Certificats Biodiversité : Risques et Opportunités
Résumé exécutif
Des certificats pour la biodiversité
Comme le rappellent les rapports de l’IPBES, il est urgent d’agir pour inverser le déclin de la biodiversité. Le cadre mondial, issu de la COP15 de Kunming-Montréal, pose des objectifs globaux pour cette action. Pour les atteindre, il faudra parvenir à mobiliser des financements. C’est la teneur de la cible 19, qui appelle à « augmenter sensiblement et progressivement les ressources financières […] y compris privées ». Elle mentionne explicitement la promotion de « systèmes innovants », dont les « crédits biodiversité ».
Les entreprises, les institutions financières et les autorités publiques ont un rôle important à jouer pour l’atteinte de ces objectifs globaux. En lien avec l’urgence rappelée par l’IPBES, et la hausse des attentes de leurs parties prenantes, la question de la biodiversité prend une importance croissante pour ces organisations. Elles cherchent des outils pour mettre en œuvre leur contribution aux objectifs mondiaux, et les certificats/crédits biodiversité peuvent constituer une partie de la solution. Ils peuvent être utilisés par exemple dans le cadre de stratégies RSE, pour la finance durable, ou encore pour les politiques publiques de préservation de la biodiversité.
Les certificats/crédits sont ainsi associés à des opportunités importantes, pour la nature comme pour les organisations. Différents observateurs, notamment issus de la science et des ONG, alertent cependant sur les risques qui sont associés à leur utilisation. Ils soulignent notamment qu’elle peut générer des effets rebonds néfastes pour la biodiversité, pouvant remettre en question la valeur réelle de leur contribution aux objectifs globaux.
La mise en œuvre et l’utilisation éclairée des certificats/crédits biodiversité exige une connaissance approfondie de ces deux aspects. L’analyse des risques est indispensable pour éviter les effets pervers et concevoir un mécanisme qui soit réellement favorable à la biodiversité. L’analyse des opportunités est incontournable pour en dégager le potentiel, et concevoir un mécanisme qui suscite l’intérêt des différents acteurs. L’objectif du présent document est de réaliser, à partir de l’état de l’art de la science et de l’expertise disponible, cette analyse des risques et opportunités liés aux certificats/crédits biodiversité.
Contexte
Pour couvrir tous les enjeux, risques et opportunités, nous considérons ces mécanismes au sens général : volontaire ou réglementaire, de compensation ou de contribution, pour la conservation et/ou la restauration. Dans la suite, nous préférons le terme « certificats » au terme « crédit » car le terme « crédit » est implicitement associé à un mécanisme de compensation, quand le terme « certificat » est plus général.
Nous considérons par ailleurs que l’objectif d’un mécanisme de certificats biodiversité est de contribuer de façon crédible et significative aux objectifs globaux pour la biodiversité, tout en étant juste sur le plan socio-économique.
Cartographie des risques
Neuf catégories de risques relatifs à la valeur réelle des certificats pour la biodiversité ont été identifiés :
- Pour les mécanismes de compensation : risque de perturber la hiérarchie d’atténuation. Que la compensation se fasse au détriment de l’effort d’atténuation, car la possibilité « d’annuler » des impacts amoindrit l’incitation à les éviter et les réduire.
- Risques de « greenwashing » : que la communication autour de bonnes pratiques vienne occulter des impacts négatifs générés par ailleurs.
- Pour les mécanismes volontaires, risque de perturbation réglementaire : qu’ils perturbent ou de retardent l’émergence d’une réglementation environnementale à la hauteur des enjeux, car le législateur considère que le marché « a les choses en main ».
- Risques liés à l’évaluation des gains biodiversité : la biodiversité est un ensemble complexe qui peut difficilement être capturé par une métrique unique. Risque qu’il existe des faiblesses dans l’évaluation et le suivi des gains biodiversité, notamment liés i) aux caractéristiques de la méthode d’évaluation ii) à l’incertitude sur les scénarios de référence iii) à une double comptabilité des gains biodiversité.
- Risques liés à la fiabilité des processus de contrôle, renforcés par les conflits d’intérêts et inhérents à la position de certificateur.
- Risque lié à l’absence de valorisation des bonnes pratiques existantes, et des éléments du paysage déjà favorables à la biodiversité.
- Risques liés à la non-Permanence des gains biodiversité.
- Risques liés aux déplacements des impacts hors de la zone certifiée (fuites).
Analyse de l’offre et de la demande
Pour atteindre ses objectifs, le mécanisme doit d’abord garantir la qualité des certificats. Il faut ensuite qu’il atteigne une certaine échelle de déploiement, afin que sa contribution aux objectifs globaux soit « significative ». Cette échelle dépendra de l’offre et de la demande, dont l’analyse a été réalisée à partir des entretiens, et de la revue de publications indépendantes.
Cinq principaux cas d’usages, réglementaires et volontaires, ont été identifiés pour la demande. Ils sont présentés dans le schéma ci-dessous :
Les sources consultées considèrent majoritairement que la demande sera le principal facteur limitant pour l’échelle du mécanisme. Le rôle de l’offre n’est cependant pas à sous-estimer.
Déterminants de l’offre
Les principaux déterminants de l’offre sont liés à l’adaptation du mécanisme à la réalité des parties prenantes locales. En particulier : sa compatibilité avec leurs enjeux et besoins, y compris la prise en compte des connaissances et savoirs locaux en matière de biodiversité, l’implication des parties prenantes locales aux différents niveaux du mécanisme, la juste distribution des rôles et des revenus, ainsi que les capacités et la sécurité de financement.
L’intervention d’intermédiaires entre les parties prenantes locales et les acheteurs finaux peut catalyser l’offre, et faciliter le lien avec la demande. En particulier celle des développeurs de projet, qui peuvent apporter des capacités techniques et financières indispensables au développement du projet.
Déterminants de la demande
La demande de type « réglementaire » sera principalement déterminée par les caractéristiques de la règlementation dont elle sera issue.
La demande de type « volontaire » dépendra principalement des niveaux de référence définis par le mécanisme, de sa crédibilité, de sa simplicité, du potentiel de mise en valeur en externe des certificats et de leur prix.
Discussion
Réglementaire vs. Volontaire
Seul un mécanisme réglementaire obligatoire peut garantir véritablement un certain niveau de demande. Toutefois, la progression récente de l’importance de la RSE et de l’enjeu biodiversité rend crédible la piste d’une demande volontaire. Cependant, sans réglementation, celle-ci restera vraisemblablement peu significative par rapport aux besoins de financement estimés pour la préservation de la biodiversité. La question de l’articulation entre un mécanisme volontaire et la réglementation sera donc capitale : il devra être conçu pour favoriser l’émergence d’une législation ambitieuse, et s’articuler efficacement avec les dispositifs existants.
Compensation vs. Contribution
La notion de “compensation biodiversité” suscite de nombreuses réserves. En plus de celles déjà soulevées pour la compensation carbone, le caractère essentiellement local de la biodiversité et l’absence de métrique de référence rendent la question encore plus délicate pour la biodiversité. Il semble difficile de définir rigoureusement des équivalences entre des « impacts négatifs » d’une part, et des « impacts positifs » générés par ailleurs : des projets de restauration ou de conservation peuvent générer des « gains biodiversité », mais il est difficile de démontrer qu’ils viennent « annuler » des destructions.
Cela ne remet pas en cause le fait que des mécanismes réglementaires de compensation biodiversité peuvent avoir des effets bénéfiques. Dans certains cas, un certain niveau de « destruction de la biodiversité » peut être jugé socialement souhaitable pour atteindre des objectifs économiques et sociaux. S’ils sont bien conçus, ces mécanismes peuvent permettre d’encadrer et de restreindre ces destructions, en les assortissant par ailleurs d’obligations de restauration.
En revanche, un mécanisme de compensation « volontaire » ne peut pas avoir d’effet coercitif sur la réduction des impacts négatifs. Il sera plus propice à créer des effets d’opportunité, où les acteurs viendraient privilégier l’achat de crédits par rapport à la réduction des impacts quand cela sera moins coûteux. Sa valeur réelle pour la biodiversité serait donc soumise à des risques importants. Par ailleurs, pour cette même raison, il serait vraisemblablement la cible de critiques, notamment issus du monde scientifique et des ONG, ce qui fragiliserait la demande.
Il semble ainsi préférable, dans la conception d’un mécanisme volontaire de certificats biodiversité, de ne pas s’appuyer sur un principe de compensation. Pour se prémunir contre les risques mentionnés, mais aussi car ce cas d’usage contesté pourrait pénaliser la crédibilité des certificats biodiversité en général, qui offrent pourtant des perspectives prometteuses.