manière d’augmenter la résilience du secteur que de baisser les prix pour stimuler la demande (la majeure partie des taxes ne sont pas payées directement par les compagnies mais par les passagers) ?
Doit-on favoriser une relance pour « repartir comme avant » ? Ce serait faire fi des problèmes environnementaux dont la question pèse lourdement sur le transport aérien depuis plusieurs années, alors même que le changement climatique est un risque systémique, à même de bouleverser l’économie à un degré encore bien supérieur à la crise sanitaire actuelle. L’urgence est bien de soutenir les compagnies aériennes, à la fois pour survivre à la crise mais aussi pour préparer l’après. C’est ce que proposent deux think tanks au Royaume-Uni, l’IPPR (Institute for Public Policy Research) et le Common Wealth, qui recommandent au gouvernement d’assortir son renflouement de conditions strictes sur la décarbonation, sur les droits des travailleurs et sur la taxation du secteur [7]. L’ONG Transport&Environment abonde aussi dans le sens d’une plus grande taxation du transport aérien, notamment sur le carburant, comme condition de sauvetage [8]. Outre-Atlantique, huit sénateurs Démocrates américains ont demandé de lier la réduction d’émissions carbone à un plan d’aide aux compagnies aériennes [9].
Ces déclarations sont pour l’instant encore peu concrètes, mais elles démontrent bien que l’urgence climatique n’est pas oubliée, et qu’elle devrait prendre une place primordiale dans le redécollage à venir du secteur. En outre, le transport aérien est connu pour son contexte concurrentiel exacerbé, qui peut aller jusqu’à priver certains acteurs de leur libre-arbitre sur leur stratégie : en témoignent les nombreux vols déficitaires, maintenus pour ne pas laisser la place à la concurrence, ou les guerres tarifaires. En cette période de crise, tout s’est arrêté : c’est une occasion inouïe de pouvoir remettre à plat les pratiques et régulations, afin d’assurer un nouveau départ compatible avec les objectifs 2°C du secteur. Après les attentats du 11 septembre 2001, beaucoup de compagnies ont dû se restructurer et réaliser un « Chapter 11 » (en référence à la loi américaine qui autorise une compagnie en faillite à geler ses créances le temps de sa réorganisation), pourquoi ne pas choisir d’utiliser cette pause forcée pour faire un « Chapter 11 » environnemental ? Comme nous l’évoquions dans un précédent article, le transport aérien s’est fixé un objectif climatique ambitieux mais irréalisable en maintenant sa croissance « programmée », de l’aveu même de l’OACI, l’organisme onusien régulant l’aviation internationale. Cette crise sanitaire funeste devrait impliquer une restructuration économique profonde du secteur, néanmoins elle offre également la possibilité de tracer pour la première fois une feuille de route 2°C réaliste. Les gouvernements vont-ils saisir cette opportunité ? Pour l’heure, les États-Unis ont déjà lancé leur plan de sauvetage… sans aucune condition environnementale [10].
Article rédigé par Nicolas Meunier (Consultant)
Sources : [1] IATA [2] IATA [3] IATA [4] AviationBenefits [5] Euractiv [6] La Tribune [7] BusinessGreen [8] Transport&Environment [9] TheHill [10] Reuters
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