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26 avril 2023
Auteurs et autrices : Nicolas Meunier, Marion Subtil

Face à la concurrence automobile chinoise, il faut viser moins gros

Une ambition européenne très forte, essentielle pour le climat

Le Parlement européen a finalement voté, en février dernier, en faveur de l'interdiction, à partir de 2035, de la vente de véhicules neufs à moteur à combustion, dans le cadre de l’objectif de neutralité carbone de l’UE d'ici 2050. Les constructeurs ont d’ailleurs déjà pris le pas en annonçant des objectifs de ventes de véhicules électriques en ce sens : Stellantis, Renault, Ford, Volvo, Jaguar visent déjà 100% de voitures électriques vendues dès 2030. D’autres comme Audi, Volkswagen, Hyundai visent le même objectif pour 2035[1].

Pourquoi une telle transition au pas de course ? Car l’électrification est un levier de décarbonation très significatif : en prenant en compte l’ensemble de son cycle de vie, une voiture électrique émet de 2 à 3 fois moins d’émissions de GES qu’une voiture à essence avec une électricité peu à moyennement carbonée. 

Empreinte carbone moyenne d'une voiture vendue en 2020 en fonction du pays - Segment D - 200 000 km | gCO2e/km
Note : la décarbonation tendantielle des mix électriques nationaux sur la durée de vie des voitures (considéré de 10 ans) suit les projections de la PPE et de la SNBC après 2028 dans le cas de la France, et les trajectoires "STEPS" de l'AIE pour l'Allemagne et la Pologne.
Carbone 4

Cependant, comme l’ont formulé soixante-six sénateurs français : « l'électrification des véhicules emporte une simplification considérable de leur fabrication, de 600 à 50 pièces seulement autour d'une pièce maîtresse qu'est la batterie, pour laquelle la Chine a 10 ans d'avance »[2]. Alors que le moteur représentait la majeure partie de la valeur ajoutée dans les voitures thermiques et que leur perfectionnement demeurait l’apanage des constructeurs européens, pour une voiture électrique, la batterie est désormais l’élément le plus stratégique. Or la Chine – devenue leader mondial du marché – a introduit la technologie des voitures électriques comme projet de recherche scientifique prioritaire dans son plan quinquennal et a très tôt proposé de généreuses subventions gouvernementales, d’allégements fiscaux, de contrats d’approvisionnement et d’autres mesures incitatives[3]. Bilan : la Chine s’installe dans le paysage, avec dès aujourd’hui 4% des ventes de voitures électriques en France[4], notamment grâce à des prix de vente très compétitifs. Dès lors, l’interdiction de ventes des voitures thermiques pourrait renforcer ce phénomène… et entraîner la disparition d'un certain nombre de métiers historiques français et européens à son profit.

Un besoin de démocratiser la voiture électrique

De leur côté, pour développer leurs offres électriques, les constructeurs européens ont jusqu’à aujourd’hui ciblé la clientèle la plus aisée, capable d'encaisser le surcoût de production des VE par rapport à un modèle thermique et aussi pour maximiser leurs marges, en proposant principalement des modèles moyens et haut de gamme, berlines ou SUV[5]. Cette stratégie semble néanmoins atteindre ses limites : ne ciblant qu’une minorité des ménages[6], elle délaisse les autres segments de la population au profit de constructeurs chinois qui proposent des modèles globalement moins chers et plus « grand public »[7]. L’enjeu est aussi de casser l’image de voiture de riches dans l’imaginaire collectif, ce qui crée du ressentiment social (on parle d’électro-bashing) et constitue à terme un frein à la diffusion de l’électro-mobilité. Il est donc temps pour les constructeurs français, voire européens, d’élargir leur marché cible avec des modèles de voitures électriques d’entrée de gamme moins chers (type compact, citadine, voire plus petit), quitte à réduire leurs marges. 

Le coût de la batterie représentant environ 40% du prix d’achat d'un véhicule électrique[8], viser ces modèles de VE plus légers devrait permettre de réduire la taille des batteries et donc leur prix en conséquence. De tels modèles seraient par ailleurs (i) plus alignés avec nos objectifs climatiques - ils sont moins énergivores et leurs prix plus accessibles leur permettraient de se démocratiser plus rapidement, donc de réussir le pari d’une transition rapide -, et (ii) éviteraient la surexploitation des ressources minières aux nombreuses conséquences environnementales délétères, dont l’empreinte carbone élevée. En parallèle de cela, il faudra continuer à expliquer aux automobilistes qu’une autonomie réduite par rapport aux voitures thermiques ne contraint pas l’écrasante majorité de leurs usages, ce frein demeurant malheureusement assez fort.

Empreinte carbone moyenne de voitures électriques en France en fonction du modèle - 150 000 km | gCO2e/km
Carbone 4

Un besoin de planification politique nécessaire pour protéger l’industrie automobile française et ses emplois

Fort de ce constat, pour préserver son industrie, l’emploi associé, et sortir de l’impasse, la France devrait se doter d’un plan stratégique sur le long-terme, accordant à la fois une protection spéciale à cette industrie, concédant des investissements à la hauteur des enjeux et encourageant la sobriété. Ce plan pourrait, à l’instar des mesures prises par les gouvernements chinois et américain, (i) encourager la relocalisation de la chaine de valeur automobile en prévoyant des aides conséquentes pour les industriels, et (ii) renforcer les conditions au subventionnement des véhicules électriques pour soutenir l’achat de voitures de plus petite taille produites sur le territoire. En ce sens, le bonus écologique pourrait notamment intégrer un critère strict sur le(s) pays de fabrication des VE, et tenir compte de la taille et/ou de la masse du véhicule.


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