Certificats biodiversité : éviter la compensation et promouvoir la contribution
Alors que la COP16 s’est achevée à Cali (Colombie) début novembre, les pays ont buté sur l’une des questions cruciales à l’ordre du jour : celle d’un accord sur le financement de la préservation de la biodiversité qui permettrait de combler le déficit annuel s’élevant à 700 milliards de dollars[1]. Pour y parvenir, l’International Advisory Panel for Biodiversity Credits (IABP), impulsé par la France et le Royaume-Uni en 2023[2], a présenté un cadre global pour les crédits biodiversité à haute intégrité. Si ces avancées sont à saluer, Carbone 4 regrette l’absence d’une position claire visant à exclure la compensation des mécanismes volontaires.
Les crédits biodiversité, qui peuvent être définis comme une unité d’effet positif sur la biodiversité, mesurée et prouvée, durable et additionnel, font aujourd’hui partie de la boîte à outils de financement qui cristallisent et polarisent les débats. Bien que le principe d’émission d’unités de gains écologiques ne soit pas nouveau, l’usage volontaire et non encadré de crédits inquiète la société civile, qui redoute une utilisation dévoyée à des fins de greenwashing. D’autres y voient, au contraire, un levier crédible et efficace pour financer la restauration de la biodiversité.
S’il est largement admis que l’évitement et la réduction des impacts doivent demeurer la priorité absolue des entreprises, Carbone 4 insiste sur l’importance d’exclure toute logique compensatoire dans ces mécanismes pour garantir que ces priorités soient effectivement respectées. C’est dans ce contexte que Carbone 4 considère que les certificats biodiversité, reposant sur une haute intégrité scientifique et des principes forts d’équité et de justice, pourraient constituer un levier de financement pertinent pour contribuer aux objectifs locaux et globaux de conservation et de restauration de la nature. Toutefois, leur rôle doit être clair : compléter les actions d’évitement et de réduction et non les remplacer.
Les risques autour des crédits biodiversité
Dans un contexte où les contraintes pesant sur les finances du secteur public se font sentir, les appels à l’augmentation du financement privé de la conservation grandissent. Répliquant largement les principes qui régissent les crédits carbone, les crédits biodiversité font l’objet de nombreuses critiques. En effet, ils font notamment craindre la reproduction des écueils déjà observés sur les marchés de compensation carbone : une large majorité des crédits carbone certifiés était considérée comme fantôme et n’avait pas abouti à de réelles réductions d’émissions de la part des entreprises[3]. A cet égard, Carbone 4, le Museum National d’Histoire Naturelle et la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité ont mené une analyse approfondie des risques et opportunités qui entoure le sujet des crédits biodiversité[4]. Parmi les risques identifiés, l’intégrité et les principes d’équité et de justice, notamment dans le partage des ressources soulèvent des inquiétudes majeures.
Le risque d’un business as usual : une compensation volontaire sans gain net réel
D’un point de vue sémantique, la notion de « crédit » biodiversité renvoie implicitement à la notion de « débit », suggérant dès lors une forme d’équivalence entre les pertes et les gains de biodiversité et renvoyant implicitement à la notion de compensation. Or, si ce concept n’est pas nouveau puisqu’inscrit dans de nombreux textes réglementaires[5], la compensation est en pratique difficile à réaliser et à démontrer scientifiquement. Les résultats sont souvent décevants pour la conservation et la restauration de la biodiversité, surtout lorsque la compensation se fait de façon volontaire. En effet, et à la différence du carbone, la biodiversité est spécifique au contexte local avec une très grande variabilité selon les écosystèmes. Ceux-ci sont difficilement remplaçables par des actions de compensation. Par ailleurs, la question de la mesure des gains réels générés en faveur de la biodiversité demeure complexe et comporte des incertitudes importantes. C’est la raison pour laquelle ses détracteurs craignent de voir l’émergence d’une multiplication des mesures de compensation volontaires par les entreprises, qui leur offriraient la possibilité d’« annuler » leurs impacts sans qu’aucun accent soit mis sur les efforts d’évitement et de réduction des impacts - une contrainte que seul un cadre réglementaire pourrait véritablement imposer.
Le risque lié à une gouvernance asymétrique et un partage des ressources inégalitaire
Les mécanismes de crédits biodiversité soulèvent des inquiétudes en matière de justice et d’équité, notamment si leur gouvernance est mal conçue. Cela inclut l’implication insuffisante des acteurs locaux dès la phase de conception. Par ailleurs, ces mécanismes peuvent générer des incitations perverses : surestimation des gains futurs, financement de projets à faible impact pour maximiser les profits des opérateurs, ou réduction des paiements destinés aux communautés locales pour leurs droits et leurs efforts sur le terrain. Il est donc crucial de veiller à une intégration juste de toutes les parties prenantes.
L'application d’un mécanisme de crédits biodiversité mal encadré risquerait donc de communiquer publiquement l'illusion d'une action efficace et juste en faveur de la conservation et des individus dépendants de ces actions, tout en justifiant de facto les pratiques habituelles, sans réelles actions correctives et transformatives de la part des entreprises.
Pour une approche « contributive » avec les certificats biodiversité
Le terme de « certificat biodiversité » renvoie à une quantité de « gain biodiversité » certifiée, que l’acheteur final peut revendiquer pour démontrer sa contribution à des objectifs collectifs pour la biodiversité, sans chercher à compenser des impacts négatifs qui n’auraient pas été évités ou réduits. Dans un mécanisme de contribution, les certificats ne permettent pas d’annuler des impacts négatifs, et sont comptabilisés séparément, évitant ainsi toute possibilité de substitution entre les actions d’évitement et réduction, et les actions de restauration et de conservation. Cela réduit les risques et peut simplifier les exigences car il ne faut plus garantir d’équivalences, ni contrôler étroitement la hiérarchie d’atténuation des impacts (ou séquence éviter-réduire-compenser). Ce mécanisme permet également de concentrer les efforts sur les objectifs collectifs de conservation et de restauration, qui sont au cœur de l’enjeu.
Le rôle clé de la réglementation pour garantir des gains réels pour la biodiversité
En outre, Carbone 4 plaide, à terme, pour l’émergence de mécanismes réglementaires capables d’imposer des réductions d’impacts – un élément coercitif dont ne saurait disposer un mécanisme de compensation qui serait purement volontaire. C’est seulement dans ce cadre, que des compensations juridiquement encadrées pourraient devenir non pas des moyens « d’annuler » ses impacts négatifs mais des obligations de restauration, complémentaires à l’effort obligatoire d’évitement et de réduction des impacts.
Aussi, l’approche par les certificats biodiversité pourrait poser les bases d’une contribution réglementaire structurée et juste du secteur privé aux objectifs de biodiversité. En parallèle, ces certificats pourraient jouer un rôle complémentaire dans un cadre volontaire, en attendant ou en préparant l’émergence de futurs mécanismes réglementaires.
Il est toutefois important de rappeler que, même à leur plein potentiel, les certificats biodiversité ne constitueront qu’une fraction des financements nécessaires à la préservation de la nature.
Le programme de recherche autour des certificats biodiversité
En attendant l’émergence d’une réponse réglementaire, Carbone 4 travaille avec le Museum National d’Histoire Naturelle et la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité sur le développement d’un cadre méthodologique pour les certificats biodiversité[6].
Le programme de recherche comporte deux volets :
- Le développement d’une méthode d’évaluation des gains biodiversité. Celle-ci s’appuie sur l’établissement d’une taxonomie des pratiques favorables à la biodiversité, et l’évaluation des gains biodiversité associés à un changement de pratiques par consensus d’experts.
- L’étude des conditions d’intégrité des mécanismes de certificats biodiversité, et le développement d’une approche de contribution
Ces certificats permettent aux entreprises d’agir de façon pertinente et efficace pour la biodiversité, en contribuant aux stratégies collectives de préservation et restauration des écosystèmes, en collaboration avec des institutions de référence.
Ce système vise à garantir une "contribution équitable" des organisations aux objectifs collectifs, en priorisant la réduction des impacts et en assurant que les financements profitent réellement à la biodiversité.
Une méthodologie opérationnelle est en cours de développement et sera l’objet du futur travail de l’Organisation for Biodiversity Certificate (OBC) et de ses membres.
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