Rapports de l'IPBES de 2024 : quels apprentissages pour les entreprises ?
Décryptage
La Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), surnommée le « GIEC de la biodiversité », a récemment publié les résumés[1] de deux études majeures : le rapport nexus et le rapport sur les changements transformateurs. Deux ans après l’adoption du cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, ces rapports se démarquent par leur approche concrète, tournée vers l’action. Ils explorent les interconnexions entre les transformations qui affectent cinq éléments d’un même « nexus »[2] - biodiversité, eau, sécurité alimentaire, santé, changement climatique - et fournissent des clés organisationnelles, politiques et économiques pour traiter les crises associées de manière globale et intégrée[3].
Quelques chiffres clés :
- Des actions ambitieuses à court terme pourraient générer 10 000 milliards de dollars d’opportunités commerciales et soutenir la création de 395 millions d’emplois d’ici 2030, à l’échelle mondiale.
- Les investissements supplémentaires nécessaires pour préserver la biodiversité sont de 300 à 1 000 milliards de dollars par an ; s’agissant des autres éléments du nexus, ils s’élèvent à 4 000 milliards de dollars par an.
- Le coût des mesures pour préserver la biodiversité va doubler en cas d’inaction d’ici 10 ans.
Au-delà du constat des réactions en chaîne (positives et négatives) qui affectent le nexus, ces deux rapports offrent un cadre et des solutions concrètes pour aider les acteurs politiques et économiques à intégrer les limites planétaires dans leur organisation tout en renforçant leur résilience. L’analyse présentée ci-après intègre indistinctement ces deux rapports complémentaires et se concentre sur les apprentissages que peuvent en tirer les entreprises spécifiquement.
Du constat à l’action : des solutions concrètes pour les entreprises
Les scientifiques évoquent à de multiples reprises l’importance d’apporter une réponse commune et intégrée aux crises qui affectent la nature, pour maximiser les bénéfices des actions menées tout en réduisant les risques de provoquer des externalités négatives. En effet, traiter ces crises, une à une, de manière silotée et sans tenir compte de leurs interactions, peut s’avérer inefficace, voire contre-productif.
Par exemple, si les pratiques agricoles intensives augmentent la production à court terme et assurent la sécurité alimentaire des populations, elles exacerbent à plus long terme les crises de l’eau (80% des prélèvements mondiaux d’eau douce sont destinés à la production alimentaire[4]), du climat (la fertilisation des sols à partir d’engrais azoté représente 30% des émissions du secteur agricole en France[5]), de biodiversité (35% des cultures dépendent de la pollinisation opérée par les abeilles, menacées par l’utilisation excessive de pesticides[6]), tout en fragilisant les chaînes d’approvisionnement.
Les entreprises sont donc invitées à collaborer avec la société dans son ensemble – gouvernements, citoyens, ONGs, communautés locales et peuples autochtones, communauté scientifique - pour déployer des stratégies et actions concrètes, détaillées dans les deux rapports[7]. Voici une sélection d’actions proposées :
- Sur la gouvernance, transformer les instances pour les rendre plus efficaces et inclusives : le succès de la mise en œuvre des actions réside dans la capacité à décloisonner les systèmes de gouvernance actuels pour adopter une approche pluridisciplinaire et intégrée, tout en y intégrant davantage d’acteurs.
- Sur le plan comptable et stratégique, intégrer la biodiversité et l’équité dans les référentiels et décisions stratégiques : notamment en internalisant les coûts environnementaux via des outils de mesure et de comptabilité écologique.
- Sur les achats, repenser les chaînes d’approvisionnement globales : les pratiques actuelles d'approvisionnement favorisent souvent la surproduction et l’exploitation non durable des ressources naturelles. Il est nécessaire de revoir les objectifs et les indicateurs économiques pour intégrer des dimensions sociales et environnementales dans les décisions des achats. De plus, diversifier les sources d’approvisionnement est essentiel pour limiter les pressions sur les ressources et renforcer la résilience des chaînes de valeur.
- Sur la formation, reconnecter les parties prenantes au vivant : la formation des employés, leurs Directions, les autres parties prenantes des entreprises (ex : investisseurs) aux interdépendances entre économie et nature favorise l’adoption de comportements plus durables.
- Sur les investissements, réorienter les financements : la réorientation des financements privés vers des activités bénéfiques pour le nexus, à travers différents mécanismes innovants tels que les certificats biodiversité, est un puissant levier pour traiter les crises et combler le déficit annuel de financement, estimé entre 598 et 824 milliards de dollars.
- Sur l’action à l’échelle d’un site, protéger et restaurer les écosystèmes : la coopération entre plusieurs acteurs implantés autour d’un même bassin versant en vue de leur conservation ou de leur restauration peut favoriser une gestion durable à l’échelle des écosystèmes.
Un projet de restauration des mangroves, mené au Sénégal en 2020[8] , démontre les multiples bénéfices associés à la préservation de la nature (séquestration carbone, réduction de l’érosion côtière, amélioration de la qualité de l’eau, de la sécurité alimentaire et de la santé des population locales).
Transformer les risques en opportunités
L’enjeu d’aligner les stratégies des entreprises (en particulier dans les secteurs fortement liés à la biodiversité[9]) avec les limites planétaires est d’autant plus essentiel qu’elles sont exposées à des risques considérables. Ces risques découlent de leurs impacts (risques réputationnels, réglementaires…) sur la nature mais également de leurs dépendances (risques de ruptures d’approvisionnements, d’épuisement de la ressource…). Qui dit risques dit également opportunités : la refonte des modèles d’affaires vers plus de durabilité et d’équité génère des bénéfices tant pour l’entreprise que pour la nature : une plus forte résilience, de nouvelles offres et produits...
Finalement, ces rapports invitent les entreprises à traiter de manière intégrée les enjeux environnementaux entre eux (ex : privilégier des stratégies nature adressant de façon systémique les enjeux environnementaux, plutôt que distinguer stratégie climat, stratégie biodiversité et stratégie eau) et avec les composantes sociales et économiques de l’entreprise (ex : intégration plus concrète des enjeux de durabilité dans la stratégie corporate, approche « One Health » qui propose une vision systémique et unifiée de la santé publique, intégrant la santé des humains, de l’environnement et des animaux).
Chez Carbone 4, nous cherchons de plus en plus à intégrer cette vision systémique dans nos approches. Les enjeux liés à la nature et au climat sont entrelacés. Les données collectées, les analyses de risques et le développement de stratégies résilientes seront d’autant plus pertinentes et efficaces qu’elles traiteront ces enjeux dans leur ensemble.
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